Il
va être tenté de répondre à cette question par un survol de l'histoire
des combats navals. Tout survol est forcément incomplet et emprunte des
raccourcis qui peuvent donner l'impression de la contradiction. Cet
écueil n'est pas forcément erroné puisque pour répondre correctement à
cette question, il faudrait réellement effectuer ce voyage et les prises
de position ou les constatations ne manqueraient pas d'évoluer.
Néanmoins,
et ces prudences prises, un retour en arrière dans l'histoire des
combats navals peut amener tout à un chacun à être surpris par un
constat simple : envoyer par le fond le navire adverse, c'est très
compliqué. Pire, quand c'était à portée, cela n'était pas non plus une
volonté assumée et achevée puisque la perte du navire, même adverse,
signifie potentiellement la perte d'un éventuel gain stratégique (les
trésors du navire) et de son équipage. Et même la perte de l'équipage
adverse tout entier, ou celle de nos équipages, n'est pas un fait
assumé. Pourquoi donc le « choc » a été préférée au « feu » pour en
finir lors d'une bataille bien souvent, ou plutôt, pourquoi le feu
est-il d'un usage si modéré en mer ? Les possibilités du feu ne sont pas
entièrement exploitées. Ce qui en amène au sujet du jour : en quoi,
après le schéma qui va être dessiné, les armes à énergies dirigées
permettent de poursuivre la recherche de certains buts, dans une
certaine continuité historique.
Depuis
l'Antiquité jusqu'au début du XIXe siècle, les galères furent utilisées
par bien des marines. L'historien Philippe Masson n'hésite pas à écrire
que ce fut un "règne interminable". Dans l'un de ses ouvrages, "De la Mer et de sa Stratégie"
(aux éditions Tallandier), il décrit la place des galères dans
l'Histoire et les marines, pourquoi elles perdurèrent, pourquoi elles
disparurent.
La
galère est un navire fin, élancé, rapide et non-ponté. Elle est
l'expression matérielle du milieu où elle est appelée à naviguer : les
mers fermées ou étroites. C'est-à-dire des mers sans vents ni courants
réguliers, et sans marées. Grâce à ses deux modes de propulsion, elle
peut aussi bien se passer du vent qu'en profiter. Ce n'est pas un mince
choix pour un navire qui servira dans des mers où il n'y a pas de vents
dominants. Ces derniers déterminent plus ou moins bien les routes
navigables dans l'Océan. Mais dans les mers étroites ou fermés où ces
vents dominants sont absents, le navire le plus utile est celui qui est
le moins soumis aux aléas d'Eole.
In
fine, c'est l'idée de la manœuvre qui transparaît puisque, sans
évolutions nautiques, il n'est pas possible de manœuvrer. La dualité de
la propulsion (qui perdure de nos jours sous d'autres formes) permet ces
évolutions, et donc, de manœuvrer. C'est l'avantage essentiel et
millénaire de la galère. Cependant, cette manœuvre est très exigeante : à
travers les descriptions qui vont être faites de l'évolution matérielle
de ce navire, il va être possible d'apprécier la difficulté à manœuvrer
ce navire, voir ces navires en formation de combat. C'était un art que
la mise en œuvre des galères.
En
contre-partie à ces avantages, il faut dire que la galère n'était pas
le moyen le plus indiqué pour la navigation hauturière dans l'Océan. Il
faudra attendre la Galéasse.
Les
premières utilisations militaires des galères se basent sur l'attaque à
l'éperon. Il s'agit alors essentiellement de trirèmes et de birèmes. La
manœuvre est si exigeante que Philippe Masson dit bien que l'on ne peut
s'étonner qu'à partir de l'époque hellénistique l'abordage prenne le
pas sur l'éperonnage. Il faudra attendre l'arrivée de la poudre pour
voir une autre forme de combat supplanter l'abordage.
Ce
changement de tactique se transpose dans la construction des galères.
L'abordage est ou non préparé par des tirs d'artilleries : balistes ou
catapultes. Celle-ci, l'artillerie navale, sera presque toujours basée à
l'avant des galères. Le besoin d'une artillerie plus lourde se
transpose mécaniquement par des navires plus lourds. Cet accroissement
du tonnage et de la taille permet une meilleure tenue à la mer, ce qui
n'est pas pour déplaire à l'artillerie, et permet la possibilité
d'embarquer une plus grande compagnie d'abordage.
Les romains perfectionnent la technique grâce au covus: une passerelle rabattable dotée de grappins. Le covuss'abattait
sur les navires adverses. Dès lors, la manœuvre se cantonne de plus en
plus à aborder l'adversaire de la meilleure manière pour développer un
combat "terrestre" à son bord. Il ne s'agit plus de manoeuvre le navire
dans l'optique de couler l'autre par lui-même.
Le
meilleur compromis matériel est trouvé par les byzantins avec les
dromons. Navire relativement léger et rapide, doté de 50 avirons de
chaque bord répartis en deux rangées superposées. Il met aussi bien en
œuvre un éperon que des armes de jet.
Le
dromon se combine avec l'utilisation du feu, voire du Feu :
c'est-à-dire le feu grégeois. Son invention est attribué à Callinicus et
son apparition daterait de 670 après Jésus Christ. L'arme incendiaire
se compose de salpêtre, d'huile de naphte, de souffre ainsi que du
bitume. La particularité de ce mélange, c'est qu'il brûle, même au
contact de l'eau... L'œuvre de Georges R. R. Martin, « Games of
Thrones » a été portée à l'écran sous le contrôle de son auteur sous la
forme d'une série télévisée. La fin de la deuxième saison s'achève
notamment sur une bataille navale. Son objet est la capture de la
capitale de l'union des royaumes par le prétendant légitime. Mais
surtout, le défenseur de la capitale, lord Tyrion, utilise le feu
grégeois à travers une galiote. La vidéo n'emprunte peut être pas toutes
les rigueurs du travail de l'historien, mais elle peut donner un aperçu
de ce qu'était le feu grégeois pour le combat naval...
Mise en oeuvre au combat
La
galère est un navire offensif. La strucutre du navire impose certaines
tactiques car tout l'armement du navire (éperon, catapultes, balistes et
canons) demeurera presque toujours exclusivement à l'avant. De fait,
une présentation classique au combat semblera toujours se diviser entre
une préparation d'artillerie et l'abordage. A plusieurs reprises dans
l'histoire navale, l'éperonnage aura été pensé, tenté et utilisé. Mais
la manoeuvre est tellement exigeante, et dangereuse (venir à bout
portant d'un feu qui finira par être capable de décimer un pont entier
de marins) qu'elle aurait du couler assez vite dans les oubliettes de
l'histoire.
Les
galères ne peuvent se présenter qu'en ligne de front ou en formation
triangulaire. L'exercice est exigeant pour tenir ces formations.
Le combat naval s'apparente trait pour trait au combat terrestre :
Il
faudra attendre la bataille de Lépante pour voir apparaîre une autre
forme de combat où le canon deviendra l'arme principal pour couler les
navires adverses.
En
attendant celui-ci, la guerre navale ressemblera à une sorte de
manœuvre générale où il s'agira d'aborder au mieux, de près ou de loin,
les navires afin d'imiter la guerre terrestre. La capture du navire
adverse deviendra même un des points cardinaux des habitudes de la
guerre navale au temps des vaisseaux. Au temps des galères, il fallait
aborder le navire adverse pour aller décimer son équipage, faute
d'autres tactiques pour en venir à bout. Au temps des vaisseaux, la
chose se déroulait parfois dans la même idée, non pas car il n'était pas
possible de faire autrement, mais parce que, et contrairement aux
galères, la construction d'un vaisseau était suffisamment longue et
coûteuse en ressources pour considérer comme avantageux la prise du
navire ennemi.
Au Moyen-Âge
La
galère perdure jusqu'à cette époque. Aucun navire n'a encore pu la
supplanter dans ces mers sans vents dominants. Il y a très peu
d'innovation matérielle pour ce navire antique. C'est la propulsion qui
se trouve améliorée avec l'adoption de la nage a zenzileau
XIIIe siècle (trois rameurs décalés actionnent à partir du même banc
trois avirons). A la fin de l'ère médiévale, c'est la nage scalaccioqui
prend le relais : entre 5 et 7 hommes actionnent la même rame. C'est
cette disposition qui perdurera jusqu'à la fin des galères : moins de
rames, armées par plus d'hommes.
Le
canon fait son apparition à bord des galères à partir du milieu du XVe
siècle. Il sera une arme redoutable à leur bord, notamment à la bataille
de Lépante (1571), mais il signera la mise à mort des galères quand il
fut installé par rangées entières à bord des vaisseaux de ligne, percés
de sabords.
Sur le plan militaire, la Galéasse apparaît au XVIe siècle selon Philippe Masson -"De la Mer et de sa Stratégie". Ce navire hybride est la dernière évolution d'un navire plus que millénaire : la galère.
Cette tentative de conjuguer les avantages de la galère et des
précurseurs du vaisseau fera merveille dans premier temps, en
Méditerranée.
C'est
une hybridation car il s'agit d'améliorer un navire qui se fait
lentement mais surement déborder par les précurseurs du vaisseau. Sous
de multiples formes, celui-ci commence à imposer sa domination navale
aux autres utilisateurs de la mer. Les cogghe, puis les caraques, et
enfin les galions (qui sont une évolution de la caraque) menacent
définitivement le règne des galères. C'est l'artille navale portée par
ces nouveaux venus qui menacent les galères : portée latéralement, elle
accroit considérablement le nombre de bouches à feu à bord d'un navire
-ce qui offrent accessoirement de nombreuses et nouvelles possibiltiés
de manoeuvre et d'engagement.
Cette
nouvelle disposition de l'artillerie n'apporte pas une puissance de feu
théorique, mais bien réelle. Par exemple, à la bataille de Preveza
(1538), le Galion de Venise résiste à l'attaque de plusieurs galères
turques pendant une journée entière. Bien plus tard, en 1684, le
vaisseau français Le Bon, un 50 canons, commandé par le compte de
Relingue, brise pendant cinq heures l'assaut de 35 galères espagnoles.
L'historien Philippe Masson ajoute dans son ouvrage qu'un vaisseau
hollandais de 56 canons, La Licorne, sera capturé à l'abordage par six
galères sous le commandement du français La Pailleterie, en Mer du Nord.
Loin de réhabiliter la galère, cet engagement ne mettait en exergue que
l'avantage de la rame quand il n'y avait pas de vent, et l'avantage
historique d'équipages entraînés face à un équipage improvisé.
Dès
le début du XVIe siècle, la galère ne peut qu'apparaître comme menacée.
Elle est faite pour le combat singulier, et, définitivement, elle ne
pourra plus jamais (sauf exceptions) venir à bout d'un adversaire conçu
dans le Nord de l'Europe et portant une artillerie latérale.
Gênes
et Venise, les deux grandes puissance navales de la Méditerranée, se
doivent de réagir à cette remise en cause matérielle de leurs forces par
les puissances maritimes montantes du Nord de l'Europe.
Pour
parvenir à cette fin, il s'agit donc d'adapter aux galères ce qui
permettra aux vaisseaux de les supplanter définitivement : l'artillerie
navale fondée sur les canons. Depuis l'Antiquité, les galères embarquent
de l'artillerie : catapultes, balistes, divers engins incendiaires et,
enfin, des canons. Cette artille qui sert essentiellement, dans
l'Histoire, à préparer les abordages, n'est installée qu'en chasse,
c'est-à-dire à l'avant du navire. Dans cette partie se trouve de trois à
cinq bouches à feu, dont la plus grande est généralement surnommée le
coursier. Problème majeur, l'arrivée des différents navires
nord-européens introduisent une artillerie latérale. Fatalement, à
dimensions égales, le nombre de bouches à feu est bien plus importante à
bord des navires du Nord plutôt qu'à bord des galères qui se trouvent
très limitées dans l'emport de bouches à feu.
Loin d'abdiquer, la galéasse modernise considérablement son genre :
premièrement,
la coque est arrondie à la poupe comme à la proue, à la manière des
cogghe. Par ce biais une meilleure tenue à la mer est recherchée.
Deuxièmement, le navire est plus haut sur l'eau, ce qui s'accompagne d'un tirant d'eau augmenté.
Troisièmement,
des châteaux sont érigés à l'avant et à l'arrière du navire, à la
manière des carraques. Il En ce qui concerne le château arrière, la
domination de l'adversaire par la hauteur est recherchée car la guerre
sur mer est encore une guerre terrestre où s'affronte des forteresses
flottantes. Et donc, l'avantage va aux archers et aux arbalétriers plus
hauts sur l'eau que leurs adversaires. Mais surtout, le château avant
sert essentiellement à porter une artillerie nombreuse, en plus de celle
qui est généralement installée en chasse.
- Quatrièmement
: installation d'une artillerie navale dans les flancs du navire. C'est
là le principal apport des navires du nord qui tranchent foncièrement
de la galère par cette artillerie latérale.
Cependant,
la Galéasse ne s'émancipe peut être pas suffisamment de la galère. Elle
garde une propulsion à deux modes, ce qui semble indiqué pour les mers
étroites et fermées sans vents ni courants dominants. Ce qui peut
surprendre, surtout, c'est que le navire conserve un éperon. Le fait de
porter cet arme n'était peut être pas une tradition très coûteuse. Mais
cela relève une ambivalence dans l'utilisation militaire de la galéasse :
ses concepteurs ne choisirent pas entre le choc et le feu.
Choix
d'autant plus dommageable car la galéasse semble taillée pour le feu,
justement. De facto, dès la mise à l'eau des galéasses, il y a un
distingo à faire entre deux guerres navales :
la
guerre navale héritée de l'Antiquité où un ensemble de plateformes
navales manoeuvrent pour aller chercher le choc entre elles, et donc
l'abordage. Souvent, la manoeuvre des galères, et d'autres navires, est
semblable aux manoeuvres terrestres. En mer, il y eu également un centre
encadré par deux ailes. Ce qui revient à dire que le combat entre
navires ou entre équipages semble être une transposition de ce qui se
fait à terre.
- La
guerre navale qui émerge grâce aux navires du Nord de l'Europe
(caraque, galion, vaisseau) où le nombre de points de comparaison avec
la guerre terrestre va tendre à disparaître au fil des siècles.
L'abordage devient une méthode de combat tout à fait secondaire. C'est
le feu qui domine, et l'on manoeuvre moins pour aborder le navire
adverse afin d'aller en décimer l'équipage plutôt que pour immobiliser,
voir pour le détruire. Sa destruction mettra quelques siècles à devenir
un objectif préférable à sa capture.
A
la bataille de Lépante (1571), c'est par l'utilisation du feu que la
galéasse fera merveille. Il y aura à cette bataille la distinction entre
le navire du feu, la galéasse, et celui du choc, de la mêlée, la
galère.
En
tout les cas, la création de la galéasse permet de renouveler
intelligemment la galère en transposant les avancées de l'artillerie
navale provantn des puissances navales montantes du Nord de l'Europe. La
conservation des deux modes de propulsion de la galère permet aussi de
conserver à cette hybridation, pendant un temps, des capacités
manoeuvrières supérieures. Cependant, l'hybride ne prendra pas quand il
s'aventurera dans des milieux qui ne sont pas les siens. Bien malheureux
seront ceux qui feront quitter la galéasse de la Méditerranée pour
l'emener affronter les caraques, galions et autres vaisseaux sur un
terrain pour lequel ils ont été conçus. L'hybride n'était conçu que pour
son milieu. En dehors, il était obsolète, et pire, il était moins bon
que l'un (la galère) ou l'autre (caraque, galion) de ses parents. Dans
l'Océan, la galéasse cumulait les défauts et perdait ses avantages.
Apogée au XVIIe siècle
L'apogée.
Une galère ordinaire mesure 47 mètres de longueur, pour 6 de large et 2
à 3 mètres de tirant d'eau. Par rapport à la trirème antique, la
croissance a été modérée (contrairement à l'époque de la vapeur). Le
tonnage dépasse 250 tonnes (quand des séries entières de torpilleurs
déplaçaient 50 et 77 tonnes).
Concernant
la propulsion, les voiles latines se généralisent à leur bord (les
galères en portent deux). Ce type de voiles est particulièrement bien
adapté à la navigation dans les mers étroites et fermées car elles
étaient plus pratique pour remonter au vent. Le navire avance aussi
grâce à 25 paires de rames. Celles-ci sont actionnées par une chiourme
de 250 hommes.
L'équipage comprend également 120 matelots qui
sont dédiés à la manoeuvre et à la navigation. Ce qui tendrait à montrer
que, par rapport à son équivalent antique (et ses 13 matelots), faire
naviguer une galère du XVIIe siècle est un exercice bien plus complexe.
Il y a toujours un corps d'hommes uniquement dédié à l'abordage.
L'éperon
cède presque définitivement du terrain car il cède la place à une
quille. Celle-ci supporte une plateforme triangulaire qui doit faciliter
l'abordage.
Autre
chose intéressante à relever, la galère s'est diffusée : elle n'est
plus cantonnée à la Méditerranée, mais elle navigue également en mer
Rouge, mer du Nord, dans la Baltique et dans la mer des Antilles.
Disparition des galères
Entre
le XVIIe et le milieu du XVIIIe siècle, la majeure partie des galères
sont retirées des marines. Certaines iront jusqu'à connaître le XIXe
siècle. Il faut dire que fasse aux ponts garnis de sabords et de canons,
les frêles galères perdraient toute mobilité après une bordée de fer
dans leurs rames. Cette disparition donne même lieu à un échange
géographique de témoin : la méditerranéenne galère cède la place au
vaisseau du nord-européen.
Qui
plus est, le feu grégeois disparaît avec les navires à rames. L'empire
Byzantin aura emporter son secret. Ou presque car un certain Antoine
Dupré en aurait rapporté la formule à la cours de Louis XV en 1759. Le
roi ne choisit pas d'utiliser l'arme qui aurait donné pendant un
« certain temps » un avantage monstrueux à la France dans la guerre sur
mer. Après tout, il semblerait que personne n'avait réussi à enlever le
secret du feu grégeois aux byzantins.
Avènement du vaisseau
Les
galères, dromons et galéasses laissent place à des navires plus adaptés
aux exigences de la navigation hauturière. Il y a une période
transitoire où les deux types de navires vont cohabiter, soit entre le
Xe siècle (apparition des cogues) et le XVII (voire le XVIIIe siècle de
manière très épisodique). Ce navire qui nous vient des mers du Nord de
l'Europe se transformera pour devenir la « nef », soit le vaisseau qui
nous est si familier dans les guerres navales allant du XVIIe au XIXe
siècle. C'est bien la capacité à emprunter l'Océan qui consacre ce
changement de sceptre entre galère et vaisseau, mouvement appuyée par
les grandes découvertes. Mais le fait que, l'architecture des vaisseaux
est plus apte à l'emport de pièces d'artilleries en quantité et en
lourds calibres qui achève la transmission.
Les
guerres napoléoniennes consacrent le navire de ligne à trois ponts
(soit trois batteries couvertes) qui est le roi des mers. En réalité, et
comme l'auteur de « Trois ponts » peut nous l'apprendre, la place de ce
type de vaisseau de ligne dans les flottes des XVIII et XIXe siècle est
finalement assez marginal. C'est le navire de ligne à deux ponts qui
est le roi des mers, et les guerres, de l'indépendance américaine
jusqu'à celles de l'Empire (peu ou prou la période décryptée par Mahan
et Corbett), montrent, démontrent la supériorité de cette formule
architecturale sur l'autre.
Trois
ponts expliquait la chose ainsi : le trois ponts est lourd, peu
manœuvrant, lent. Qui plus est, sa batterie basse, celle portant les
plus lourdes pièces d'artillerie, est la plus proche de la ligne de
flottaison : à chaque fois que la mer est trop mauvaise, elle n'est pas
utilisée. Tandis que le vaisseau à deux ponts, il a fini par porter deux
batteries couvertes de canons au même calibre, aussi important que ceux
de la batterie basse d'un deux ponts. La batterie du deux ponts étant
assez haute au-dessus du niveau de la mer, elle peut toujours servir. Le
navire étant dans l'ensemble plus manœuvrant, il peut se mesurer avec
grands avantages face au trois ponts.
A travers l'arrivée des navires à vapeur, il faut distinguer deux grandes révolutions navales :
la propulsion à vapeur,
- les obus explosifs.
La
propulsion à vapeur est une Révolution Totale dans la stratégie navale.
Depuis la nuit des temps, le navire ne pouvait se mouvoir que par la
force des bras ou selon la bonne volonté des vents (d'où le fait de
consacrer à ceux-ci un dieu est bien occupé par les prières des marins).
Depuis que les bouches à feu se sont imposées à bord, elles ont pris la
place des rameurs, ne restait plus alors que le vent. Ce dernier était
une servitude incroyable dont on peut peiner à se rendre compte. Celui
qui avançait avec un vent favorable pouvait espérer remporter la
victoire puisqu'il avait l'énergie nécessaire à la manœuvre pour
déborder et/ou enrober son adversaire, ou, au contraire, se dérober.
Certains vents dominants étaient même de véritables obstacles invisibles
pour espérer prendre le dessus sur un adversaire. Tourville ne peut pas
profiter de sa victoire à la Hougue (1692) contre les anglais pour
faire passer l'escadre à Brest ou St Malo. Une partie de ses navires ne
dépassent pas le Cotentin faute de vent, donc faute d'énergie
nécessaire, et la victoire de veille devient défaite. C'est pourquoi le
port de Cherbourg existera, mais trop tard.
Mais
depuis que la propulsion à vapeur existe, les navires ont découvert une
liberté de mouvement totale ! Les nouvelles servitudes furent le
charbon et le pétrole... Mais elles s'effacèrent, presque, devant
l'énergie nucléaire.
Les
obus explosifs "à la paixhans" (XIXe siècle) permettent de faire ce que
l'on ne faisait pas ou plus (assertion qui renvoie directement à
l'introduction et aux prudences énoncées) depuis le feu grégeois :
couler des navires. Cela pouvait se produire, mais l'impression renvoyée
par le récit des batailles est que cette finalité était trop difficile à
atteindre.
Du
XVIe au XIXe siècle, avant les obus explosifs, il était plus
intéressant de "tirer à démâter" : c'est-à-dire que par diverses
munitions et tactiques, il était question de faire tomber la mâture
ennemie afin d'immobiliser le navire. Bordée par bordée, celui-ci
pouvait encaisser nombre de coups sans broncher... tandis que l'équipage
de faisait littéralement déchiqueter par les échardes qui s'échappaient
de la coque. L'arrivée des caronades montra même encore une fois qu'il y
avait un plus grand intérêt à annihiler l'équipage plutôt que de
chercher à détruire le navire.
L'un
des moyens de destruction était le brûlot : c'était une embarcation
chargée d'explosifs. Tout le sel de la manœuvre consistait à réussir à
faire approcher la bombe flottante du navire adverse en difficulté :
c'est tout l'enjeu du livre d'un certain lieutenant de vaisseau Castex
qui exposait que le feu devait désarmer le navire adverse (ce qui
sous-entend que, en mer on arme des navires par des hommes, et que le
feu agit en conséquence) pour ouvrir une brèche dans le dispositif afin
que la galiote approche avec sa funeste mission.
La
construction d'un navire trois ponts pouvant consommer de 2 à 2500
chênes et représentant une fortune colossale, il était relativement
courant de chercher à capturer le navire adverse. C'était un moyen aisé
pour étudier les techniques et technologies de l'adversaire, et pour
augmenter sa propre flotte au détriment du perdant.
Finalement,
c'était là une ligne traditionnelle du combat naval : depuis
l'Antiquité jusqu'à cette époque, il était plus simple de "désarmer" le
navire adverse (car il faut des hommes pour armer un navire) plutôt que
le couler. Il était alors :
Alors,
quand les obus explosifs arrivent, les tactiques navales évoluent
considérablement : quand il s'agissait plutôt de capturer le vaisseau
ennemi, avec les obus à la Paixhans la destruction devient plus
qu'envisageable. Et comment faire ? Le vaisseau est mû par la vapeur :
il n'est plus question de tirer à démâter. Dès lors, une chose
formidable se produit : le premier qui commence à toucher l'autre prend
l'avantage au cours du combat. Et la propulsion à vapeur offre toutes
les qualités requises pour avoir la liberté de manœuvre.
Finalement,
Mahan ne fait que baigner dans cette époque où le fait naval va de
révolution en révolution, tant sur le plan de la liberté des mouvements
que sur des possibilités tactiques qui sont offertes. C'est à croire
qu'il se focalise excessivement sur ce creuset où se réunissent des
innovations alors que l'histoire navale montre d'autres pratiques. Par
exemple, le feu grégeois n'a pas été diffusé de part le monde : si le
secret l'explique en partie, il faudrait peut être avancer une absence
de volonté pour se le procurer. Il n'est donc pas étonnant que l'amiral
américain cherche à démontrer que pour obtenir le commandement des mers,
il faut réussir à détruire la
flotte adverse. La « bataille décisive » pourrait être un anachronisme
qui se lit à travers le prisme des technologies de la seconde moitié du
XIXe siècle et qui sert à regarder ce qui se faisait avant.
Le cuirassé Dreadnought
n'est que l'accomplissement de l'idée la manœuvre pour détruire le
navire adverse : tout les organes, ou presque, du navire sont tournés
vers la mise en œuvre d'une batterie principale constituée de pièces du
même calibre dont l'objectif est de détruire l'adversaire.
Ce que
l'on pourrait oublier souvent, c'est que la propulsion à vapeur permet
également l'émergence du torpilleur et du sous-marin. Ce sont deux types
de navires qui vont considérablement perturber la constitution des
flottes, et dès lors, il ne s'agira plus simplement d'accumuler un grand
nombre de vaisseaux de ligne pour emporter la guerre navale, mais bien
d'atteindre les buts de la guerre, malgré les systèmes de forces de
l'adversaire.
Le porte-avions n'est que la continuation du
cuirassé par ce plan là puisqu'il permet d'élargir l'horizon des armes
en adaptant la puissance aérienne à la mer. Il n'y a pas de systèmes
d'armes qui ait un horizon plus éloigné.
Quelque part, le
sous-marin est le nouveau Dreadnought puisque les sous-marins d'attaque,
en particulier, sont entièrement tourné vers la destruction de
l'adversaire. C'est bien le premier qui entend (et non pas qui voit
l'autre depuis la fin des submersibles dans les années 50 du XXe siècle)
l'autre qui prend l'avantage. La torpille, par ailleurs, n'est pas une
arme au feu gradué : dès qu'elle atteint sa cible, cette dernière a peu
de chance de réchapper de la destruction. Le sous-marin d'attaquer
pourrait alors apparaître comme l'aboutissement de la recherche de la
destruction du navire adverse par le feu.
Autre
sous-marin, autres destructions, le Sous-marin Nucléaire Lanceur
d'Engins (S.N.L.E.) pourrait lui aussi être un autre Dreadnought : la
portée de ses armes est intercontinentale et le feu nucléaire signifie
autant destructions que terreur. Ce navire là s'attache plus à chercher à
produire un effet sur terre : ses armes dépassent la seule recherche de
l'obtention de la décision.
Mais
ces deux vaisseaux noirs là atteignent le paroxysme de l'utilisation du
feu dans la guerre navale : si l'efficacité dans la destruction de buts
navals et terrestre est « totale », elle amène dans une impasse.
Effectivement, le général Bauffre décrit la guerre comme étant un
affrontement de deux volontés opposées (dialectique). Les deux
belligérants n'ont que faire d'une monde purifié par le feu nucléaire,
ce qui écarte le cas du SNLE dans les développements suivants.
Le
sous-marin d'attaque pose bien des difficultés : s'il est désormais
possible de couler la flotte adverse, est-ce souhaitable ? Il ne
faudrait pas faire mentir l'Histoire : bien des guerres, bien des
batailles ont vu des navires être emportés corps et biens par la mer
sous les assaut de l'adversaire. Mais la capture tenait une grande
place. La bataille de Lépante (1571) voit un « anéantissement » de la
flotte turque, juste assez efficace pour qu'elle soit reconstruite en
quelques mois. La guerre des Malouines voit le HMS Conqueror torpiller
le croiseur Belgrano. Si les argentins pleurent l'orgueil de
leur marine, cela ne cacha pas que le spectacle d'un équipage livré au
feu et à la mer cruelle n'en provoqua pas moins un certain malaise en
Grande-Bretagne. Les anglais se souvinrent peut être à cette occasion de
l'émotion gigantesque produite quand le cuirassé Bismark envoya par le fond le HMS Hood : après quelques échanges de salves de 380mm, le Hood
explose depuis l'une de ses soutes à munitions. Il y avait 1200 hommes
d'équipages : il n'y aura que trois survivants. Si l'Argentine n'en
avait pas les moyens, l'Angleterre de Churcill put se livrer à une
fureur navale sans pareil pour exécuter l'ordre du Politique : « sink
the Bismark ! »
Ce
que l'on peut en retenir, c'est que, s'il est possible de détruire la
flotte adverse, c'est au risque de provoquer une chose qu'il n'est
nullement possible de réaliser : la montée aux extrêmes, décrite par
Clausewitz. L'humiliation d'une défaite, qu'elle soit la perte d'un
fleuron ou d'une flotte, est un puissant moteur de la revanche qui peut
aller au-delà des intérêts du pays. Le sous-marin est binaire, par
exemple : soit il détruit, soit il ne détruit pas. Le Politique ne peut
se satisfaire d'un tel manque de souplesse, pour ne pas dire de
subtilités. Ce qui explique pourquoi, d'une certaine manière (et encore
une fois trop rapide) la guerre littorale prend un tel essor, pourquoi
la guerre aérienne au servir des flottes ou permise par les flottes
devient de plus en plus souple et pourquoi, enfin, le sous-marin produit
autre chose que de la destruction de masse comme du renseignement et
des opérations spéciales.
Les armes navales doivent permettre de
peser sur la volonté de l'adversaire, pas de la raidir totalement à
toute solution négociée.
Le
cycle initié par les canons à la Paixhans, la torpille et le missile se
termine peut être. Si jamais tel était le cas, alors il faudrait ne pas
exclure totalement la destruction. Mais la possibilité de capturer tout
ou partie des forces adverses redeviendrait un but à atteindre. La
construction des navires -qu'ils naviguent sur ou sous l'eau- prend
tellement de temps et de ressources que capturer ceux de l'adversaire
pourrait être un gain stratégique non-négligeable. Ils peuvent permettre
de gagner du temps ou de récupérer celui que l'on perdait vis-à-vis des
avancées technologiques de l'adversaire : n'est-ce pas ce que l'Iran a
fait en prétendant capturer au moins un drone américain, qui pourrait
être un RQ-170 Sentinel ? Que ne fait pas la Chine en ayant rachetée des
porte-avions occidentaux envoyés à la casse ?
Mais
s'il fallait viser la possibilité de capturer et de faire des
prisonniers, dans le but d'avoir de quoi négocier sur le plan politique
sans provoquer une montée aux extrêmes, alors il faut des outils pour le
faire. Les armes à énergies dirigées sont certainement ces outils.
Première
chose, les flottes sont reliées à la terre sur des distances
planétaires grâce au centre de gravité spatial. Une arme
electro-magnétique bien dirigée et contenue dans une enveloppe
géographique bien délimité pourrait permettre d'isoler un groupe naval
adverse.
A
ce moment là, l'assaillant, armé de navires de surface ou de
sous-marins, pourrait achever de les isoler par divers outils : laser
contre moyens optroniques, armes électromagnétiques, micro-ondes, etc...
A la manière du feu des bordées, les navires seraient réduit au
silence. L'équipage en subirait encore les effets : il serait la victime
collatérale des dégâts que l'on cherche à infliger au vaisseau pour
l'immobiliser.
L'abordage redeviendrait un art périlleux.
Imaginer
qu'il y ait un état de belligérance intermédiaire entre les
escarmouches para-militaires et la guerre de haute intensité serait,
paradoxalement, un facteur de « paix » en Asie du Sud-Est. En effet,
dans cette région du monde, les volontés s'affrontent, mais les moyens
physiques non-cinétiques et cinétiques de la non-belligérance pour ce
faire s'épuisent : au-delà, c'est la dangereuse montée aux extrêmes.
Au
final, il y aurait bien à gagner à parvenir à cet ancien but de la
guerre navale qui pourrait devenir « moderne » : la capture des navires.
Pour l'un ce serait le moyen de gagner en savoirs, pour l'autre de
contrôler ce que l'adversaire maîtrise réellement comme savoir. Même si
aborder ne sera pas à la portée de tous (mais la guerre navale n'a
jamais été un sport de masse).