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Le passage de l'ouragan Irma met en exergue les capacités de projection stratégiques des forces armées françaises dans un cadre, sur le plan géostratégique, "intra-national" tout en étant inter-théâtre et, sur le plan diplomatique, otanien et européen. S'il s'agit de remplacer la partie aéroamphibie dans le concert des moyens logistiques au service de cette projection stratégique, force est de constater que le format actuel n'est pas satisfaisant.
Irma balayait de ses rafales de 280 à 300 km/h plusieurs îles de l'arc des Antilles dont l'île de Saint-Martin. "Un ouragan en pleine maturité, c'est 5 bombes atomiques par seconde en équivalent énergétique !" (Météo France) Dans le cas extrême d'Irma, phénomène d'une rare violence bien - tandis que leur puissance moyenne a nettement progressé depuis près d'un siècle -, évoquer une catastrophe naturelle ou un phénomène climatique extra-ordinaire n'est, finalement, assez peu évocateur des enjeux.
En l'espèce, il pourrait être plus à propos d'évoquer l'équivalent d'un bombardement aérien, tel un tapis de bombe, dévastant de large portions du territoire national. Cette comparaison militaire est peut-être plus à même de souligner qu'il est autant questions des destructions matérielles et de pertes humaines qu'une sorte de dialectique des volontés où, tel Don Quichotte, il s'agit de conserver le monopole de la violence légitime, non pas contre Éole, mais bien à l'encontre des pillards et autres profiteurs du chaos. Sans compter que d'autres problématiques régionales, en particulier les activités liées aux trafics de drogues, amènent une problématique d'armes légères circulant en très grand nombres dans toute ou partie des îles antillaises.
C'est dans cette perspective que l'opération civilo-militaire lancée par les services de l'État est autant à caractère humanitaire que militaire puisque l'opération continent une part de maintien de l'ordre, voire de rétablissement pur et simple de l'ordre. Comme aux États-Unis après le passage de l'ouragan Katrina, en particulier en Louisianne, il nous est particulièrement difficile d'accepter que des scènes de pillage - de survie ou d'enrichissement - aient lieu tandis que des bandes de hors-la-loi tentent de se rendre maître de portions du territoire. Le choc psychologique et moral mériterait d'être analysé dans les pratiques méta-stratégiques dans ce qui est fait pour dimensionner les moyens de l'État autant dans l'anticipation que dans la réaction.
Dans ce contexte, il est assez saisissant que l'État prévoyait en juin 2016 une participation militaire à hauteur d'une compagnie franco-hollandaise à un tel scénario, c'est-à-dire le passage d'un ouragan comme Irma. Par ailleurs, cet exercice visait à "améliorer la capacité d’intervention conjointe et l’interopérabilité des forces française et néerlandaise en cas de catastrophe naturelle sur cette île où cohabitent les deux nations." Une année plus tard, l'opération Albatros rassemblant les efforts militaires britanniques, français et hollandais est officiellement annoncée le 21 septembre 2017 : 15 jours après le passage d'Irma. Une année qui n'a pas été mis à profit, à l'évidence, par le gouvernement tandis qu'à diplomatie constante les présidents Hollande et Macron réclament... une relance de l'Europe de la Défense.
Les 2502 militaires français à pied d'œuvre à terre - sans compter, donc, les près de 355 marins français représentent plus l'équivalent de deux GTIA assez chiches sur les effectifs. Dit autrement, le général Lecointre, Chef d’État-Major des Armées (CEMA), se demandait à voix haute si la France était encore capable de lancer une opération comme Serval (4500 hommes, 2013). Si comparaison n'est pas raison, les faits permettraient de répondre "oui" en fixant d'impératives limites.
La première est que toute action géostratégique repose sur la relation entre l'espace, les forces et le temps. Le paradigme de la projection nous amenait à réduire le volume de forces disponibles afin de soutenir leur présence en des points éloignés des bases d'opérations et pour un temps relativement long, eu égard à la durée des opérations projetées en cas de batailles de rencontre d'avec l'Union soviétique. L'opération Serval était demandée par le pouvoir politique car il s'agissait au début du mois de janvier 2013 d'interdire à l'ennemi de fondre sur la deuxième moitié du Mali - il l'occupait d'ores et déjà la première au Nord. Ses forces étaient identifiées comme fondant, à tort, sur Bamako alors qu'elles auraient plutôt eu comme objectif Gao. L'objectif premier de Serval est alors de mettre en place une ligne d'arrêt puis de refouler les forces ennemies le plus au Nord jusqu'à leur destruction.
Les bases d'opérations sont très comparables dans les deux exemples puisque, pour l'opération Serval, des militaires sont détachés des différentes forces de présence en Afrique de l'Ouest (Sénégal, Côte d'Ivoire, Gabon et RCA) tandis que des renforts parviennent de métropole par voie aérienne (environ un tiers de capacités alliés mises à disposition de la France) alors que la partie la plus lourde et la plus volumineuse de la logistique transite par les navires de la Marine nationale, y compris ceux affrétés. La célérité entre la décision politique et son exécution sur le terrain jusqu'à la production des premiers effets stratégiques est proportionnelle au volume logistique disponible.
Les bases d'opérations existent également dans l'arc antillais puisque la majeure partie des forces françaises sont établies en Guyane (FAG - 2100 hommes) et les îles de Guadeloupe et de Martinique (FAA - 1000 hommes). La plateforme logistique est retenue à Pointe-à-pitre (Guadeloupe), à un jet de Saint-Martin. La célérité n'appartient pas au vocabulaire des opérations menées pour porter secours aux habitants de Saint-Martin. À force de ne pas assumer notre absence de projection stratégique soit par l'achat d'aéronefs, soit par le passage de contrats d'affrètement avec des compagnies civiles ou des organisations internationales (OTAN, EATC) ou encore soit par accords bilatéraux. La différence majeure d'avec l'opération Serval ne tient pas tant dans le format de notre Armée de l'Air - qui a peu évolué en matière d'avions de transport - que dans le fait que la plupart des nations ayant prêté assistance à la France pour le premier semestre 2013 ont, en très grande majorité, elles-même besoin de leurs aéronefs pour parer aux conséquences des premiers ouragans de catégorie 5 (États-Unis, Royaume-Uni, Hollande). Si le Canada est solidaire, l'Allemagne l'est-elle moins en assistant ses partenaires européens aux Antilles alors qu'elle accentue son effort au Mali ?
L'Armée de l'Air dénombre plus de 100 liaisons aériennes dont deux vols de C-17 du Canada et du Royaume-Uni. Si c'est l'Armée de l'Air qui, de concert avec d'autres pays, aident la France et ses très faibles moyens sur zone (deux CASA CN-235 (masse maximale de 16 tonnes contre 80 pour un C-130 ou 141 pour un A400M), quelques ATR42 de la seule compagnie aérienne locale, un puis deux A400M) réalise l'essentiel de la projection de forces intra- et inter-théâtre, c'est bien la Marine nationale qui apporte ce GTIA à dominante cavalerie qui ne dit pas son nom.
Dès le 6 septembre, la Marine nationale interrompt les missions des deux frégates de surveillance, Ventôse et Germinal. À partir du 7, ils apportent les premiers secours, des vivres et de l'eau. Les liaisons sont difficiles du fait de l'impraticabilité du port de Marigot. Le Panther du Ventôse est sollicité. Le BPC Tonnerre appareillait le 12 septembre après avoir été, officiellement, seulement mis en alerte pour appareillage le 9. Il entamait les opérations de débarquement le dimanche 24 septembre au petit matin afin de décharger l'essentiel des moyens de la sorte de GTIA à dominante génie ainsi que l'aide d'urgence, soit une cargaison d'environ 1000 tonnes. Il embarque deux NH90 TTH Caïman ainsi que deux Puma en plus des deux Puma d'ores et déjà en opérations sur l'île.
Dès lors, en ce qui concerne la partie maritime, la durée du transit face aux urgences prévisibles après le passage de l'ouragan rend difficilement supportable une traversée habituellement réalisée en dix à douze jours. Sans compter une absence de réactivité de l'État. Si les capacités de l'Armée de l'Air en matière de transport stratégiques devraient permettre d'acheminer un premier échelon d'urgence en attendant l'arrivée de gros moyens la métropole, il s'agit ici d'une vision théorique puisqu'il n'y a que 11 A400M. Les capacités de projection intra-théâtre sont extrêmement réduites de par les très faibles capacités d'emport des CN-235 et l'absence d'unité logistique navale. Les bruits de coursives relativisent la valeur opérationnelle du dernier BATRAL, parti deux mois avant ces opérations. Certes. Mais que dire des B2M qui, faute de capacité amphibie, se contente de débarquer le fret via un chaland de 8 mètres dépassant difficilement les 12 tonnes, eu égard à la capacité de leur grue. Là, où un BATRAL pouvait mettre à terre de gré ou de force 400 tonnes dont une compagnie d'infanterie ou de gendarmerie.
La France possède une autonomie d'action
amoindrie, proportionnelle à ses faibles moyens logistiques. Une
accélération des livraisons d'A400M ne peut être éludée dans la
perspective de la future loi de programmation militaire. Sur le plan
naval, les différentes façades maritimes perdaient une capacité amphibie
de premier échelon avec le retrait des BATRAL. Faute de programme
arrêté en la matière, il y a tout lieu de s'interroger sur les
différentes capacités susceptibles de renforcer les capacités aéro-amphibies :
- nouveaux chalands de débarquement adaptés à une projection intra-théâtre mais à l'utilité limitée hors opérations exceptionnelles par rapport aux activités courantes ;
- nouveaux bâtiments de débarquement de char qui n'existent dans aucun contrat opérationnel, aucune programmation ;
- nouveaux Transport de Chalands et de Débarquement (TCD) d'un type similaire au Bougainville ou aux frégates danoises de classe Absalon ;
- plusieurs unités semblables aux barges semi-submersibles de l'US Navy (ESB et ESD) pré-positionnées dans les façades maritimes les plus sensibles avec deux à trois EDA-R à bord.
Solutions qui exigent, toutes, de 100 à 600 millions d'euros d'investissement au minimum. Somme d'ores et déjà indisponible pour BATSIMAR. Aussi, toutes ces solutions impliquent de penser nos capacités aéro-amphibies de manière bien plus large que les seuls cas d'emplois pour la sauvegarde maritime et la protection du territoire national. Dans un contexte stratégique où les forces amphibies françaises sont organiquement et opérationnellement plus modestes que d'autres dans l'OTAN pour prendre une côte d'assaut.
Cette situation peu satisfaisante, nécessitant la projection d'un véritable GTIA à dominante génie depuis la métropole, n'est pas une fatalité. Les contrats opérationnels ne prennent pas en compte, en tous les cas dans leur partie publique, une gestion dynamique des potentiels opérationnels entre les postures diplomatico-militaires et les réservoirs de forces à entretenir. Ces derniers sont les plus indiqués pour parer au plus pressé qui de groupes armés non-étatiques ou qui d'une catastrophe naturelle. Il y a tout lieu de s'interroger sur une alerte, nouvelle ou complémentaire, semblable à Guépard mais dédiée au territoire national, ses risques et menaces. Tout comme le prépositionnement de moyens au plus près des flux de crises est une solution à ne pas écarter. Le NHS recensait les ouragans depuis 1850 et enregistrait le premier de catégorie 5 en 1924. Ceux de catégorie 4 se multiplient furieusement depuis le début des années 2000 tandis que ceux de catégorie 5 ne sont plus un maximum théorique mais un phénomène s'observant presque chaque année dans l'hémisphère Nord sur la même période.
Dans cette perspective, une sorte de mission Jeanne d'Arc avec un SGTIA embarqué dédié à ce type d'opérations constituerait une très belle capacité de réaction (très) rapide. Les opportunités d'entraînement dans la zone sont très nombreuses pendant une telle mission en attendant d'agir ou non.
Bonsoir !
RépondreSupprimerSynthétiquement , et pour reprendre vos réflexions , je dirais... :
- 1 EDA-R pour chaque territoire ( île ou façade) qui dispose d'au moins 2 plages de sable, permettant au EDA -R de plager ; et ce; à moins de 15 min d'un centre urbain significatif en terme de population.
- Si non présence de 2 plages de sable à moins de 15 min d'un centre urbain significatif en terme de population ----> le choix du LCAC est obligatoire !
- UN "Equivalent" BATRAL pour chaque zone du territoire maritime francais
De ce qui précède découle le constats suivant :
- Il faut 7 equivalents BATRAL au minima !
- Il faut entre 15 EDA-R / LCAC.
A +
Ancien de la Royale, je note l'absence de navire hopital au sein de la flotte, ce rôle pourrait être tenu par la construction d'un ou 2 BPC gréés en navire de soutien santé en conservant le pont d'envol et le plan amphibie mais en remplaçant les locaux hébergeant des troupes par des locaux de santé et de soins.
RépondreSupprimerLa marine nationale pourrait ainsi assister les OPEX, les catastrophes naturelles et dispenser des soins dans nos îles du Pacifique ou ailleurs dans le monde, tout cela pour un coût budgétaire très raisonnable.