L'ensemble des conflits touchant le Yemen (guerre du Saada (2004 - 2014) et guerre civile (2014 - ...) tout comme les activités d'organisations comme Ansar al-Charia (division d'AQPA (Al-Qaïda dans la péninsule arabique), connaît une partie navale prise en compte par les groupes infra-étatiques. De quoi vérifier la transposition de la célèbre formule du général Gallois par Hervé Coutau-Bégarie au missile air-surface "égalisateur de puissance sur mer" (Hervé Coutau-Bégarie, Le problème du porte-avions, Paris, Economica, 1990, p. 71). Le déni d'accès et ses outils d'interdiction sont de plus en plus accessibles, non plus seulement le missile anti-navire.
Les solutions techniques et opérationnelles adoptées par les partisans (selon l'acception schmittienne) agissant au Yemen ne dénotent pas d'une grande originalité dans la nature des moyens mis en œuvre. L'innovation réside plutôt dans la recherche de moyens conventionnels et le dépassement d'une certaine asymétrie afin de se doter des outils pour contrer un adversaire étatique. Cela tendrait à confirmer le développement de technoguérillas, voire de "guerres hybrides" bien que ce terme puisse être difficile à différencier du premier.
Ces partisans, organisés en groupes ou entités territoriales, peuvent bénéficier de compétences acquises au sein d'un État ou transmises par lui. Typiquement, la valeur opérationnelle de la rébellion Houthie bénéficie largement de la défection d'une partie des cadres servant dans l'ancienne armée nationale yéménite (il est parfois avancé qu'il s'agirait des deux tiers des forces armées du Yemen).
Aussi, le développement d'une stratégie navale, voire maritime, n'est pas l'apanage des seuls États. Les Sea Tigers (1984 - 2006) en sont l'exemple contemporains le complet dans son utilisation de toutes les fonctions de la Mer avec un certain succès. Mais pas seulement car, par exemple, au Yemen des mesures défensives sont prises par les différents groupes pour tenter, essentiellement, à dénier l'usager de la Mer à l'adversaire pour reprendre le concept proposé par Julian S. Corbett (Principes de stratégie maritime, Paris, Économica, 1993, 302 pages).
Au Yemen, la troisième attaque menée contre l'USS Mason (DDG-87) si elle n'est pas couronnée de succès dénote, par contre, d'une capacité intacte à tirer une salve de missiles (anti-navires ? de "croisière" ?) malgré la destruction de trois radars dans les villes et ports sous contrôle de la rébellion Houthie. La démonstration faite par le Hezbollah lors de la destruction de la corvette Hanit (12 juillet 2006) est acquise ailleurs, au sein d'un autre mouvement d'obédience chiite, voire dépassée.
Depuis 2015, cette rébellion, comprenant le groupe Ansar Allah, se targue d'avoir lancé environ 14 attaques dont dix pour la seule année 2015 sans résultat vérifiable. Par contre, le HSV-2 Swift était atteint par ce qui pourrait être un C-802 et l'USS Mason essuie sa troisième salve. Par ailleurs, s'il y a une focalisation excessive sur les missiles, la propagande de la rébellion Houthie affirme aussi employer des roquettes qui, par leur pouvoir de saturation, peuvent théoriquement surprendre les moyens de défense d'un navire - quand il en est doté - ou bien épuiser ceux-ci à moindre frais.
Entre parenthèses, si l'Iran est régulièrement accusé d'avoir livré de tels missiles aux Houthis, il est plus facile de vérifier que le Yemen recevait avant les troubles des C-801 pour ses trois corvettes achetés à la Chine au début des années 1990 et des C-802 en deux systèmes achetés en 2007. Dans la limite de nos connaissances, rien n'indique que la copine iranienne du C-802, le Noor, ait été effectivement livré et le nombre de frappes avancés ou plutôt vérifier pourrait concorder avec, au moins, la dernière vente.
AQPA s'est fait remarquer par la remise au goût du jour d'une arme d'une efficacité redoutable en matière d'interdiction maritime : la mine sous-marine. En 1991, une opération amphibie devait être annulée au large du Koweit en raison du minage des eaux adjacentes par l'Irak. Aujourd'hui c'est encore plus
« l’arme du pauvre, qui avec « un budget » de 10.000 à 15.000 euros permet
de faire sauter une frégate à plusieurs centaines de milliers d’euros.
« C’est une menace qui existe toujours. Le régime libyen avait, par
exemple, miné ses approches. Les hommes du GPD y ont passé plus de neuf
mois pour sécuriser la zone ».
À la manière de ce qu'il avait pu être observé lors de l'opération Harmattan (19 mars 2011 - 31 octobre 2011), des mines artisanales sont disposées lors de l'abandon d'une place comportant son interface maritime. Cette manière de retraitée est de notoriété médiatique dans son application systématique par l'organisation État islamique en Irak et en Syrie. Sa reprise et son application semble se diffuser même s'il n'y a pas eu de résultats concrets.
La rébellion Houthie emploie une certaine missile composée pour partie de missiles balistiques mais aussi de missiles anti-aériens détournés de leur but premier dans une utilisation sol-sol. Il paraît étonnant que des frappes contre des infrastructures aéromaritimes ne soient pas encore intervenus. Djibouti n'est que de l'autre côté du détroit (50 - 60 km), à tout hasard.
Il ne manque plus que la diffusion de deux plateformes afin de parfaire le tableau :
Premièrement, si le missile anti-navire est de plus en plus largement diffusé parmi les groupes infra-étatiques bénéficiant de l'héritage d'un État ou de l'appui d'un autre, son utilisation par voie aérienne demeure très confidentiel et semble réservé aux États. Pourtant, même dans l'emploi d'un appareil civil, des navires de guerre, faute de vigilance ou face à une témérité non-dénuée de talents, pourraient se faire surprendre par un vol sous les radars et le tir opportun d'une telle munition. Ce n'est pas hors de propos eu égard aux portées d'engagement tant au large du Liban (2006) qu'à proximité du détroit de Bab el-Mandeb (2015 - 2016).
Deuxièmement, le torpilleur tarde à faire son apparition qu'il soit de surface ou submersible. Les organisations criminelles transnationales ou internationales, en particulier les cartels de drogue se dotent de submersibles. Le Hezbollah entretiendrait des liens avec quelques personnes et/ou organisation en Amérique Latine. Si l'intégration de capacités offensives semblent problématiques, leur utilisation comme plateforme de lancement n'est pas à exclure. Plus simplement, un submersible pouvant transporter plusieurs tonnes de drogues serait un moyen de contourner un blocus, rééditant en cela une "surprenante surprise" (Martin Motte, « Une surprenante surprise : les U-Boote dans la Grande Guerre », Stratégique 2014/2 (N° 106), p. 45-60) qu'est l'arme sous-marine dans ses qualités stratégiques face à une marine de surface. Moins sophistique, il demeure des embarcations de contre-bande nord-coréennes qui, faute de pouvoir plonger, s'appuie sur leur vitesse et une certaine discrétion en raison de leur profil pouvant être très bas sur l'eau.
Cette énumération ne peut rendre compte que de la capacité de ces groupes infra-étatiques à rechercher les fonctions stratégiques de la Mer dans un conflit afin de gagner une profondeur stratégique tout en tentant d'interdire son usage à l'adversaire. La qualification de systèmes A2/AD peut apparaître abusive eu égard à sa systématisation. Elle aurait pu rendre compte de la situation présente s'il ne manquait pas la "liaison des armes sur mer" chère au lieutenant de vaisseau Castex (La liaison des armes sur mer, Paris, Économica, 1991, 2016 pages).
Les marines étatiques peuvent difficilement intervenir sans une boite à outils comprenant aussi bien de la défense aérienne (l'Arabie Saoudite et ses frégates classe Al Ryiadh (radar Arabel et missiles Aster) n'en semble pas capable), de la lutte anti-surface que des moyens de lutte, non pas anti-sous-marine, mais bien de lutte contre les menaces sous-marines.
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