A la suite d'un billet de Terre à la Lune -Contre l'exploration spatiale (sic) : six raisons pour lesquelles l'homme ne doit pas quitter le berceau terrien (Partie 1)-, il est peut être temps de poser quelques
 éléments d'un débat qui risque de prendre de l'ampleur. Ces derniers 
temps -et l'expression est volontairement très vague- il a été question 
d'exploiter l'Espace.
Le constat est que des matières 
essentielles au développement industriel de nos sociétés pourraient 
venir à se tarir sur notre actuelle planète. En outre, certaines de ses 
ressources les plus précieuses sont sous le joug heureux de quelques 
puissances. Ayez une pensée pour la question des "terres rares" : la 
Chine est dans une belle position, et n'aura pas besoin de forcer son 
talent pour en profiter.
Mais dans l'Espace, il y aurait des 
astéroïdes d'une densité exceptionnelle en ressources précieuses à nos 
sociétés industrielles.
 
Il y a dès lors un choix qui s'offre aux Cités :
- ou
 bien, nous prenons le risque de nous contenter de nos ressources 
terrestres, et cela suppose une gestion durable des matières (le 
recyclage). Mais est-ce que cela nous dispenserait d'aller exploiter les
 nodules polymétalliques qui jonchent le fonds de nos océans ? Le 
risque, c'est de détruire les écosystèmes sous-marins, et par là, 
d'atteindre très gravement les écosystèmes terrestres qui dépendent, 
notamment, de la production d'oxygène des océans (terriblement 
supérieure à tout ce que peuvent faire les forêts) ;
- ou bien, de prendre le pari d'aller exploiter l'Espace.
La
 seconde solution offre la possibilité d'épargner les équilibres 
terrestres, et donc de préserver la "base de départ". En outre, et si 
jamais cet ambitieux projet était viable, alors le rapport de forces 
s'inverserait : il n'y aurait plus une ou des puissances jouissant de 
quelques prérogatives sur quelques ressources précieuses, primordiales, 
mais des puissances ayant les capacités de s'affranchir des pesanteurs 
terrestres.
Il
 y a bien des parallèles à faire avec le choix cité plus haut, et 
l'histoire maritime. L'aventure de la Mer n'est-elle pas l'aventure de 
la Liberté ? C'est-à-dire la liberté de choisir ses partenaires 
commerciaux pour écouler ses productions et ressources, et de continuer 
son développement grâce au libre et indépendant choix de 
s'approvisionner partout dans le monde.
L'exploitation spatiale 
répondrait à cet objectif de cette stratégie maritime fondée sur la 
Liberté. Il serait question de trouver dans l'Espace une certaine 
indépendance, pour ne pas dire une autonomie politique où les autres 
Etats auraient pas ou très peu de prise.
La
 stratégie spatiale, partiellement fondée sur la stratégie maritime, 
consisterait à se ménager une voie d'accès à l'Espace afin de profiter 
de ses richesses. Inévitablement, d'autres puissances seront sur les 
rangs pour gagner ses marges de manoeuvres économiques et politiques 
offertes par les ressources résidant dans l'Espace.
Il y aura 
donc une guerre des communications puisque, fatalement, toutes les 
positions ne se valent pas dans l'Espace. Certaines routes, certaines 
caractéristiques du milieu spatial seront stratégiques (comme les points
 de La Grange). Ces caractéristiques du milieu s'apparenteront à nos 
actuels détroits marins, nos "chokes points". Forcément, il y 
aura lutte pour leur contrôle, le monopole ou leur libre usage. Il faut 
se replonger dans les aventures coloniales, et notamment dans l'histoire
 de la Royal Navy qui s'est construite contre le monopole 
espagnol sur l'exploitation économique de ses possessions 
sud-américaines. Un idéal de Liberté a conduit les corsaires anglais, 
puis une marine tout entière pendant des siècles.
Dès
 lors, il y aura ceux qui auront intérêt à une libre utilisation, et 
ceux au monopole. Il y aura même ceux qui ont intérêt à une libre 
circulation définie par leurs critères. La puissance maritime ou 
spatiale dominante ne peut se faire interdire l'accès à son milieu 
d'évolutions, et au contraire, elle tend à étendre au maximum l'espace 
de liberté.
C'es tout le paradoxe des Etats-Unis qui, pour 
préserver l'exploitation des fonds marins, ont vu le président Truman 
faire une déclaration très prématurée en 1945. Elle devait permettre de 
préserver les prérogatives entreprisses américaines sur les ressources 
du plateau continental nord-américain (en nodules polymétalliques). 
Cette déclaration a eu comme répercussion dans la guerre de l'anchois de
 voir les Etats sud-américains établir une zone de pêche exclusive 
jusque 200 miles de leurs côtes. Pourquoi cette distance ? Car les 
poissons passaient jusqu'à cette distance, et au-delà, il n'y a pas plus
 rien à prendre. C'est ce qu'expliquaient le professeur Hervé 
Coutau-Bégarie au Café stratégique numéro 3 (8 décembre 2009 - 19 
minutes et 30 secondes dans l'enregistrement audio). C'est-à-dire que la
 puissance maritime dominante a, malgré elle et ses intérêts, donné des 
arguments aux Etats côtiers, non-hauturiers, pour construire un monopole
 juridique sur l'exploitaiton de ressources marines. Les conflits 
pétroliers dans l'Amérique du Sud actuelle ne sont que le fruit du 
triomphe de cette conception née de la guerre de l'anchois. C'est ce 
genre de pesanteurs terrestres avec lesquelles il faut composer, et 
contre lesquelles l'Espace offre des alternatives "libres".
Les "
 global commons"
 ne sont qu'un concept des espaces communs (aériens, marins, spatiaux et
 cybernétiques) que seules des puissances maritimes ont pu imaginer. 
Plus les espaces communs sont grands, plus il y a d'espace de manoeuvre 
et de moyens de communiquer.
In fine, le 
Sea Basing
 n'était ou n'est qu'un concept servant à projeter le flux de ses forces
 dans un espace libre d'utilisation afin de s'affranchir des contraintes
 imposées par les autres Etats sur les terres émergées. L'exploitation 
de l'Espace pourrait être une réponse aux Etats territorialisant leurs 
eaux côtières à des fins d'exploitation économique exclusive. Ce serait 
encore une opposition renouvelée entre les "terriens" et les "marins".
La conquête spatiale sera probablement une guerre des communications.
Premièrement,
 il y a ceux qui peuvent ou pourront construire les outils nécessaires 
pour accéder à l'Espace, au sens où il est possible de s'y rendre et 
d'en ramener quelque chose de manière profitable pour les finances 
privées et publics. A la différence de la Mer, on ne transporte pas de 
grandes quantités de marchandises à moindre frais vers et en retour de 
l'Espace. Le fret spatial aura ceci de commun avec le fret aérien qu'il 
ne sera que sur les marchandises à la plus forte valeur ajoutée. Il y 
d'ores et déjà des nations qui ne peuvent pas accéder à l'Espace : elles
 sont enclavées, comme les territoires uniquement terrestres, sans 
accéder à la mer.
Deuxièmement, il s'agira de se doter des moyens
 pour défendre son accès à l'Espace et de participer à la course aux 
caractéristiques du milieu qui sont les plus intéressants. En effet, des
 stratégies de déni d'accès à l'Espace seraient dès aujourd'hui 
observables. Avant même d'évoquer une quelconque conquête des richesses 
spatiales, il faut bien considérer que celui qui domine l'espace où les 
satellites gravient possède un avantage stratégique primordial sur ses 
adversaires.
C'est
 tout simplement dire qu'il existe potentiellement le risque de revivre 
une seconde guerre de Sept ans et ses conséquences funestes : le traité 
de Paris de 1763. Cette année là, la France perdait le Canada et l'Inde.
 La face du Monde aurait été assez différente de celle que l'on a sous 
nos yeux aujourd'hui.
La
 France a perdu ces territoires car la Marine Royale a périclité sous 
Louis XV en raison non pas de coupes budgétaires, mais d'un repli 
budgétaire mal-exécuté : l'on peut réduire la taille de sa Flotte, mais 
il faut surtout en protéger les fondamentaux qui en assurent 
l'efficacité (formation, entraînements, capacités industrielles et 
scientifiques, recrutement constant, etc...). Hors, il y a manifestement
 eu un repli budgétaire qui s'est transformé en désastre naval car le 
repli est l'opération la plus difficile à effectuer à terre. Même pour 
les marines.
L'une
 des questions qui se posent à propos de la conquête spatiale est de 
savoir si elle est analogue aux conquêtes maritimes du temps passé ? Une
 autre est de déterminer si les actuelles activités maritimes sont une 
voie provisoire avant d'aller vers le nouvel Océan ?
Si nous 
étions irrémédiablement attiré par l'Espace, alors, il faut garder en 
mémoires nos erreurs passées, et se souvenir de la parole de Richelieu 
qui a toujours valu d'avertissement pour l'avenir :
« Les larmes de nos souverains ont le goût salé de la mer qu'ils ont ignorée ».