Les @mers du CESM


Les @mers du CESM - 19 avril 1944 :

Le cuirassé Richelieu participe au bombardement de Sabang, base japonaise en Indonésie. Le navire français, ayant rejoint l’Eastern Fleet commandée par l’amiral britannique Somerville, prendra part à trois autres opérations visant des bases navales ennemies. Après 52 mois passés en mer, le bâtiment rentre à Toulon le 1er octobre 1944. À nouveau déployé en Asie du Sud-Est l’année suivante, le bâtiment assistera à la capitulation du Japon dans la rade de Singapour le 23 septembre 1945.





15 avril 2016

Entretien avec Paul Mullié - Les frontières maritimes chinoises

Paul Mullié est titulaire d'une licence de géographie (Institut de Géographie Alpine/Institut d'Urbanisme de Grenoble). Au sein de l'université Jean Moulin (Lyon III), il obtenait son master I (Relations Internationales, Sécurité et Défense) en soutenant un mémoire sur la marine chinoise ("La marine chinoise du XXIème siècle : posture défensive ou stratégie hégémonique potentielle?"). En deuxième année de master (Relations Internationales et Diplomatie), son deuxième mémoire portait sur "Le concept d'universel en sciences sociales et sa transposition en relations internationales par l'universalisme."


Pourriez-vous nous présenter l'organisation des forces navales chinoises à travers ses trois flottes ?

           Le Livre blanc de 2009 indique qu' « actuellement, la MAPL (Marine de l’Armée Populaire de Libération) a une force totale de 235 000 officiers et soldats, et commande trois flottes, à savoir, la flotte de Beihai, la flotte de Donghai et la flotte de Nanhai. » Ainsi à chaque flotte correspond une mer : la Mer de Chine Méridionale, la Mer de Chine Orientale et la Mer Jaune. Chacune de ces flottes dispose de ses propres quartiers généraux, de ses garnisons, de son aviation et de ses brigades marines.

           En extrapolant et surtout en simplifiant, il est alors possible de considérer que la flotte du nord, (Mer Jaune) serait orientée vers les Corées voisines, la flotte de l’est (Mer de Chine Orientale) serait plutôt à destination du Japon, et enfin la flotte du sud (Mer de Chine Méridionale) aurait vocation à gérer les questions de territoires disputées avec les différents membres de l’ASEAN. Taïwan est quant à elle située, selon les sources, tantôt entre les deux mers de Chine, et donc les deux flottes associées, tantôt dans l’espace de la flotte de l’Est. Cependant une telle description, si elle permet de saisir rapidement les enjeux, est surement trop caricaturale et éloignée des réalités techniques. 

           A travers cette division de la MAPL il est alors possible de donner un ordre de priorité aux différents objectifs chinois en fonction de l’ampleur de chaque flotte. La Mer de Chine Méridionale bénéficierait du plus important contingent indiquant une priorité accordée aux problèmes « du Sud ».
Ceci peut être interprété comme rassurant, un signe d’apaisement dans les relations avec Taïwan et le Japon, tout en contribuant à alimenter les tensions avec les pays de l’ASEAN ou encore en alimentant la théorie du « collier de perles ». Mais, encore une fois, il n’est pas si simple de mesurer l’importance des flottes, par exemple le porte-avions ne semble pas avoir été associé à l’une d’elles. Il a été vu dans le port du Dalian, au Nord, alors que la base de Sanya, sur l’île de Haïnan, à l’opposé Sud, serait l’une des bases navales les plus importantes et pourrait accueillir les sous-marins nucléaires de même que le porte-avions, tout du moins dans un futur proche. 

           Pour conclure cette présentation de la MAPL, je pense qu’il est également important de rappeler qu’elle n’est en aucun cas d’une ampleur comparable à celle de l’US Navy dont la VIIème flotte est en permanence déployée entre l’Asie de l’Est et l’Ouest du Pacifique. Les forces de défenses japonaises sont également considérables, Taïwan est bien armée, et les forces cumulées des pays de l’ASEAN son également importantes. Un rapide passage en revue des chiffres ne permet pas de marquer une nette hégémonie chinoise. 


Quelles sont les différentes frontières maritimes de l'action régionale de la Chine ?

           Classiquement, les objectifs et les opérations de la MAPL sont limités selon deux lignes symbolisant sa zone d’activité présente et future. Il s’agit de la description commune des frontières maritimes de la Chine. La première de ces lignes, celle qui englobe les opérations actuelles de la Chine, se dessine à partir de l’archipel japonais et descend vers le sud en passant par les îles d’Okinawa, puis par celle de Taïwan avant d’atteindre les Philippines et la Malaisie. La deuxième ligne, celle ayant vocation à contenir les opérations chinoises dans le futur, se trace également au Nord depuis le Japon ou bien les îles Kouriles, mais survole ensuite Iwo Jima dans l’archipel d'Ogasawara, les îles Marianne, donc l’île de Guam, puis l’archipel des Carolines. Cette deuxième ligne englobe, donc, en plus des deux mers de Chine, la mer des Philippines et marque une projection plus importante dans le Pacifique. Ces deux tracés virtuels sont en fait concrètement constitués d’un rideau d’îles englobant la Chine, la protégeant ou la contenant. Il s’agit des zones de sécurité à contrôler pour la MAPL. Ces deux rideaux d’îles sont également marqués par l’omniprésence américaine, avec notamment la base d’Okinawa et les accords de défense avec Taiwan et le Japon pour la première ligne, ou encore la base de Guam sur le second rideau.

           Passer outre la première ligne d’îles ne peut se faire sans traverser des eaux peu profondes ou les sous-marins peuvent être repérés. L’accès au second rideau est donc déterminé par la capacité chinoise à contrôler et traverser le premier, en faisant des eaux y menant une sorte de mer intérieure. C’est alors que Taïwan prend une position stratégique clef, permettant l’accès de la Chine à l’Océan Pacifique ou au contraire en le verrouillant. En conclusion, les deux lignes illustrent le problème de l’enfermement de la MAPL. 


La « théorie du collier de perles » se transpose-t-elle à la pratique ? La MAPL s'appuie-t-elle sur ces « bases » ?

Pour répondre en un seul mot, je dirais non. 

           Conjointement au développement important de ses capacités militaires, (développement contribuant à alimenter la théorie) un élément ayant suscité de nombreuses inquiétudes au sujet des ambitions maritimes chinoises est la théorie communément dite du « collier de perles ». Il s’agit de l’idée selon laquelle la Chine tisserait un réseau de bases dans l’Océan Indien, formant un collier encerclant l’Inde et dans lequel chacune de ses bases serait une « perle ». Selon cette théorie, le collier de perles refléterait la volonté chinoise de contenir son voisin. Ce projet s’inscrirait alors dans une vision « Mahanienne » du contrôle des océans fondé sur un réseau d’installations susceptibles d’accueillir la flotte. Cette vision s’inscrit également dans la prise en compte du dilemme de Malacca et de la forte dépendance de la Chine vis-à-vis du détroit.

           Si je suis spontanément tenté de répondre non aux questions posées ici, c’est parce que les perles du collier ne sont tout simplement pas des installations militaires. Depuis la Chine, les premières perles sont l’île du Hainan et l’archipel des Paracels. Il s’agit bien là d’installations militaires réelles ou en cours de construction, mais situées pour la première en territoire chinois, et pour la seconde en territoire sous contrôle chinois contesté par le Viêt-Nam. Viennent ensuite la ville de Kyaukpyiu en Birmanie, laquelle accueille un terminal pétrolier reliant ensuite la Chine continentale par pipeline, et le port de Chittagong au Bangladesh, financé par les milliards chinois afin d’accueillir les conteneurs et les vracs pour ensuite relier la Chine par autoroute à travers la Birmanie encore. La perle suivante est au Sri Lanka, où la Chine a promis de financer les réparations du port d’Hambantota, et où certains pensent qu’il pourrait servir de base à la MAPL. Cependant aucun accord de la sorte n’a été confirmé. Et enfin la dernière perle est le port de Gwadar au Pakistan. Encore une fois financé par la Chine, Il pourrait accueillir les navires de combats postés dans le golfe d’Oman, tout comme il pourrait servir de point de départ d’une liaison « offland » acheminant les hydrocarbures en Chine (une liaison autoroutière existe déjà.). La gestion du port commercial vient de passer des mains d’une entreprise singapourienne à une chinoise. A chaque perle le même schéma se retrouve, celui d’un port commercial où la Chine voit une solution de réduire sa dépendance à Malacca en offrant des routes alternatives, tout en alimentant les hypothèses et les rumeurs d’installations militaires. 

           Dans l’actualité plus récente une nouvelle perle semble se rajouter au collier, comprenant cette fois réellement un volet militaire. Les accords en cours de négociations entre la Chine et Djibouti concernant l’implantation d’une base militaire logistique pourraient être le premier vrai argument crédibilisant la théorie du collier de perles. Cependant là aussi il est nécessaire de placer des limites. Depuis 2008 la Chine a déployé plusieurs navires dans le Golfe d’Aden et au large de la Somalie pour mener des missions d’escorte, de lutte contre la piraterie, et de sauvetage humanitaire. Il s’agit là de l’une des rares véritables expéditions maritimes chinoises hors visites diplomatiques dans différents ports. L’objectif de ces missions est comme à l’accoutumée pour la Chine, de sécuriser ses voies d’approvisionnement en hydrocarbures. Le déploiement chinois a connu quelques difficultés, notamment logistiques et de ravitaillement et a dû être intégré au commandement commun des forces de l’ONU. L’hypothétique base à venir à Djibouti est donc prévue dans cette optique. Celle-ci confirme donc le développement de la MAPL et de son rayon d’actions, mais si elle devient une perle du collier, servant à assister les navires dans le Golfe d’Aden, alors le port de Gwadar à qui certaines théories avaient prédit ce rôle perd de son importance et se confirme comme étant simplement un port commercial. Cette nouvelle perle viendrait donc seulement en supplanter une autre, mais dépasserait cette fois le seul stade de la théorie.

           Le collier de perles n’est donc pas une succession de bases militaires mais bien un réseau établi dans une logique commerciale et dans la peur d’un étouffement à Malacca où passent 80% des importations pétrolières chinoises. De plus ce réseau souffre de l’instabilité de ses partenaires Birmans et Pakistanais. 

           La théorie du collier de perles comme encerclement de l’Inde, très instrumentalisée, serait donc le fruit d’un ensemble de mauvaises perceptions Indiennes et Américaines, alimentées par la peur de la montée en puissance de la Chine, développant elle-même ce réseau par peur d’une vulnérabilité trop grande. En ce sens il s’agirait d’une construction théorique pouvant mener certains à craindre « une prophétie auto-réalisatrice », en un sens où la théorie alimente les peurs des pays concernés qui augmentent donc leur armement, alimentant à leur tour la peur chinoise d’une coupure de ses routes commerciales, et s’armant à son tour dans un dilemme de sécurité classique.


Le « dilemme de Malacca » pour reprendre le mot de Hu Jintao n'est-il pas partagé, en partie, avec l'Inde ?

           Pas à ma connaissance. Si le dilemme de Malacca marque la dépendance de la Chine à ce détroit dans ses routes commerciales, mais principalement pour son approvisionnement en pétrole et en hydrocarbures issus du Moyen-Orient, alors je ne vois pas de raisons pour que l’importation en matière fossiles de l’Inde circule par le détroit de Malacca. En revanche il est partagé avec le Japon, et ce certainement de manière croissante depuis l’accident nucléaire de Fukushima et la réduction (à défaut de sa sortie finalement annulée) de l’usage de l’énergie atomique sur l’archipel, laquelle est inévitablement compensée par des importations massives. Un exemple qui illustre très bien cette dépendance et ce dilemme partagés est le vieux fantasme de la création d’un canal au niveau de l’Isthme de Kra en Thaïlande. Aujourd’hui, parfois envisagée comme une des perles du collier précédemment évoqué, le projet était aux origines une ambition japonaise. Finalement, ce canal « coupant » Malacca et raccourcissant les routes commerciales semble finalement prendre plus simplement la forme d’une liaison terrestre entre deux terminaux côtiers. 

           Dans la même logique on peut supposer que le dilemme soit aussi partagé par Taïwan et la Corée du Sud. Mais pour ces États comme pour le Japon la situation et moins sujette à des inquiétudes et à de la paranoïa puisque, outre Singapour, le détroit est principalement sous contrôle et surveillance japonais et américains. 

           Pour ce qui est de l’Inde, je suppose qu’on peut très bien imaginer que le détroit de Malacca ait tout de même une importance considérable dans les routes commerciales, hors des approvisionnements en hydrocarbures.


2 commentaires:

  1. Bonjour.

    Un article de la revue Orient XXI sur la base chinoise de Djibouti : http://orientxxi.info/magazine/djibouti-les-chinois-arrivent,1284,1284

    Bonne journée.

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    1. Bonjour.
      Merci pour le lien. Un article en effet très intéressant notamment sur le parallèle avec le port de Gwadar qui ne devrait donc pas devenir une base militaire.
      Paul Mullié.

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