© D-Mitch. Royal Navy and Royal Fleet Auxiliary - Today, past and future (a quick overview). |
Poursuivons ces quelques réflexions, toujours sous le seul prisme du tonnage. La grille d'analyse est obsolète sans perdre totalement de sa pertinence. La Royal Navy demeure la première marine d'Europe (de l'Ouest) dans cette perspective (1,15 millions de tonnes pour la Marine russe en 2016). Et, chose surprenante qui n'apparait pas dans un classement naval plus "moderne", c'est-à-dire brassant plusieurs critères (capacités maîtrisées dans toutes les dimensions du combat naval, cohérences capacitaires, entraînement, etc) : le Two-Powers Standard est une persistante réalité !
À la fin du XIXe siècle (le propos est grandement appuyé sur le livre de Martin Motte, Une Éducation géostratégique - La pensée navale française de la Jeune École à 1914, Paris, Économica, 2004, pp. 245 -253), la Royal Navy se retrouve dans une triple position de faiblesse. Les nouvelles technologies navales bouleversent considérablement le rapport au combat et donc l'aptitude à cerner les paramètres du calcul stratégique.
Première faiblesse, en 1888 la France et la Russie sont alliées pour juguler le déficit démographique français face à l'Allemagne, d'une part, et empêcher Londres d'écraser les visées coloniales russes en Extrême-Orient et dans le bassin oriental de la Méditerranée, d'autre part. Si bien que les franco-russes auraient 75 cuirassés et croiseurs-cuirassés en 1889 contre 67 seulement aux britanniques.
Deuxième faiblesse, l'Italie et le Royaume-Uni se retrouvent autour d'une sorte d'ancêtre du croiseur de bataille (exemple du HMS Victoria). Sans rentrer dans les détails de cette précaire formule, l'avènement de la poudre B dans la Marine nationale (trois fois plus puissantes que la poudre noire, presque pas de fumée) laissait pas le moindre doute quant au sort des navires pas ou peu cuirassés.
Troisième faiblesse, la Jeune École de l'Amiral Aube (22 novembre 1826 - 31 décembre 1890) secondée par Gabriel Charmes (7 novembre 1850 - 19 avril 1886) prétend, entre autres, que la tenue d'un blocus fermé n'était plus possible tant en raison de l'avènement du torpilleur et simultanément aux contingences de la propulsion à vapeur.
Londres répond à la Jeune École par la construction des unités prônées par celles-ci, c'est-à-dire qu'une plus grande place est accordée aux croiseurs et torpilleurs sans céder aux chimères du "torpilleur autonome", les unités britanniques continueront à être hauturières. Mais cela réduit, naturellement car à budget égal, les mises sur cale de cuirassés. Le modèle italien est remis en cause face aux effets décisifs des nouvelles poudres.
Restait alors à vérifier l'impossibilité de tenir un blocus fermé, technique qui donnait toute la mesure de la puissance navale britannique capable de bloquer une flotte adverse dans son ou ses ports jusqu'à son épuisement moral - les équipages ne naviguant pas perdent en forces morales et en aptitudes à se battre à leur poste -, voire son écrasement lors d'une tentative de sortie sans pouvoir réaliser la concentration.
Restait alors à vérifier l'impossibilité de tenir un blocus fermé, technique qui donnait toute la mesure de la puissance navale britannique capable de bloquer une flotte adverse dans son ou ses ports jusqu'à son épuisement moral - les équipages ne naviguant pas perdent en forces morales et en aptitudes à se battre à leur poste -, voire son écrasement lors d'une tentative de sortie sans pouvoir réaliser la concentration.
Les manœuvres britanniques de l'été 1888 produisent le scénario stratégique idéal pour tester cette assertion française. Deux escadres "britanniques" face à deux escadres "françaises" dans la baie de Bantry (Sud de l'Irlande) et dans le Lough Swilly (Nord de l'Irlande). Les "Français" jouent l'épuisement des Anglais et y parviennent formidablement bien puisque entre deux allées et venues de navires anglais devant aller charbonner trois croiseurs "français" prennent la poudre d'escampette depuis Bantry Bay ainsi que deux autres depuis Lough Swilly à la faveur d'une tempête. La force bloquante craignant d'être tournée par une concentration de l'adversaire, sans même savoir de combien de navires exactement avait pu prendre le large, devait lâcher le blocus pour se concentrer elle-même. Échec total, le système britannique était jeté par terre.
Les enseignements de cet exercice passent d'une supériorité en bâtiments de ligne recommandée de cinq à trois avec une supériorité spécifique à l'éclairage de deux croiseurs contre un. La traduction stratégique de ce retour d'exercice se transformait alors, sous la férule du principe nelsonien "Only number can win", par une Royal Navy supérieure aux deux marines continentales la suivant immédiatement dans le classement européen des forces navales.
Le Naval Defense Act voté en 1889 avalise l'alliance entre une posture hésitante des années 1880 afin de conserver un rapport de force favorable et les résultats d'un exercice en un axiome stratégique matérialisé par la formule du Two-Powers Standard.
Dans les faits, et sauf d'éventuelles exceptions ignorées par nous, cette politique navale fut suivie avec une grande rigueur. La ligne de bataille demeura l'hypothèse structurante jusqu'à la Deuxième Guerre mondiale ( 1er septembre 1939 - 2 septembre 1945). Les manœuvres diplomatiques pour les limitations et désarmements navals (du traité naval de Washington (1922) jusqu'aux conférences de Londres (1930 et 1936) permettaient à la Royal Navy de conserver à des coûts modérés cette posture en Europe.
Elle se tenait d'autant mieux que le deuxième conflit mondial léguait un grand héritage naval face aux principales marines européennes concurrentes en pleine reconstruction (Marine nationale) ou en pleines interdictions (Allemagne, Italie). À la ligne de cuirassés succèdent la ligne de porte-avions jusque dans les années 1970.
Par la suite, et dans le contexte du conflit Est-Ouest (1947 - 1991), Londres abandonne les positions East of Aden (l'Océan Pacifique) en 1967 et East of Suez (l'Océan Indien) en 1971, remplaçait ici et là par l'US Navy. La nouvelle hypothèse structurante est la participation britannique au maintien du lien transatlantique par un outil naval centré sur la guerre aéro-sous-marine.
En 1988, Londres atteint même l'un des moments "Three-Powers Standard" quand la Royal Navy déplaçait 590 000 tonnes pour 296 000 pour la Royale, 171 000 pour la marine de la RFA et 109 000 à l'Italie. La résolution du conflit Est-Ouest abouti, par le hasard des dividendes de la paix et le tournant de l'année 2008 à une divergence d'avec la Marine nationale qui avait l'occasion de rattraper et dépasser la rivale anglaise.
En 1988, Londres atteint même l'un des moments "Three-Powers Standard" quand la Royal Navy déplaçait 590 000 tonnes pour 296 000 pour la Royale, 171 000 pour la marine de la RFA et 109 000 à l'Italie. La résolution du conflit Est-Ouest abouti, par le hasard des dividendes de la paix et le tournant de l'année 2008 à une divergence d'avec la Marine nationale qui avait l'occasion de rattraper et dépasser la rivale anglaise.
Ce Two-Powers Standard qui ne dit plus son nom survivait au XXe siècle et continue à s'épanouir dans le XXIe siècle. La seule lecture du tonnage ne doit pas faire oublier les carences et ruptures de capacités de la Royal Navy. Mais le jeu des alliances fournit trois grands relais à la puissance navale britannique avec deux piliers aéroamphibies dans les mers du Nord et Baltique (JEF) et en Méditerranée (CJEF) sans oublier un contrôle des mers et de l'Atlantique Nord par et avec l'appui des membres de l'OTAN, notamment au bénéfice de la dissuasion océanique anglaise. De quoi permettre à Londres de s'investir dans l'Océan Pacifique.
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