Gilbert Le Bris, ancien officier de la Marine (commissaire de Marine) est aujourd'hui député (PS) de la huitième circonscription du Finistère. À ce titre, il est membre de la commission de la Défense nationale et des forces armées. Au travers de ses activités parlementaires il est un spécialiste des questions liées à l'OTAN (membre de la délégation française (vice-président) à l'Assemblée parlementaire de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord) ainsi que de la Marine nationale (voir ses missions d'informations, rapports et avis). Il a généreusement accepté de nous accorder un entretien au sujet du traité de co-gestion qui devait être présenté à l'Assemblée nationale avant qu'il ne soit retiré de l'ordre du jour.
L'ensemble des possessions maritimes françaises, même inhabitées, représentent-elles un intérêt stratégique pour la France ?
L'ensemble des possessions maritimes françaises, même inhabitées, représentent-elles un intérêt stratégique pour la France ?
Dans le contexte actuel
des « frictions » dans les espaces côtiers et
hauturiers, il est manifeste que les îlots et îles permettent
d'assurer souverainement une « occupation » des espaces
maritimes dans des régions stratégiques. Elles peuvent aussi bien
être parsemées par de grandes routes maritimes que des lieux de
concentration du trafic maritime mondial ou encore des ressources
stratégiques, notamment énergétiques.
La Chine recherche bien
un passage libre et indépendant à l'Océan Pacifique sans passer
par ce qu'il est coutume de nommer la « première chaîne
d'îles » (Japon, Corée du Sud, Taïwan et les Philippines),
voire la deuxième (Japon, les îles Marshall dont Guam). D'où les
frictions dans les mers de Chine, dont la mer de Chine méridionale
au sujet des revendications sur les archipels Paracels et Spratleys,
par exemple.
Ces prétentions
territoriales s'accompagnent de leur prolongement que sont les Zones
Économiques Exclusives (ZEE) reconnues aux États côtiers par la
convention de Montego Bay (1982). D'où les 11 millions de km² de
ZEE françaises qui nous assurent le deuxième domaine maritime
mondial (11,7 millions de km²).
C'est pourquoi il s'agit
bien de comprendre que ces possessions ultra-marines que sont les
Éparses (Europa, Bassas da India, Juan de Nova, les Glorieuses (les
îles Grande Glorieuse et du Lys) et Tromelin) dans le canal du
Mozambique (sauf Tromelin), par exemple, peuvent contenir, non
seulement de grandes ressources halieutiques, mais aussi des
hydrocarbures. Cette zone est réputée très riche en énergie
fossile, le Mozambique en touche déjà les premiers bénéfices et
rééquipe puissamment sa marine en patrouilleur.
Qu'est-ce que
Tromelin ?
Sur le plan géographique,
Tromelin est positionné approximativement à 500 km à l'Est de
Madagascar et 700 km au Nord de l'île Maurice. Elle mesure environ
1750 mètres par 900 ce qui nous donne une superficie d'environ 1
km². La ZEE générée par l'île s'établit à 280 000 km² soit
une surface équivalent aux eaux métropolitaines sous juridiction
française (345 000 km², Corse comprise).
Cette île est de nouveau peuplée uniquement par les oiseaux de mers et les tortures marines. Des équipes de deux à trois agents de l'État se relaient sur Tromelin afin d'assurer le fonctionnement de la station météorologique.
Cette île est de nouveau peuplée uniquement par les oiseaux de mers et les tortures marines. Des équipes de deux à trois agents de l'État se relaient sur Tromelin afin d'assurer le fonctionnement de la station météorologique.
Tromelin est connu avant
toute chose pour le drame terrible s'y étant déroulé entre 1761 et
1776 quand un navire transportant des esclaves entre Madagascar et
l'île de France (aujourd'hui Maurice) s'échoue sur les récifs
coralliens. Les derniers survivants ne seront secourus qu'en 1776.
Bien après la guerre de Sept ans (1756-1763), c'est peu avant le terme définitif des guerres de la Révolution et de l'Empire (1792-1815) que le traité de Paris (30 mai 1814) cède l'île de France à l'Angleterre. La France conservait Tromelin.
Est-ce un poids
financier pour la France que ces « confettis d'empire » ?
Comment voulez-vous que
des îles comme Tromelin nous coûtent quoi que ce soit alors que
nous n'y faisons « rien » ? Hormis une station
météorologique et une piste sommaire d'aviation, le passage
régulier d'un patrouilleur de la Marine nationale, un territoire
comme Tromelin est tout sauf une charge financière pour la
Collectivité nationale.
Quelle est la position
diplomatique et politique mauricienne sur l'île de Tromelin ?
L'île Maurice, à
posture constante, déclare qu'elle se considérera comme un
territoire non-complètement décolonisé tant que sa souveraineté
et sur Tromelin et sur l'archipel des Chagos ne sera pas entièrement
recouvrée. Par un artifice diplomatique, Maurice lie les deux
questions alors qu'elle ne recouvre nullement la même réalité.
Le premier ministre
mauricien, Sir Anerood Jugnauth, plaidait encore la cause des Chagos
le 24 septembre 2016 lors de la 71ème session de l’Assemblée
générale de l’ONU à New York. Il reprochait au Royaume-Uni
d'avoir « illégalement » soustrait l’archipel des
Chagos du territoire mauricien en 1965. Anerood Jugnauth invitait
aussi la France à poursuivre le dialogue au sujet de Tromelin.
Le traité de Paris de
1814 attribue la souveraineté sur l'île de France au Royaume-Uni
qui devient l'île Maurice. L'imprécision de la rédaction anglaise
fonde, selon le gouvernement mauritien, les prétentions de l'île
Maurice : tandis que la rédaction française précise bien que
l'île de France est cédée avec «ses dépendances, nommément
Rodrigue et les Seychelles» la version anglaise utilise
«especially ». Ce « en particulier » peut laisser
entendre qu'il y avait Rodrigue et les Seychelles mais pas que... ce
que réfutait dès l'origine la rédaction française !
Maurice revendique Tromelin depuis son l'acquisition de son indépendance en 1968. Les gouvernements mauriciens affirment constamment que le traité de co-gestion sur Tromelin entre l'île Maurice et la France n'est qu'une première étape dans l'optique mauricienne de recouvrer une souveraineté pleine et entière sur Tromelin.
L'annexion de la
Crimée par la Fédération de Russie aurait-elle quelques incidences
sur l'intégrité territoriale de la France, notamment du côté du
Canal du Mozambique et de Tromelin ?
La continuation des
manœuvres diplomatiques n'est pas étonnant. Il est fort logique que
la Russie attaquée juridiquement sur ce qui s'est passé en Crimée
prenne la peine de soulever à nouveau les contestations touchant la
souveraineté française sur certaines de ses possessions. C'est une
manière de mettre la pression sur la République française par le
président russe Vladimir Poutine.
Il est à noter que tous
les instruments juridiques en possession de la France au sujet de sa
souveraineté sur Tromelin sont particulièrement solides. Ce n'est
pas pour rien si le gouvernement de l'île Maurice recherche un
accord bilatéral faute de pouvoir faire reconnaître leurs
prétentions dans d'autres cénacles internationaux...
Le traité de
co-gestion renforcerait-il la position de la France quant à sa
souveraineté sur Tromelin ?
Cela n'est pas possible
puisqu'il est dit en ce traité par son article 2 que « rien
dans (le texte) ni aucun acte en résultant ne peut être interprété
comme un changement de la position française ou mauricienne sur la
question de la souveraineté ou des compétences territoriales et
maritimes ».
Partant de là, la
ratification du traité ne renforcerait en rien la position de la
France puisqu'il n'oblige pas Maurice à reconnaître la souveraineté
française mais permet à son gouvernement de participer à
l'administration de Tromelin en matière économique,
environnementale et scientifique. Quelles contreparties pour la
France ? Aucune !
C'est pourquoi avec mes
collègues Philippe Folliot (UDI) et Laurent Furst (LR), nous œuvrons
au rejet pur et simple de ce traité. Il n'est pas acceptable de
discuter de ces questions avec l'île Maurice tant que son
gouvernement ne reconnaît pas la souveraineté française sur cette
île. Est-il acceptable que l'île Maurice délivre des permis de
pêche dans la ZEE de Tromelin alors que c'est une compétence de
l'Union européenne au titre de la politique commune de la pêche ?
C'est pourquoi ce traité est rejeté pour la troisième fois depuis
2013 ! Et je puis vous assurer qu'il a été retiré de l'ordre
du jour de l'Assemblée nationale avec raison puisque s'il avait été
présenté le vote aurait été négatif.
Quelles seraient les
conséquences pour la France de la ratification d'un tel traité ?
La ratification de ce
traité constituerait un très dangereux précédent car comment
refuser à d'autres pays ce que nous accorderions à Maurice ?
Madagascar s'engouffrerait alors dans la brèche quant aux autres
îles Éparses et les Comores prétendraient potentiellement à
quelques droits sur Mayotte. Le Mexique pourrait trouver,
probablement aussi, quelques intérêts à réclamer un accord
similaire sur Clipperton. Raisons pour lesquelles il ne faut brader
en rien notre intégrité territoriale !
Où place le curseur
en matière de renouvellement et renforcement de notre dispositif de
surveillance aéromaritime de nos espaces maritimes ?
En prélude au programme
BATSIMAR (BATiment de Surveillance et d'Intervention MARitime), la
Marine nationale admet progressivement en service les B2M (Bâtiment
Multi-Missions) et les BSAH (Bâtiments de Soutien et d'Assistance
Hauturiers). Aujourd'hui, c'est plutôt du côté des capacités
aériennes de SURMAR (SURveillance MARitime) qu'il nous faudrait
insister. Les hélicoptères de la Marine nationale accomplissant des
missions de service public – essentiellement les Dauphin –
connaissent une grande usure. Le constat s'étend aux avions de
SURMAR, en particulier à l'endroit des Gardian. Il me semble
important de s'occuper prioritairement des capacités aériennes.
Au nom des lecteurs et de moi-même : merci pour cet entretien M. le député !
Au nom des lecteurs et de moi-même : merci pour cet entretien M. le député !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire