Poser cette question, c'est donner très peu d'éléments de réponses, et recevoir beaucoup de critiques car nous touchons aux confins du droit constitutionnel, de la science politique, des relations internationales, du droit international ainsi que d'un ensemble de sciences toutes aussi intéressantes et dont les animateurs sont très exigeant avec l'emploi des notions. Pourtant, nous nous risquons à marcher pieds nus dans ce champs de mines.
Nous extirpons alors quatre éléments constitutifs de l'État :
- une communauté d'hommes ;
- un territoire propre ;
- une organisation politique ;
- le monopole de la violence légitime détenue par cette organisation.
Une communauté d'hommes
Il nous semble indéniable que dans l'espace revendiqué par le groupe se faisant appeler, entre autre, État islamique, il y est une communauté d'hommes. Elle est pour partie composée des populations sunnites déçues et exclues par le pouvoir central à Bagdad, dominé par les chiites depuis la chute de Saddam Hussein et la réinstallation d'institutions irakiennes.
Mais cette communauté est alimenté aussi par des populations syriennes qu'il nous paraît bien difficile à cerner.
Enfin, un ensemble de volontaires internationaux, principalement originaire de l'arc de crises (livre blanc 2008) et de l'Europe vient enrichir cette population initiale.
De plus, ajoutons qu'ils se reconnaissent dans un ensemble politique et culturel assez homogène, partageant les mêmes valeurs et rejetant les mêmes "autres". De cette base naissent des élites formant une capacité de décision cohérente. Mais nous pouvons lourdement nous tromper.
Un territoire propre
C'est une question bien plus difficile à résoudre. Pour reprendre le vocabulaire ci-dessus, il est indéniable que cette organisation soit parvenue à se créer un ensemble spatial entre deux États en grande faiblesse, à savoir l'Irak et surtout la Syrie. La délimitation de cet espace est extrêmement mouvante depuis sa naissance. Une partie de ce territoire demeure à peu près fixé, bien que de nouvelles actions militaires puissent laisser entrevoir une possible division de l'ensemble spatial en deux entités ou une forte réduction de certaines parties.
Par ailleurs, nous devrions parler, non pas d'un territoire, mais plutôt d'un espace. Le premier est délimité dans l'espace quand le deuxième est informe et non limité.
La question des frontières redevient centrale. Des limes apparaissent partout dans le monde, du Golfe du Mexique à l'Arabie Saoudite. Les frontières expriment alors deux choses :
- la souveraineté d'un corps social sur son territoire qui se matérialise par des frontières délimitant un intérieur d'un extérieur ;
- une reconnaissance par d'autres États de la scène internationale de l'existence de ces frontières.
Il y a un semblant d'exercice du corps social sur son espace car entre les opérations "militaires" menées contre les adversaires de l'EI et, partiellement par voie de conséquence, les contrôles effectuées aux portes d'entrée de cet espace, il y a une situation informe.
Les autres États ne reconnaissent pas l'EI comme un État doué de frontières. Toutefois, cet espace survit aussi en raison des impératifs propres de chacun de ses voisins. La situation en Irak n'est pas perçue de la même manière en Syrie, de sorte que il y ait deux fronts selon deux logiques différentes. C'est presque une protection pour chaque moitié de l'espace.
Aussi, tous les voisins de l'EI ne souhaitent pas sa destruction. Les Kurdes recherchent principalement à préserver leur acquis d'une région plus qu'autonome en Irak, à opérer la jonction avec les Syriens et ne pas se laisser entraver par le pouvoir central à Bagdad. Ce dernier, séparé des territoires irakiens sunnites, s'occupent principalement de sa survie. L'Iran ne semble pas préoccuper outre mesure par le développement de l'EI, Téhéran cherchant surtout à protéger les populations chiites en Irak et en Syrie ainsi que les lieux saints. Est-ce à dire qu'une deuxième Arabie Saoudite ferait finalement un bon équilibre régional ? La Turquie vise surtout à éviter le développement d'un ensemble territorial kurde sur son front Sud car elle craint pour son intégrité territoriale par une reprise de la lutte kurde sur son sol. La Syrie d'Assad a prévu depuis le début de la guerre civile syrienne un repli stratégique sur la côte avec les populations alaouites ainsi que d'autres minorités, non-sunnites. Toutefois, le "croissant fertile" syrien (pour reprendre le mot de Kulturay) délaissé par Damas rend difficile une reprise en main des campagnes syriennes, EI détruite ou non. L'Arabie Saoudite, voire toute la péninsule arabique, est plus engluée que jamais dans l'intervention au Yemen. Mais doit craindre un EI qui conteste sa légitimité et pourrait mener sa stabilité interne.
Aussi, tous les voisins de l'EI ne souhaitent pas sa destruction. Les Kurdes recherchent principalement à préserver leur acquis d'une région plus qu'autonome en Irak, à opérer la jonction avec les Syriens et ne pas se laisser entraver par le pouvoir central à Bagdad. Ce dernier, séparé des territoires irakiens sunnites, s'occupent principalement de sa survie. L'Iran ne semble pas préoccuper outre mesure par le développement de l'EI, Téhéran cherchant surtout à protéger les populations chiites en Irak et en Syrie ainsi que les lieux saints. Est-ce à dire qu'une deuxième Arabie Saoudite ferait finalement un bon équilibre régional ? La Turquie vise surtout à éviter le développement d'un ensemble territorial kurde sur son front Sud car elle craint pour son intégrité territoriale par une reprise de la lutte kurde sur son sol. La Syrie d'Assad a prévu depuis le début de la guerre civile syrienne un repli stratégique sur la côte avec les populations alaouites ainsi que d'autres minorités, non-sunnites. Toutefois, le "croissant fertile" syrien (pour reprendre le mot de Kulturay) délaissé par Damas rend difficile une reprise en main des campagnes syriennes, EI détruite ou non. L'Arabie Saoudite, voire toute la péninsule arabique, est plus engluée que jamais dans l'intervention au Yemen. Mais doit craindre un EI qui conteste sa légitimité et pourrait mener sa stabilité interne.
Cette trop sommaire visite de la situation régionale laisse apparaître toutefois quelques facteurs qui expliquent une certaine stabilisation spatiale de l'EI. Voire, risquons-nous à le dire, une recomposition des frontières : l'Irak et la Syrie sont très, très loin de pouvoir prétendre à récupérer leurs frontières de 2011. Et même si c'était possible, il serait toujours aussi difficile de lier les populations entre elles.
Une organisation politique
C'est une caractéristique qui nous apparaît comme beaucoup moins polémique. Le groupe EI dispose d'une structure politique, militaire. Elle se prétend capable de lever l'impôt et leurs agents affectés à cet effet disposent de pouvoirs exorbitant du droit commun, comme dans beaucoup de pays. Aussi, ils ont aussi mis en place une agende dédiée à la protection des systèmes d'information, entretiennent un certain nombre de services publics de base, etc.
L'EI s'est vu même reconnaître des attributs de la puissance étatique par la France. Quand le Président Hollande affirme que Paris a été visé par une armée, c'était reconnaître explicitement un attribut militaire à cette organisation, ce qui est l'apanage d'un État. C'était aussi une certaine forme de reconnaissance politique. Mais nous n'irions pas jusqu'à affirmer qu'il y a eu reconnaissance par la France d'un "État" EI, ni même, par ailleurs, qu'une reconnaissance internationale soit nécessaire.
Il nous semble qu'il est possible d'affirmer que l'EI dispose d'une organisation politique avec un ensemble de services spécialisés et de services publics destinés à l'entretien d'une population et à l'accomplissement de missions définies par le politique.
Le monopole de la violence légitime
C'est aussi une autre caractéristique qu'il nous semble avoir été observée. En Syrie, le pouvoir central se voit dénier ce monopole de la violence légitime, définit par Max Weber, sur son propre territoire, par l'EI mais aussi par d'autres groupes armés non-étatiques.
Dans l'espace contrôlé par l'EI, il est bien question d'un monopole de la violence détenue par l'organisation politique. Les adversaires de l'EI sont à l'extérieur de son espace : au Kurdistan, à l'Ouest de la Syrie, au Sud de l'Irak, etc.
Cette organisation ne tolère pas la dissidence et a réussi à le faire respecter, jusqu'à ce jour. Toutefois, les pressions exercées sur ses fronts Ouest et Est pourraient voir surgir une confrontation entre la question des sunnites irakiens et syriens et de leur intérêt à soutenir le projet politique de l'organisation EI.
Conclusion : l'EI, un État ?
Dès lors, nous ne concluons pas, après ce si sommaire examen, que l'organisation État islamique puisse être qualifiée d'État eu égard à la définition proposée par Carré de Malberg. Toutefois, il apparaît qu'elle possède, encore aujourd'hui, de solides attributs de la puissance étatique. C'est une situation très poussée où un groupe armé non-étatique est devenu une entité territoriale et prétend désormais être un État sur un territoire nouveau, loin de l'intangibilité des frontières héritées de 1945 et de la décolonisation.
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