Né le 27 mars 1955 à Paris. Après une classe préparatoire dans la capitale, il intègre la promotion 1974 de l'Ecole navale. A l'issue de la campagne d'application à la mer qui lui permet de découvrir le Pacifique pour la première fois, il est affecté en 1977 sur le patrouilleur Canopus au Sénégal puis aux Antilles. En 1979, Jean-Louis Vichot retrouve la métropole dans les forces sous-marines à bord des sous-marins classiques La Praya et Argonaute. Il commande en 1980 le dragueur côtier Eglantine puis retourne aux forces sous-marines 9sous-marins Béveziers, Flore, Doris, Saphir, Rubis). En 1989, il commande l'équipage Rouge du SNA (Sous-marin Nucléaire d'Attaque) Rubis puis l'équipage Bleu du SNA Casabianca. Après quelques affectations à Paris et sur le SNLE Le Tonnant, il commande de 1999 à 2001 l'équipage Bleu du SNLE (Sous-marin Nucléaire Lanceur d'Engins) Le Téméraire. En 2008, après un séjour à Naples, il devient le commandant supérieur des forces armées en Polynésie, il dirige en 2010 le Centre d'Etudes Stratégiques de la Marine (C.E.S.M.) et achève en décembre 2012 sa carrière de marin d'active en tant que chargé des relations internationales auprès du CEMM.
Le Pacifique français est un joyau de l'Archipel France.
Seules terres européennes dans cet océan, si l’on excepte la minuscule ile
britannique de Pitcairn, il regroupe 23 300 km² de terres émergées pour 6,9
millions de km² de Zones Economiques Exclusives (Z.E.E.) soit plus de la moitié
du domaine maritime français. Avec plus de 500 000 citoyens français sur un sol
français et 120 000 citoyens enregistrés auprès des consulats français des
nations du Sud-Est asiatique, cette région rassemble plus de nationaux que
l'Afrique et bénéficie d'une francophonie, elle-aussi, dynamique. Comment
expliquer le peu d'intérêt porté à cet espace d'avenir ?
La première raison est sans aucun doute l’ignorance. La
France des antipodes est très peu connue des métropolitains. Pays d’outremer,
la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie ont très rarement les honneurs de la
télévision métropolitaine, ne serait-ce que pour évoquer le temps qu’il y fait!
Les départements d’outremer sont souvent mieux servis. Ce sont des pays qui
font rêver mais que bien peu de nos compatriotes savent placer sur une carte. Et
pourtant ces iles sont des atouts précieux pour la France. Des atouts précieux
au niveau diplomatique, culturel et économique. La France est ainsi, grâce aux
plus de 500 000 français qui vivent dans le Pacifique sur un territoire
français, la seule nation européenne du Pacifique. Cette population
conséquente, la surface des territoires et des eaux sous souveraineté
nationale, les richesses halieutiques et minières actuelles et en devenir font
de la France un Etat qui compte en Océanie. Associant souvent les représentants
de Nouvelle-Calédonie, de la Polynésie française et de Wallis et Futuna à leurs
travaux, les ambassades du Pacifique Sud dont l’Australie, la Nouvelle-Zélande,
les Samoa ou le Chili ont su étendre l’influence française dans cette partie du
monde en particulier depuis la fin des essais nucléaires. La France est un
facteur de stabilité important du Pacifique Sud qui contribue à protéger les
ressources locales et l’environnement contre toutes les activités
prédatrices. Ces territoires constituent
aussi des points d’appui qui permettent aux moyens navals, réduits mais
toujours présents, de montrer le pavillon dans cet Océan Pacifique, océan du
XXIème siècle. D’un point de vue économique, ces territoires ont des
situations différentes, tous profitent d’activités touristiques, mais en
Nouvelle-Calédonie, la principale richesse demeure le nickel tandis qu’en
Polynésie et à Wallis et Futuna, les richesses minières des fonds marins sont
encore en cours d’exploration, même si la situation est plus avancée à Wallis
et Futuna. La pêche et la culture des perles sont des activités importantes en
Polynésie mais elles souffrent de l’éloignement des lieux de vente qui ne peut être compensé que
par un constante recherche de qualité.
Nos territoires dans le Pacifique voyaient leurs moyens
militaires réduits de moitié depuis 2008 alors que les ambitions militaires et
navales dans la région sont exacerbées. Comment défendre la souveraineté
française dans ces territoires face au nombre très important de sous-marins
dans cet océan ? Nous faut-il des sous-marins ou des navires disposant de
moyens de lutte anti-sous-marine ?
Les territoires français du Pacifique sont protégés
naturellement par l’immense étendue d’eau qui les sépare des lieux de tension
actuels, situés principalement sur la rive occidentale du Pacifique. Seule la
Nouvelle-Calédonie se trouve relativement proche de l’arc mélanésien des crises
mais celui-ci bénéficie d’une relative stabilité depuis le début du siècle, la
dernière crise, aux Fidji, est en voie de règlement, la situation en
Nouvelle-Guinée apparaît sous contrôle, pour le moment. En fait les menaces sur
ces territoires concernent la souveraineté : lutte contre les activités
criminelles (trafic de drogue, contrefaçon, blanchiment d’argent,…), préservation
des ressources (pêche illicite, recherches scientifiques, en particulier minières
non autorisées,…).
Toute autre est la situation des ressortissants français, de
plus en plus nombreux, qui vivent en Asie, répartis depuis la Malaisie et
l’Australie, au Sud jusqu’en Chine et au Japon au Nord. La sécurité de ces
expatries, les activités économiques dans lesquelles ils sont impliques, sont
menacées par les rivalités qui se développent le long des cotes occidentales du
Pacifique : piraterie toujours endémique dans le détroit de Malacca et
l’archipel indonésien, disputes de souveraineté en Mer de Chine méridionale, en
mer du Japon et jusqu’aux îles Sakhaline. L’attitude de plus en plus
revendicative de la Chine sur des zones extrêmement vastes se traduit par une
intense activité navale et une série d’incidents fréquents. Chacun de ces
incidents risquant de dégénérer dans un contexte marque par le souci de préserver
la face dans une région où le souvenir des atrocités du second conflit mondial,
voire de conflits plus anciens est entretenu par des courants nationalistes
puissants.
Cette région du monde est celle où les pays ont le plus accru
leurs dépenses de défense, développant en particulier leur puissance navale. La
Chine a entrepris un grand programme de construction afin de se doter d’un
instrument de puissance navale à la hauteur de ses ambitions politiques et de
sa puissance économique. Elle affiche ainsi sons ambition de se placer dans la
région a un niveau de puissance comparable a celui des Etats-Unis d’Amérique.
La Chine a en effet l’ambition de se substituer aux Etats-Unis comme
garant de la sécurité dans la région.
Cette ambition n’est pas partagée et c’est pourquoi le Japon et la Corée du Sud
mais aussi la Malaisie, Singapour et le Vietnam se dotent de moyens navals
importants, en particulier de sous-marins. Etat du Pacifique, toujours
impliquée en Corée car membre de la commission d’armistice, la France doit être
en mesure d’apprécier la situation navale dans la zone, elle le fait avec les
frégates pré-positionnées a Nouméa et à Papeete mais le passage de la mission
Jeanne d’Arc avec le BPC Dixmude et la frégate Aconit est une excellente occasion
de montrer le pavillon, d’actualiser les informations sur cette zone
d’opérations navales de la plus haute importance pour l’économie de notre pays.
Vous avez pu souligner dans vos propos la place importance
tenue par la diplomatie humanitaire dans les missions des forces armées
françaises dans le Pacifique, les moyens lourds (CN-235, P400, BATRAL,
Guardian) étant concentrés en Nouvelle-Calédonie. Le comité directeur de la
fonction garde-côtes n'aurait-il pas son utilité pour devenir le lieu de
réflexions et de conceptualisation sur la cohérence entre les capacités des
navires et des avions au regard des forces terrestres à engager pour ces
missions ?
C’est effectivement au comité directeur de la fonction garde-côtes,
instauré par le décret du 22 juillet 2010 qu’il appartient de définir les
politiques conduites au titre de la fonction garde-côtes et d’identifier des priorités
d’action. Mais les recommandations de ce comité, réuni sous l’autorité du secrétaire
général de la mer doivent être validées en comité interministériel pour la mer
(CiMer). Au quotidien, c’est le centre opérationnel de a fonction garde-côtes
qui mutualise les informations et participe ainsi à l’utilisation coordonnée
des moyens. En Polynésie (cet archipel représente à lui seul plus de la moitié
du domaine maritime national), un centre maritime commun a été créé pour
permettre une utilisation mutualisée des moyens réduits de chaque
administration.
La politique et les moyens nécessaires ont été parfaitement définis.
Ce qui manque ce sont les moyens, bâtiments et aéronefs car les équipements
actuels.
Le ministère de la Défense demeure le principal contributeur,
soutenu par l’Intérieur et les Finances (Douanes). Les moyens ont été
clairement identifiés : deux hélicoptères de service public Dauphin complètent
les Guardian de la Marine, eux-mêmes parfois remplacés par les avions de
transport tactique Casa CN-235 de l’armée de l’Air. Sur mer, l’arrivée du
premier bâtiment multi-missions (B2M) est prévue pour 2016 à Nouméa et sans
doute en 2018 à Papeete pour remplacer respectivement les P400 et le
patrouilleur Arago, un bâtiment de soutien et d’assistance hauturier (BSAH)
devrait compléter les moyens navals en Polynésie mais après de multiples
travaux préliminaires un nouvel appel d’offres a été lance le 18 avril 2014 et
le premier BSAH n’est pas attendu avant 2016.
Le Revi devra être prolongé jusque là.
Le remplacement des patrouilleurs par les BATSIMAR est
espéré pour 2024 avec la livraison des deux premières unités. Face à
l'importance des flottes sous-marines et de surface dans le Pacifique, la
diplomatie navale française peut-elle être encore crédible avec de simples
patrouilleurs quand les frégates de surveillance (Vendémiaire et Prairial),
pourtant armées, n'impressionnent pas ou plus dans la région ?
Aucun des bâtiments
que vous citez n’est un bâtiment de premier rang capable d’opérations navales contre
d’autres bâtiments de guerre même si les frégates de surveillance ont des
capacités significatives en lutte antisurface, suffisantes pour naviguer dans
des zones où sévit la piraterie ou pour s’attaquer à des marines composées de
patrouilleurs. Ces frégates n’ont en effet aucune capacité anti-sous-marine et
de très faibles capacités anti-aériennes. Il faudrait donc faire appel à des
moyens de métropole. Ce n’est pas impossible : souvenons-nous que lors des
essais nucléaires atmosphériques dans le Pacifique, la moitié de la flotte
française d’alors avait été déployée dans le Pacifique, y compris le
porte-avions Clemenceau, basé un temps a Papeete. Depuis, le SNA Rubis a fait
escale à Nouméa et à Papeete. Comme le porte-avions et les autres bâtiments de
surface, les sous-marins nucléaires français peuvent être déployés dans le
Pacifique. C’est l’immense avantage d’une marine hauturière expérimentée dotée
d’un réseau de points d’appui mondial.
Ce sont bien ces
moyens là et eux seuls qui peuvent impressionner dans la région. D’où
l’importance de la mission Jeanne d’Arc cette année dans le Pacifique.
Dans les années 80 du XXe siècle, l'île de Clipperton
était sujet à études sur sa pertinence comme base océanique. Entre la
redistribution des flux maritimes mondiaux qui suivent le glissement du pivot
de l'économie mondiale de l'Atlantique au Pacifique et l'agrandissement du
canal de Panama plus l'ouverture potentielle d'un second canal au Nicaragua,
que dire sur l'importance de cette île que le Mexique nous dispute ?
Cette île ne nous est plus disputée par le Mexique, nos
diplomates ayant pu établir un accord avec le Mexique qui préserve notre souveraineté
et ménage les intérêts des pêcheurs mexicains. Pour autant, cette île, qui
n’est qu’un atoll de 8,9km2 émergeant de quelques mètres au-dessus
des flots. Pendant la seconde guerre mondiale, les Américains y avaient aménagé
un terrain d’aviation sommaire dont il ne reste rien. Le lagon central est
isolé de l’océan. Aménager cet atoll représenterait une tache considérable que
rien ne justifie aujourd’hui même si sa position géographique le place sur la
route de Panama vers la Corée du Sud. La France s’efforce donc de préserver le
patrimoine halieutique que constitue Clipperton : y surveiller la pêche,
prévenir l’installation de criminels (trafic de drogue), empêcher
l’exploitation sans accord national des fonds marins (riches en nodules
polymétalliques), étudier et protéger la faune et la flore. Le lagon fermé,
très profond, est un espace très particulier dont l’exploration a à peine
commencé.
Faut-il constituer un grand commandement stratégique
allant de l'océan Indien à l'océan Pacifique pour entretenir nos actions,
notamment pour la préservation de la liberté de navigation ?
Les opérations maritimes de l’océan Indien et de l’océan
Pacifique sont essentiellement
coordonnées par les commandements interarmées de l‘océan Indien (Abu Dhabi –
EAU) et de l’océan Pacifique (Papeete). Le nombre restreint de formations
(bâtiments, aéronefs, éléments terrestres) qu’ils mettent en œuvre ne justifie
pas la constitution d’un grand commandement stratégique. Sous l’autorité du
chef d’état-major des armées, ces commandants assurent efficacement le contrôle
opérationnel des forces déployées ou stationnées dans ces océans. En océan
Indien et dans le détroit de Malacca, au-delà, en mer de Chine méridionale,
grâce à la coopération des marines alliées ou amies, il est possible d’informer
les navires de commerce sous pavillon français des risques qu’ils encourent et,
éventuellement, de les protéger. Ainsi, la France participe à l’Intelligence
Fusion Centre de Singapour qui coordonne la surveillance des navires dans le
détroit de Malacca et dans le Sud de la mer de Chine méridionale.
Pourriez-vous nous dire ce qui a retenu le plus votre
attention dans la montée en puissance des flottes asiatiques : la rapidité
du phénomène ? L'importance du tonnage, du nombre d'armes par
bateau ? Les problématiques aéronavales, sous-marines ?
C’est incontestablement la vitesse avec laquelle le monde
maritime asiatique, fort d’une longue tradition maritime entretenue par des
flottilles de pêche considérables, soutenu par une tradition commerciale
millénaire et par une industrie sans cesse plus performante a pu développer en
quelques décennies de très belles marines comme celles du Japon, de Corée du
Sud, de Singapour, de Chine. Les trois
premières n’ont pas grand chose à envier aux marines occidentales. Longtemps
limitées aux abords de leurs pays, elles se sont depuis habituées à naviguer de
plus en plus loin de leurs bases (c’est aussi vrai pour la Chine) en
participant à la lutte contre la piraterie en océan Indien. Longtemps sous-marinier, je suis très
intéressé par le développement des forces sous-marines dans cette partie du
monde au profit d’une stratégie de déni d’accès des petites marines contre les
plus puissantes, dans une zone où le libre passage des navires de commerce est
essentiel à la bonne marche de l’économie mondiale, de notre économie.
Beaucoup de ces flottes mettent en œuvre des navires
brise-glace ou à capacité polaire. Que dire de nos propres activités polaires
quand, d'une part, l'activité de la Marine nationale s'accroît dans
l'Atlantique Nord, et d'autre part que l'Astrolabe et l'Albatros
seront remplacés par un seul navire et que la succession des Marion Dufresne
II, Malabar et Tenace n'est pas ouverte ?
L’océan Arctique est le seul océan où la France ne dispose
pas de zone économique exclusive. Elle doit aux talents de ses explorateurs, en
particulier du Professeur Charcot ou de Paul-Emile Victor d’avoir un statut
d’observateur au Conseil de l’Arctique. Par contre, la France possède des
terres en Antarctique et y conduit des
opérations scientifiques.
Une centaine d’équipes scientifiques participe chaque année à
cette activité scientifique. L’Institut Paul Emile Victor dispose en propre d’un navire, le Marion
Dufresne et de deux autres affrétés
(l’Astrolabe et la Curieuse). Avec le prochain désarmement de l’Albatros,
patrouilleur spécialisé de la marine nationale, la seule solution passe par
l’affrètement.
Vous êtes l'auteur avec Philippe Nôtre de « L'abécédaire
des forces sous-marines » (chez Decoopman éditions, paru en 2014). Que
vous inspire la mise à l'eau prochaine du Suffren, la perspective du
SN3G ?
Beaucoup
de fierté : la France est un des seuls pays à pouvoir construire seul des
sous-marins nucléaires très performants. Nos camarades britanniques ont dû
faire appel aux Américains pour
construire leurs sous-marins nucléaires. Ce n’est pas infamant mais cela
montre simplement que le savoir faire dans la construction de sous-marins
nucléaires est aussi un enjeu de souveraineté.
Une
certaine sérénité aussi : en cette époque où Monsieur Poutine menace les
frontières orientales de l’Europe et Monsieur Kim Jong-un la Corée du Sud et le Japon, il n’est pas
inutile de rappeler que la France est une puissance nucléaire capable de
frapper partout dans le monde, avec ses sous-marins ou les avions du
porte-avions. En pleine crise
ukrainienne, le discours du Président de la République sur la dissuasion, le
jeudi 19 février 2015, a sans doute rappelé à Monsieur Poutine qu’il n’est pas
le seul à disposer d’armes nucléaires, en toute souveraineté.
Amiral, avec tous les lecteurs de ce blog, nous vous remercions d'avoir bien voulu prendre le temps pour nous faire part de vos réflexions à travers cet entretien !
Amiral, avec tous les lecteurs de ce blog, nous vous remercions d'avoir bien voulu prendre le temps pour nous faire part de vos réflexions à travers cet entretien !
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