Paul Mullié est titulaire d'une licence
de géographie (Institut de Géographie Alpine/Institut d'Urbanisme de
Grenoble). Au sein de l'université Jean Moulin (Lyon III), il obtenait
son master I (Relations Internationales, Sécurité et Défense) en
soutenant un mémoire sur la marine chinoise ("La marine chinoise du XXIème siècle : posture défensive ou stratégie hégémonique potentielle?"). En deuxième année de master (Relations
Internationales et Diplomatie), son deuxième mémoire portait sur "Le
concept d'universel en sciences sociales et sa transposition en
relations internationales par l'universalisme."
La MAPL échange-t-elle un paradigme très axé sur la lutte
anti-sous-marine pour un autre centré sur l'action aéronavale et
aéroamphibie ?
Pas
complétement, alors certes la MAPL s’oriente progressivement vers
la force aéronavale, mais en fait je ne pense pas qu’elle ait
précédemment été axée sur la lutte anti-sous-marine. Si en effet
le cœur de la MAPL était sa flotte de sous-marins, ils n’avaient,
selon l’interprétation que j’en fais, pas pour vocation
principale la lutte anti-sous-marine mais plutôt celle contre les
navires de surface. En effet là où la principale mission de l’Armée
Populaire de Libération était de défendre et sauvegarder
l’intégrité territoriale continentale de la Chine contre une
éventuelle invasion, celle de la marine était donc de défendre les
côtes contre un éventuellement débarquement et/ou un
« enfermement ». (Cela une fois la reconquête des îles
nationalistes achevée, à l’exception de Taïwan .) Cela
était justifié notamment par la peur du voisin soviétique et par
le traumatisme d’un siècle d’humiliation depuis la guerre de
l’Opium jusqu’à l’occupation japonaise, ou le continent a été
vaincu par des ennemis venus des mers.
Cependant,
l’intégrité territoriale de la Chine étant aujourd’hui
globalement assurée et la crainte d’une invasion disparue, la MAPL
change de posture et a maintenant pour mission la protection des
routes commerciales et l’appui de ses différentes revendications
territoriales insulaires. Il y a donc bien une réorientation vers un
paradigme de projection de puissance à l’aide de la force
aéronavale.
Pourriez-vous nous indiquer dans quelles conditions est
forgé le ou les porte-avions chinois ?
Le
long processus d’acquisition d’un porte-avions par la marine
chinoise a été le résultat de l’influence de l’Amiral Liu
Huaqing qui a fortement milité au sein des institutions militaires
de la RPC pour développer un tel projet. Concrètement la
réalisation de celui-ci s’est faite en plusieurs étapes et à
travers l’achat de quatre porte-avions. Tout d’abord le HMAS
Melbourne, en 1985, dont la Chine s’est chargé du démantèlement,
en acquérant très probablement au passage les principes de base de
son ingénierie. Ensuite les porte-avions russes le Minsk et le Kiev,
en 1998 et en 2000, ont été transformés en centre d’amusement
pour le premier et en base d’éducation au sein d’un parc à
vocation militaire pour le second. L’acquisition décisive sera
finalement celle du Varyag auprès de l’Ukraine. Cet ancien navire
soviétique dont la construction n’a jamais abouti (pas de moteurs
ni d’armements), est livré en 2002 à Macao pour être transformé
en casino flottant. Il sera finalement rénové et devient en 2012 le
premier porte-avions chinois. Il est initialement baptisé Shi
Lang, nom très symbolique de l’amiral ayant conquis Taïwan au
XVIIème siècle, avant d’être finalement rebaptisé plus
sobrement après la province du Liaoning.
Le
Liaoning est de taille plus importante que le Charles de
Gaulle, mais inférieure aux navires de classe Nimitz américains. De
classe STOBAR (Short Take Off But Arrested Recovery), il n’est
pas doté de systèmes de catapultages et bénéficie donc d’une
polyvalence moins importante que les navires Américains, Français
et Brésiliens. Et enfin il est équipé d’un système de
propulsion conventionnel, laissant encore une fois la propulsion
nucléaire aux seuls Marine Nationale et US Navy.
La
MAPL possède donc un porte-avions mais ce navire n’est pas de
conception chinoise. En revanche la Chine construirait tout de même
au moins deux autres navires, très certainement sur le modèle de
Liaoning, dont un a été officiellement confirmé par les
responsables militaires de RPC.
Si la
Chine est entrée dans le club relativement fermé des nations dotées
de porte-avions, la « simple » acquisition d’un navire
puis la construction d’un second ne suffisent pas à renverser
l’équilibre des forces. En effet l’adoption de tels appareils
nécessite une grande capacité d’adaptation opérationnelle et une
refonte générale de l’organisation militaire. Cela prend du temps
et c’est la raison pour laquelle le Liaoning a principalement servi
à l’apprentissage et à l’entraînement de la MAPL dans un
domaine où la suprématie américaine reste écrasante et
incontestable.
A contrario, les SNLE et les SNA ne semblent pas bénéficier
du même effort politico-opérationnel ?
En
effet le développement des sous-marins nucléaires semble moins mis
en avant. Ils ont sans doute quelque peu fait les frais d’une lutte
d’influence en interne pour décider quelle orientation donner à
la MAPL, à la stratégie maritime en générale, fondée autour
d’une force aéronavale ou alors autour des sous-marins. Mais
certainement aussi que le développement de ce genre de navire est
moins médiatisé, puisque moins symbolique et marquant pour
l’opinion générale.
Cependant,
je pense que sa flotte de sous-marins reste la principale force de la
MAPL. En effet la modernisation et la refonte de la marine chinoise
engagée depuis maintenant plus d’une vingtaine d’années touche
tous les secteurs de la marine. Ainsi la Chine est passée d’une
flotte de deux SNLE à six, avec un septième navire prochainement
livré, et les chiffres sont identiques pour les SNA avec cette fois
trois sous-marins encore attendus. Il est surtout important de
constater, au-delà des chiffres, qu’il s’agit de l’arrivée de
nouveaux modèles plus modernes. (SNA type 093, classe Shang ;
SNLE type 094, classe Jin.)
Concernant
les sous-marins traditionnels, leur nombre a fortement décru avant
de connaître une nouvelle hausse plus récemment. Cela s’explique
par le retrait de modèles obsolètes avant l’acquisition d’engins
modernes, tantôt de fabrication chinoise, tantôt d’importations
étrangères, notamment avec l’achat de nombreux sous-marins russes
de classe Kilo.
Enfin,
pour répondre à la question il est tout de même important de
préciser que le développement de l’aéronaval n’est pas
incompatible avec celui de sous-marins nucléaires et peut ou
peut-être même doit se faire conjointement. Ils répondent en effet
à des objectifs différents, et parce que si les groupes aéronavals
accompagnant les porte-avions français et américains comprennent la
présence de SNA, il y a fort à parier qu’il en sera de même pour
ceux chinois.
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