Le 21 août dernier, la compagnie finlandaise Wartsila[1] a réalisé un essai de contrôle à distance d’un navire de commerce[2] qui est passé relativement inaperçu en dehors des cercles spécialisés. Le navire, opérant en Mer du Nord au large de l’Ecosse, a été piloté dans « une série de manœuvres à haute et basse vitesse »[3] depuis les bureaux de Wartsila à San Diego, à plus de 8000 km de là. Du point de vue technique, la firme finlandaise a exploité les systèmes de communication satellite (gamme civile) du bâtiment et son système de positionnement dynamique[4] pour télé-opérer le navire.
Le 13 septembre, Rolls-Royce[5] a dévoilé un concept de bâtiment militaire entièrement automatisé (en l’occurrence, une unité de 60m pour 700 tonnes de déplacement, apte à une seule mission, mais dont le spectre d’emploi à l’achat varierait de la patrouille à la chasse aux mines).
Ces deux annonces précèdent-elles une évolution radicale des façons d’opérer en guerre navale ou n’augurent-elles que de changements à la marge ? Il convient d’abord de rappeler que la dronisation est déjà en marche dans les marines mondiales, bien que pour l’heure limitée à des unités de faible tonnage (vedettes et semi-rigides), essentiellement consacrées à l’entrainement (plastrons et cibles inhabitées) ou à la surveillance portuaire. Le SLAMF[6] de la Marine nationale prévoit quant à lui déjà l’emploi de drones de surface[7] pour la chasse aux mines.
Partant de ce constat, l’étape suivante est effectivement d’envisager des unités de combat dronisées. Au-delà d’une résistance structurelle que l’on peut aisément imaginer (il suffit de voir l’opposition que rencontrent les UCAV[8] dans les forces aériennes), quels sont les risques et les gains potentiels de ce type de bâtiments ?
Télé-opérer, pourquoi faire et à quel coût ?
Les gains attendus sont soulignés par les promoteurs des projets présentés en début de billet : meilleure optimisation de l’espace à bord et donc diminution des coûts de fabrication, mais également coûts d’opération du fait de l’absence d’équipage. On peut ajouter à cela une capacité à utiliser les unités de manière plus agressive puisque le coût politique lié à la perte d’hommes au combat disparaît.
A l’inverse, un bâtiment autonome ou piloté à distance ne peut plus intervenir sur un segment complet : la souveraineté en mer. Impossible de procéder à un contrôle ou à une enquête de pavillon à bord (on peut bien sûr imaginer des solutions techniques pour continuer à réaliser des interrogations VHF, mais en cas de suspicion, il n’est pas possible de pousser le contrôle).
Au-delà de cette limitation intrinsèque, la question de la cyber-sécurité évoquée par Wartsila devient prégnante. Un navire télé-opéré nécessite un lien satellite robuste, des systèmes de secours (sur le segment HF par exemple) et d’être capable d’apporter une réponse à la question : que se passe-t-il si le lien vers les opérateurs à terre est perdu ? Comment poursuivre le combat en respectant les règles d’engagement et triompher ? Dans un environnement électronique saturé ou non-permissif, le risque de perdre le contact est grand. Est-on prêt à assumer ce risque ? Le fait que des systèmes déjà à poste à bord ont été utilisés pour la dronisation interroge également sur la vulnérabilité actuelle des systèmes à une prise de contrôle à distance.
Le début d’une nouvelle ère
Pour conclure ce bref aperçu des problèmes posés par la dronisation au regard des perspectives positives, il semble sage de ne pas se précipiter pour tenter de décrire les océans de 2040. Des navires au long cours sans équipage semblent encore prématurés mais des navires de soutien logistique opérant sur des zones restreintes pourraient bien arriver plus rapidement qu’on ne peut le croire. Et ils arriveront avec tout leur cortèges de nouvelles problématiques sécuritaires : comment éviter le piratage à distance et s’il se produit, comment gérer un navire télé-opéré par un opérateur tiers aux intentions hostiles ?
Pour les militaires, la question de la cyber-sécurité sera d’autant plus au centre du jeu que se développeront de tels outils, ainsi que plus largement celle du durcissement des équipements de navigation et de communication et contrôle. Gageons que les marins passeront encore quelques années sur les navires de la Royale... Mais peut-être auront-ils bientôt à contrôler et surveiller des navires fantômes dont l’équipage sera à des milliers de kilomètres de là.
Théophile Delcassé
[1] Compagnie spécialisée dans la propulsion navale et le contrôle-commande.
[2] Le Highland Chieftain de la compagnie Gulfmark Offshore, est un navire de type « Supply » de 80 mètres, destiné au ravitaillement de plateformes pétrolières ou gazières off-shore.
[3] Dixit la communication de Wartsila. Le détail des manœuvres n’a pas été précisé. Outre du suivi de route, on peut imaginer la réalisation de manœuvres anti-collision ou d’essai de manœuvre type accostage car c’est une des finalités recherchées pour le procédé.
[4] Système technique qui permet d’asservir les différents organes de propulsions et de manœuvre (lignes d’arbre, propulseurs d’étrave…) à un automate également lié au GPS du bâtiment afin de maintenir une position fixe.
[5] Firme d’origine britannique spécialisée dans l’ingénierie et les systèmes de propulsion aériens et navals.
[6] Système de Lutte Anti-Mines
[7] USV : Unmanned Surface Vehicule, appellation anglo-saxonne couramment rencontrée dans la littérature sur le sujet
[8] Unmanned Combat Air Vehicule : drone de combat ou avion de chasse sans pilote
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