© Le Marin. Olivier Mélennec, "Une "armurerie flottante" interceptée en mer Rouge", Le Marin, 12 avril 2013. |
Alors que les marines de guerre peinent à aligner suffisamment de moyens dans le cadre de la lutte anti-piraterie, la privatisation d’une partie du spectre de la sécurité maritime est une voie explorée par nombre d’acteurs au large de la Corne de l’Afrique.
Le rétrécissement des marines de guerre en raison du choix de la projection (échanger des forces contre du temps de présence)1 est contrebalancé par un accroissement de la conflictualité maritime inter-étatique et infra-étatique. La piraterie est l’une de ces menaces infra-étatiques qui perturbent les échanges internationaux (réalisés à 90% par voies maritimes2). La diplomatie navale3 voit les marines de guerre s’investir dans des opérations ne relevant pas de la guerre et de la puissance navale, au profit de reconfigurations politiques violentes. « Les déploiements de « gestion du chaos » actuellement observés ont une fonction de substitution au combat. L’affrontement et les rivalités, dans de telles conditions, n’ont fondamentalement pas disparu mais ont muté dans leur forme. »4
Piraterie et acte piraterie
La piraterie résulte d’une souveraineté étatique trop lâche ou inexistante en mer à proximité de riches concentrations maritimes. Les populations de pêcheurs en fournissent souvent les effectifs. Observons successivement son principal foyer dans la Corne de l’Afrique (la Somalie) puis le cadre juridique entourant la piraterie.
La Somalie concentre les foyers de piraterie5 depuis la fin du gouvernement de Mohammed Siad Barre (1991). Le proclamation de l’autonomie du Puntland (« pays du Pont ») dès 1998 marque la quasi disparition de l’Etat central. Son économie (élevage, agriculture et pêche) explore successivement le trafic de migrants puis la piraterie. Les pirates réinvestissent les bénéfices pour se structurer et s’organiser. Leur influence s’étend des eaux territoriales (12 nautiques - les attaques contre les navires de pêche) jusqu’à la haute mer entre 80 (attaque du Seabourn Spirit, 5 novembre 2005) et 320 nautiques (détournement du cargo danois Danica White, juin 2007).
L’acte de piraterie défini par Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer (CNUDM) exige le respect de trois critères cumulatifs (article 101) : impliquer deux navires dans l’espace international qu’est la haute mer (zone économique exclusive comprise) et être commis à des fins privées6 (à distinguer des « corsaires »). Les États possèdent (articles 105 et 107) des prérogatives exclusives pour réprimer la piraterie via leurs forces maritimes. Le droit de la mer ne confère aucune prérogative aux acteurs privés pour réprimer le pirate bien qu’il soit « l’ennemi de tous »7.
La protection des routes maritimes
Les Etats peinent à aligner suffisamment d’escorteurs et/ou d’Équipes de Protection Embarquées (EPE) pour lutter contre la piraterie. La « jurisprudence Karachi »8 de 2002 voit les compagnies prendre très peu de risques dans la sécurité des personnels. Le risque de dépavillonnage est mis en avant par les armateurs pour les navires trop peu protégés par la marine et/ou le cadre législatif de son État du pavillon.
La privatisation d’une partie du spectre de la sécurité maritime est explorée par nombre d’acteurs : depuis la protection des commerces jusqu’à la régénération des capacités étatiques somaliennes.
Les EPE privées compensent l’incapacité des Etats à juguler la piraterie et à protéger tous les bateaux. Les Sociétés Militaires Privées (SMP) apparaissent comme un moyen opportun pour sécuriser les navires marchands dans les zones réputées dangereuses. Leur emploi relève de l’État du pavillon. Mais les États côtiers craignent et combattent un éventuel détournement des missions des EPE privées au profit de commerces illégaux d’armes. L’Afrique Orientale, en lien avec la Péninsule arabique et le Proche Orient, recueille nombre d’inquiétudes à ce sujet. La solution trouvée est la gestion d’ « armurerie flottante »9. A l’entrée sur zone, l’EPE privée s’équipe de ses propres armes (dument enregistrées auprès des autorités compétentes de l’État du pavillon) dans l’embarcation dédiée à l’armurerie. A la fin de la mission, elle les déposera dans une deuxième armurerie flottante. Cela évite d’embarquer des armes dans les eaux territoriales d’un État côtier ne considérant pas un tel passage comme inoffensif.
Gestion du chaos : actions clandestines et diplomatie de défense
Le marché évolue de la fourniture de services d’EPE et d’armureries flottantes à des « bateaux-mères ». La crainte passagère était aux « corsaires »10 pour la répression clandestine de la piraterie. La frontière est poreuse entre les opérations spéciales, dont certaines forces peuvent disposer de navires dédiés, et les opérations clandestines, pouvant bénéficier de moyens considérables. Cela illustre le risque du glissement d’une privatisation de compétences étatiques très encadrées et limitées en haute mer au mercenariat.
L’usage des SMP pour la sécurité maritime peut rencontrer les motifs de la diplomatie de défense11, et, finalement, l’objectif de répression durable de la piraterie par une réaffirmation de la souveraineté étatique en mer. Par exemple, la société française Secopex signait en 2008 un contrat comprenant, notamment : « la création d'une unité de gardes-côtes ainsi que la formation des personnels somaliens. Il est également proposé une protection aux armateurs ayant des navires transitant dans la zone, avec escorte ou présence à bord de personnels armés. »12 Les forces terrestres n’ont plus le volume nécessaire pour assurer et assister une ou plusieurs forces étrangères. Même chose en mer. Les SMP permettent un « engagement au sol » là où un Etat se refuserait à employer ses propres marins sous uniforme.
Piraterie et acte piraterie
La piraterie résulte d’une souveraineté étatique trop lâche ou inexistante en mer à proximité de riches concentrations maritimes. Les populations de pêcheurs en fournissent souvent les effectifs. Observons successivement son principal foyer dans la Corne de l’Afrique (la Somalie) puis le cadre juridique entourant la piraterie.
La Somalie concentre les foyers de piraterie5 depuis la fin du gouvernement de Mohammed Siad Barre (1991). Le proclamation de l’autonomie du Puntland (« pays du Pont ») dès 1998 marque la quasi disparition de l’Etat central. Son économie (élevage, agriculture et pêche) explore successivement le trafic de migrants puis la piraterie. Les pirates réinvestissent les bénéfices pour se structurer et s’organiser. Leur influence s’étend des eaux territoriales (12 nautiques - les attaques contre les navires de pêche) jusqu’à la haute mer entre 80 (attaque du Seabourn Spirit, 5 novembre 2005) et 320 nautiques (détournement du cargo danois Danica White, juin 2007).
L’acte de piraterie défini par Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer (CNUDM) exige le respect de trois critères cumulatifs (article 101) : impliquer deux navires dans l’espace international qu’est la haute mer (zone économique exclusive comprise) et être commis à des fins privées6 (à distinguer des « corsaires »). Les États possèdent (articles 105 et 107) des prérogatives exclusives pour réprimer la piraterie via leurs forces maritimes. Le droit de la mer ne confère aucune prérogative aux acteurs privés pour réprimer le pirate bien qu’il soit « l’ennemi de tous »7.
La protection des routes maritimes
Les Etats peinent à aligner suffisamment d’escorteurs et/ou d’Équipes de Protection Embarquées (EPE) pour lutter contre la piraterie. La « jurisprudence Karachi »8 de 2002 voit les compagnies prendre très peu de risques dans la sécurité des personnels. Le risque de dépavillonnage est mis en avant par les armateurs pour les navires trop peu protégés par la marine et/ou le cadre législatif de son État du pavillon.
La privatisation d’une partie du spectre de la sécurité maritime est explorée par nombre d’acteurs : depuis la protection des commerces jusqu’à la régénération des capacités étatiques somaliennes.
Les EPE privées compensent l’incapacité des Etats à juguler la piraterie et à protéger tous les bateaux. Les Sociétés Militaires Privées (SMP) apparaissent comme un moyen opportun pour sécuriser les navires marchands dans les zones réputées dangereuses. Leur emploi relève de l’État du pavillon. Mais les États côtiers craignent et combattent un éventuel détournement des missions des EPE privées au profit de commerces illégaux d’armes. L’Afrique Orientale, en lien avec la Péninsule arabique et le Proche Orient, recueille nombre d’inquiétudes à ce sujet. La solution trouvée est la gestion d’ « armurerie flottante »9. A l’entrée sur zone, l’EPE privée s’équipe de ses propres armes (dument enregistrées auprès des autorités compétentes de l’État du pavillon) dans l’embarcation dédiée à l’armurerie. A la fin de la mission, elle les déposera dans une deuxième armurerie flottante. Cela évite d’embarquer des armes dans les eaux territoriales d’un État côtier ne considérant pas un tel passage comme inoffensif.
Gestion du chaos : actions clandestines et diplomatie de défense
Le marché évolue de la fourniture de services d’EPE et d’armureries flottantes à des « bateaux-mères ». La crainte passagère était aux « corsaires »10 pour la répression clandestine de la piraterie. La frontière est poreuse entre les opérations spéciales, dont certaines forces peuvent disposer de navires dédiés, et les opérations clandestines, pouvant bénéficier de moyens considérables. Cela illustre le risque du glissement d’une privatisation de compétences étatiques très encadrées et limitées en haute mer au mercenariat.
L’usage des SMP pour la sécurité maritime peut rencontrer les motifs de la diplomatie de défense11, et, finalement, l’objectif de répression durable de la piraterie par une réaffirmation de la souveraineté étatique en mer. Par exemple, la société française Secopex signait en 2008 un contrat comprenant, notamment : « la création d'une unité de gardes-côtes ainsi que la formation des personnels somaliens. Il est également proposé une protection aux armateurs ayant des navires transitant dans la zone, avec escorte ou présence à bord de personnels armés. »12 Les forces terrestres n’ont plus le volume nécessaire pour assurer et assister une ou plusieurs forces étrangères. Même chose en mer. Les SMP permettent un « engagement au sol » là où un Etat se refuserait à employer ses propres marins sous uniforme.
2 Cols Bleus, « Les flux maritimes, indispensables mais vulnérables », 30 avril 2014, URL : http://www.colsbleus.fr/articles/574/les-flux-maritimes-indispensables-mais-vuln%C3%A9rables
3 COUTAU-BEGARIE Hervé, Le meilleur des ambassadeurs - Théorie et pratique de la diplomatie navale, Paris, Economica, 2010, 401 pages.
4 HENROTIN Joseph, Les fondements de la puissance navale au XXIe siècle, Op. Cit., p. 436.
5 COUTANSAIS Cyrille P., « La piraterie moderne, nouvel avatar de la mondialisation », Revue internationale et stratégique, 4/2008, n° 72, p. 39-50.
6 REMY Catheline, « Les sociétés militaires privées dans la lutte contre la piraterie », Pyramides, numéro 21, 2011, pp. 119-138.
7 HELLER-ROAZEN Daniel, L’Ennemi de tous – Le pirate contre les nations, Paris, Seuil, 2010, 316 pages.
8 Attentat à Karachi (Pakistan) au bilan de 14 morts (dont 11 employés de la DCN) et 40 blessés. Ses conséquences sont, notamment, un meilleur respect des obligations en matière de sécurité des salariés par l’employeur quand il ne peut ignorer les risques.
9 PANCRACIO Jean-Paul, « Equipes de protection embarquées et armureries flottantes », Droit de la Mer et des Littoraux, 7 décembre 2015. URL : http://blogs.univ-poitiers.fr/jp-pancracio/2015/12/07/equipes-de-protection-embarquees-et-armureries-flottantes/
10 CHAPLEAU Philippe, « Washington lâche des corsaires dans l'océan Indien », Ouest-France, 3-4 novembre 2007 in COUTANSAIS Cyrille P., « La piraterie moderne, nouvel avatar de la mondialisation », Revue internationale et stratégique, 4/2008, n° 72, p. 39-50.
11 ST VICTOR (de) Florent, « Une nouvelle diplomatie de Défense pour redonner de l’utilité à nos forces », Défense et Sécurité Internationale, hors-série n°31, août-septembre 2013.
12 GROIZELEAU Vincent, « Le français Secopex va assurer la sécurité maritime en Somalie », 2 juin 2008, URL : http://www.meretmarine.com/fr/content/le-francais-secopex-va-assurer-la-securite-maritime-en-somalie
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