Nous
achevons la lecture de Géopolitique de la France - Entre déclins et renaissances (Paris, Technip, 2012, 220 pages). Olivier Kempf avance
que la géopolitique de la France serait un tabou (social, religieux,
politique). Il
dépeint un tableau qui mesure aussi bien les forces et les
faiblesses de la représentation géopolitique française, ainsi que les
vraies-fausses images d'Épinal à oublier.
L'auteur
place le chapitre 15 aussi loin car son ouvrage est,
selon lui, non pas de la théorie géopolitique mais de la
géopolitique appliquée. Il
explique pourquoi la géopolitique n'est pas une
science autonome, comparativement aux relations internationales et à
la géographie (physique et politique). Outil pourtant bien commode pour
affronter des problèmes complexes du rapport entre la puissance et
l'espace. Il aurait été
très intéressant que l'auteur offre ses réflexions sur les rapports entre géographie politique, géopolitique et la
géostratégie. Un peu à la manière d'un passionnant article de
Stéphane Rosière.
Olivier
Kempf tord le cou à bien des idées reçues sur la construction
française par rapport à la place de Paris et de l'image, devenue
d'Epinal, d'un « désert français » (Jean-François
Gravier, Paris et le désert français, 1947). Nous retenons
de la deuxième partie que nous sommes passés d'une France rurale à
une France spacieuse. Outre Paris, la France urbaine s'articule
autour d'un réseau de dix à quinze grandes villes qui concentre
plus de la moitié de la population française. La France n'est plus
celle d'un réseau ferrée organisé en étoile autour de Paris, mais
d'un ensemble de réseaux captant les flux de population et de
marchandise mondiaux et régionaux, c'est-à-dire comme cœur de
l'Europe carolingienne ou de l'Europe des douze. Au point qu'Olivier
Kempf propose l'idée que la France est une « dromarchie »,
reprenant les réflexions de Paul Virilio (Vitesse et Politique :
essai de dromologie, 1977).
Il est
tout aussi passionnant de lire son analyse sur le passage de la
France d'Ancien Régime à celle de la Révolution. Le nouveau
pouvoir trouve dans la culture de nouvelles reliques pour tendre les
liens avec le peuple, en cours d'unification par lourde tendance à
la diffusion et la généralisation du français. Nous aurions aimé
trouvé là les réflexions de l'auteur sur la culture à l'ère
numérique, sur les défis de l'État comme niveau pertinent de
l'action culturelle alors que la numérisation des œuvres et le
cyberespace concourt plutôt à voir dans l'individu, le tiers, un
acteur puissant de cette politique. Ce qui aurait permis de rejoindre
ses réflexions sur la couche sémantique du cyberespace.
Par
contre, le chapitre sur les DROM-COM est relégué dans la « Partie
4 : la France et les autres ! ». Est-ce bien le
devoir du peintre de représenter cet impensé archipélique d'une
trop grande partie des français ou bien le coup de pinceau de
l'auteur ?
Nous
pensons, en tous les cas, que c'est très dommageable. C'est la seule
chose qui affecte selon nous la qualité de l'ouvrage car Olivier
Kempf nous offre, pour le reste, une très belle description de la
géopolitique de la France. Mais il nous semble important de
souligner en quoi l'actuelle représentation géopolitique française
révèle de lourds manquements quant à la réalité archipélique et
maritime de la France.
Par
exemple, lire l'antienne sur le « coût » des DROM-COM,
évalué à plus ou moins 6 ou 7 milliards d'euros, manque encore sa cible.
Seule
Île-de-France est le plus riche de tous les territoires français et abonde le reste par un
mécanisme de péréquation. L'auteur l'écrit : La France n'est
rien sans Paris et Paris n'est rien sans la France.
Nous sommes surpris que l'auteur n'analyse pas les coûts de fonctionnement de l'Archipel France,
territoire éclaté sur cinq océans et cinq continents. C'est donc la question de la réticulation (mise en réseau)
de ces territoires qui devrait être centrale car organiser et soutenir des flux
maritimes, aériens, cybernétiques, financiers, etc... est coûteux.
Les questions des trains d'équilibre du
territoire, du déploiement du haut débit, des compagnies maritimes (Manche ou Méditerranée) sont l'arbre qui dissimule une forêt gigantesque de
débats non-tenus.
L'analyse
géopolitique confrontée à l'impensée maritime français manque
une analyse économique. Quel est le poids des DROM-COM, des zones
économiques exclusives, la place des territoires ultra-marins dans
l'économie française ? Il n'y a pas non plus de tableau de la
géopolitique maritime française qui aurait méritée un chapitre,
c'est-à-dire sur la place des flottes (de pêche, commerce,
militaire, scientifique, etc) françaises dans le monde, des réserves
théoriques et prouvées de ressources minières, d'hydrocarbures
dans les sols et fonds marins.
C'est
toute la structure de France-sur-Mer (Philippe Folliot et Xavier
Louy, France-sur-mer : Un empire oublié,
2009) qui aurait pu être analysée. La volonté de centralisation
politique et administrative des rois et révolutionnaires accouchent
d'une structure territorialo-politique rationalisée en Europe. Mais,
au fur et à mesure, que nous nous éloignons de Paris, l'autonomie
nécessaire au fonctionnement des îles voient ces dernières prendre
des compétences à Paris. Que dire
de la départemantalisation de Mayotte ? De la décision de
l'ONU de placer la Polynésie française sur la liste des territoires
à décoloniser ? En cas d'organisation de référendum, la
Polynésie pourrait tout aussi bien quitter la France... que se
départementaliser à son tour ! Un défi géopolitique dans les
deux sens.
Nous
aurions aimé aussi lire l'avis du commentateur géopolitique sur
l'inexistence de régions françaises dans l'archipel France. Paris
ne parvient pas à vaincre le réflexe autonomiste des insulaires,
maintes fois observé par Coutau-Bégarie. N'est-il pas étonnant de
n'observer aucune région française couvrant les îles Antillaises ?
Voire une eurorégion avec les archipels européens du même arc ?
Une simple question qui permet de relever que Paris ne parvient pas à
institutionnaliser un territoire discontinu. C'était le cas avec les
colonisations, la Communauté française et l'Archipel France. Quid,
alors, du rôle du Sénat qui représente une ruralité française
qui n'existe plus et n'a jamais représenté une France d'Outre-Mer
vieille de cinq siècles ?
Il y a
aussi une chose formidable à creuser dans la relation de la France à
ses ports et bases navales : toutes délaissées comparativement à celles d'autres puissances maritimes. Et c'est pourquoi l'ouverture d'une base à Abu Dhabi révèle un grand pari pour l'océan Indien et le basculement géopolitique mondial (Olivier Chantriaux et Thomas Flichy de La Neuville, Le Basculement océanique mondial, Lavauzelle, 2013, 148 pages).
Olivier Kempf a le grand mérite de
souligner combien la France néglige ses ports et ses hinterlands
dans tous les grands bassins fluviaux (Seine, Loire, Rhin, etc). Il n'y a pas de « puissance
potamienne » qui domine l'un des fleuves français, si bien que
Lyon s'alimente dans les ports hollandais et flamands et non pas à
Marseille. Tout comme le canal du Nord ou Seine-Escault risque de ralentir le développement du port du Havre selon ses détracteurs. Par exemple, n'est-il pas navrant de
constater que CMA-CGM ouvre un hub logistique en Jamaïque et non pas
en Guyane ou dans les Antilles alors que l'élargissement du canal de
Panama, voire l'ouverture d'un canal au Nicaragua, va bouleverser les
flux maritimes ?
Au final, ce livre offre un grand plaisir de lecture tant l'analyse est ciselée très finement, brasse large dans ses sources de réflexion. Il a la force de révéler des faits puissants, comme le passage de la France rurale à la France spacieuse. Il aurait mérité de disposer de plus de volumes pour aborder - il nous semble - une géopolitique plus maritime pour en dépeindre la réalité. L'auteur en montre régulièrement l'intérêt sur son blog. Un bel objet à placer sous le sapin...
Ce blog « Le fauteuil de Colbert » a le mérite d'accueillir les commentaires, donc d'accepter la contradiction. Je vais en profiter pour faire une critique de la critique parce que j'ai une opinion très positive du livre d'Olivier Kempf. Pour ma part, je partage la plupart de ses points de vue et ses choix quant aux rubriques choisies en me rappelant que ''choisir, c'est éliminer''.
RépondreSupprimerCertes un marin, comme c'est le cas ici, peut reprocher au livre d'Olivier Kempf de ne pas parler suffisamment de la mer et de ce qu'il est désormais convenu d'appeler « les Outre-mers ». Au passage l'on doit noter que les appellations fluctuantes données aux parcelles non-européennes de la France, DOM-TOM, DOM-COM, DFA, DROM-COM, sont la marque d'un embarras conceptuel persistant chez nos gouvernants.
Au reproche exprimé par le marin je réponds qu'effectivement la France maritime et d'outre-mer est un manque dans le livre d'Olivier Kempf. Mais des manques sont inévitables pour un sujet aussi riche et divers que la France pour un auteur qui veut traiter le sujet dans un livre qui reste maniable. Nous pouvons donc souhaiter que ce manque soit prochainement comblé par un autre livre, spécifique : un livre qui pourrait être écrit par un marin.
Le marin du « fauteuil de Colbert » ne m'en voudra pas, j'espère, de lui suggérer de s'y coller : sa fiche de lecture contient déjà l'ébauche d'un plan d'exposé dont la cohérence est dès maintenant visible. Alors yapuka.