Depuis
l'Antiquité jusqu'au début du XIXe siècle, les galères furent utilisées
par bien des marines. L'historien Philippe Masson n'hésite pas à écrire
que ce fut un "règne interminable". Dans l'un de ses ouvrages, "De la Mer et de sa Stratégie"
(aux éditions Tallandier), il décrit la place des galères dans
l'Histoire et les marines, pourquoi elles perdurèrent, pourquoi elles
disparurent.
La
galère est un navire fin, élancé, rapide et non-ponté. Elle est
l'expression matérielle du milieu où elle est appelée à naviguer : les
mers fermées ou étroites. C'est-à-dire des mers sans vents ni courants
réguliers, et sans marées. Grâce à ses deux modes de propulsion, elle
peut aussi bien se passer du vent qu'en profiter. Ce n'est pas un mince
choix pour un navire qui servira dans des mers où il n'y a pas de vents
dominants. Ces vents dominants déterminent plus ou moins bien les routes
navigables dans l'Océan. Mais dans les mers étroites ou fermés où ces
vents dominants sont absents, le navire le plus utile est celui qui est
le moins soumis aux aléas d'Eole.
In
fine, c'est l'idée de la manoeuvre qui transparaît puisque, sans
évolutions nautiques, il n'est pas possible de manoeuvrer. La dualité de
la propulsion (qui perdure de nos jours) permet ces évolutions, et
donc, de manoeuvrer. C'est l'avantage essentiel et millénaire de la
galère. Cependant, cette manoeuvre est très exigeante : à travers les
descriptions qui vont être faites de l'évolution matérielle de ce
navire, il va être possible d'apprécier la difficulté à manoeuvrer ce
navire, voir ces navires en formation de combat. C'était un art que la
mise en oeuvre des galères.
En
contre-partie à ces avantages, il faut dire que la galère n'était pas
le moyen le plus indiqué pour la navigation hauturière dans l'Océan. Il
faudra attendre la Galéasse.
Les galères de l'Antiquité
La
plus connue (ou la moins mal-connue, comme dit monsieur Masson) des
galères de l'Antiquité est la fameuse trirème athénienne. En se fiant
aux dimensions des cales de l'arsenal de Zea (Le Pirée), ce navire
devait mesurer 38 mètres de long pour 5 de large avec un tirant d'eau
d'un mètre (environ).
Trirème
désigne une galère avec trois rangées de rameurs qui étaient, en
principe, supperposées. Il y eu également des quadrirèmes et des
quinquérèmes. Quel que soit le nombre de rangées de rameurs, le débat
sur la manière dont les rameurs étaient installés et comment ils
manoeuvraient ensemble les rames n'est pas encore tranché par les
historiens.
Ce
navire était mu, à cette époque, par 170 rameurs, 7 officiers, 13
matelots chargés de la manoeuvre et un corps de débarquement ou
d'abordage d'une dizaine d'épibates.
Les
premières utilisations militaires des galères se basent sur l'attaque à
l'éperon. Il s'agit alors essentiellement de trirèmes et de birèmes. La
manoeuvre est si exigeante que Philippe Masson dit bien que l'on ne
peut s'étonner qu'à partir de l'époque hellénistique l'abordage prenne
le pas sur l'éperonnage. Il faudra attendre l'arrivée de la poudre pour
voir une autre forme de combat supplanter l'abordage.
Ce
changement de tactique se transpose dans la construction des galères.
L'abordage est ou non préparé par des tirs d'artilleries : balistes ou
catapultes. Celle-ci, l'artillerie navale, sera presque toujours basée à
l'avant des galères. Le besoin d'une artillerie plus lourde se
transpose mécaniquement par des navires plus lourds. Cet accroissement
du tonnage et de la taille permet une meilleure tenue à la mer, ce qui
n'est pas pour déplaire à l'artillerie, et permet la possibilité
d'embarquer une plus grande compagnie d'abordage.
Les romains perfectionnent la technique grâce au covus : une passerelle rabattable dotée de grappins. Le covus
s'abattait sur les navires adverses. Dès lors, la manoeuvre se cantonne
de plus en plus à aborder l'adversaire de la meilleure manière pour
développer un combat "terrestre" à son bord. Il ne s'agit plus de
manoeuvre le navire dans l'optique de couler l'autre par lui-même.
Le
meilleur compromis matériel est trouvé par les byzantins avec les
dromons. Navire relativement léger et rapide, doté de 50 avirons de
chaque bord répartis en deux rangées superposées. Il met aussi bien en
oeuvre un éperon que des armes de jet.
Au Moyen-Âge
La
galère perdure jusqu'à cette époque. Aucun navire n'a encore pu la
supplanter dans ces mers sans vents dominants. Il y a très peu
d'innovation matérielle pour ce navire antique. C'est la propulsion qui
se trouve améliorée avec l'adoption de la nage a zenzile au
XIIIe siècle (trois rameurs décalés actionnent à partir du même banc
trois avirons). A la fin de l'ère médiévale, c'est la nage scalaccio
qui prend le relais : entre 5 et 7 hommes actionnent la même rame.
C'est cette disposition qui perdurera jusqu'à la fin des galères : moins
de rames, armées par plus d'hommes.
Le
canon fait son apparition à bord des galères à partir du milieu du XVe
siècle. Il sera une arme redoutable à leur bord, notamment à la bataille
de Lépante (1571), mais il signera la mise à mort des galères quand il
fut installé par rangées entières à bord des vaisseaux de ligne, percés
de sabords.
Apogée au XVIIe siècle
L'apogée.
Une galère ordinaire mesure 47 mètres de longueur, pour 6 de large et 2
à 3 mètres de tirant d'eau. Par rapport à la trirème antique, la
croissance a été modérée (contrairement à l'époque de la vapeur). Le
tonnage dépasse 250 tonnes (quand des séries entières de torpilleurs
déplaçaient 50 et 77 tonnes).
Concernant
la propulsion, les voiles latines se généralisent à leur bord (les
galères en portent deux). Ce type de voiles est particulièrement bien
adapté à la navigation dans les mers étroites et fermées car elles
étaient plus pratique pour remonter au vent. Le navire avance aussi
grâce à 25 paires de rames. Celles-ci sont actionnées par une chiourme
de 250 hommes.
L'équipage comprend également 120 matelots qui sont dédiés à la manoeuvre et à la navigation. Ce qui tendrait à montrer que, par rapport à son équivalent antique (et ses 13 matelots), faire naviguer une galère du XVIIe siècle est un exercice bien plus complexe. Il y a toujours un corps d'hommes uniquement dédié à l'abordage.
L'équipage comprend également 120 matelots qui sont dédiés à la manoeuvre et à la navigation. Ce qui tendrait à montrer que, par rapport à son équivalent antique (et ses 13 matelots), faire naviguer une galère du XVIIe siècle est un exercice bien plus complexe. Il y a toujours un corps d'hommes uniquement dédié à l'abordage.
L'éperon
cède presque définitivement du terrain car il cède la place à une
quille. Celle-ci supporte une plateforme triangulaire qui doit faciliter
l'abordage.
Autre
chose intéressante à relever, la galère s'est diffusée : elle n'est
plus cantonnée à la Méditerranée, mais elle navigue également en mer
Rouge, mer du Nord, dans la Baltique et dans la mer des Antilles.
Mise en oeuvre au combat
La
galère est un navire offensif. La strucutre du navire impose certaines
tactiques car tout l'armement du navire (éperon, catapultes, balistes et
canons) demeurera presque toujours exclusivement à l'avant. De fait,
une présentation classique au combat semblera toujours se diviser entre
une préparation d'artillerie et l'abordage. A plusieurs reprises dans
l'histoire navale, l'éperonnage aura été pensé, tenté et utilisé. Mais
la manoeuvre est tellement exigeante, et dangereuse (venir à bout
portant d'un feu qui finira par être capable de décimer un pont entier
de marins) qu'elle aurait du couler assez vite dans les oubliettes de
l'histoire.
Les
galères ne peuvent se présenter qu'en ligne de front ou en formation
triangulaire. L'exercice est exigeant pour tenir ces formations.
Le combat naval s'apparente trait pour trait au combat terrestre :
- les flottes se structurent avec un centre et deux ailes. L'une d'elle est généralement appuyée à la côte.
- Lors de l'abordage, il s'agit d'un combat au corps à corps.
Il
faudra attendre la bataille de Lépante pour voir apparaîre une autre
forme de combat où le canon deviendra l'arme principal pour couler les
navires adverses.
En
attendant celui-ci, la guerre navale ressemblera à une sorte de
manoeuvre générale où il s'agira d'aborder au mieux, de près ou de loin,
les navires afin d'imiter la guerre terrestre. La capture du navire
adverse deviendra même un des points cardinaux des habitudes de la
guerre navale au temps des vaisseaux. Au temps des galères, il fallait
aborder le navire adverse pour aller décimer son équipage, faute
d'autres tactiques pour en venir à bout. Au temps des vaisseaux, la
chose se déroulait parfois dans la même idée, non pas car il n'était pas
possible de faire autrement, mais parce que, et contrairement aux
galères, la construction d'un vaisseau était suffisamment longue et
coûteuse en ressources pour considérer comme avantageux la prise du
navire ennemi.
Disparition des galères
Entre
le XVIIe et le milieu du XVIIIe siècle, la majeure partie des galères
sont retirées des marines. Certaines iront jusqu'à connaître le XIXe
siècle. Il faut dire que fasse aux ponts garnis de sabords et de canons,
les frêles galères perdraient toute mobilité après une bordée de fer
dans leurs rames.
Cette
disparition donne même lieu à un échange géographique de témoin : la
méditerranéene galère cède la place au vaisseau du nord-européen.
Analogie entre la galère et la guerre littorale d'aujourd'hui ?
Il
est assez intéressant de relever que la galère était le navire typique
des mers fermées. Elle y évoluait grâce ses deux modes de propulsion qui
lui permettait de s'affranchir des contraintes d'Eole. Mais elle
n'était pas du tout hautière car elle était avant tout une unité très
littorale.
Cette relative indépendance aux vents permettait des tactiques littorales audacieuses. Par exemple, lors de la bataille navale de Salamine (480 avant JC), les grecs, menés par Themistocle, attendirent l'escadre perse de Xercès dans la rade de Salamine. Allant à leur rencontre, voir leur recherche, les Perses passèrent face à l'ouverture de cette rade, mais en présentant leurs flancs aux grecs. Ces dernièrs, qui espéraient justement une telle présentation au combat, mirent les rameurs en actions. Ils purent aborder en position de force les perses, désemparés face à une telle attaque surprise, en si mauvaise posture. Eperonnages et abordages se succèderont, jusqu'à la victoire grecque. Cette attaque d'une escadre manoeuvrant bien perpendiculairement à un adverse mal préparé et inapte à manoeuvrer suffisamment vite n'est pas sans rappeler un certain Nelson à Trafalgar.
Cette relative indépendance aux vents permettait des tactiques littorales audacieuses. Par exemple, lors de la bataille navale de Salamine (480 avant JC), les grecs, menés par Themistocle, attendirent l'escadre perse de Xercès dans la rade de Salamine. Allant à leur rencontre, voir leur recherche, les Perses passèrent face à l'ouverture de cette rade, mais en présentant leurs flancs aux grecs. Ces dernièrs, qui espéraient justement une telle présentation au combat, mirent les rameurs en actions. Ils purent aborder en position de force les perses, désemparés face à une telle attaque surprise, en si mauvaise posture. Eperonnages et abordages se succèderont, jusqu'à la victoire grecque. Cette attaque d'une escadre manoeuvrant bien perpendiculairement à un adverse mal préparé et inapte à manoeuvrer suffisamment vite n'est pas sans rappeler un certain Nelson à Trafalgar.
Ainsi,
cette capacité à jouer de la géographie pour attaquer l'adversaire au
moment où il se présente le moins bien au combat, soit qu'il n'aura
jamais le temps de manoeuvrer, soit qu'il sera surpris, n'est pas sans
rappeler les vedettes lance-torpilles et les patrouilleurs
lance-missiles. Ils étaient incapables de tenir un combat en haute-mer,
mais, par contre, s'ils étaient utilisés intelligement dans le cadre
d'une guerre littorale, alors ils faisaient merveille.
De
la galère au patrouilleur lance-missiles, il y a cette idée d'un navire
bien adapté à son milieu d'opération qui est constitué de mers étroites
et fermés. Ce n'est pas la guerre navale en haute mer, c'est la guerre
littorale. Cela expliquerait assez bien (toute proportion gardée, ce
n'est pas une étude historique et stratégique...) la très longue
longévité des galères dans ces mers là, et le fait que dans la mer
Rouge, la mer Baltique, la mer Noire, la mer Caspienne, les mers de
Chine ou le Golf Persique, les unités légères lourdement hérrissées
d'artillerie et dotées de qualités nautiques adaptés à leur milieu
prolifèrent autant.
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