Le septième épisode de la saga « Star Wars » débutait ses projections
depuis le 16 décembre pour quelques dizaines millions de chanceux – la
force de l’exception culturelle française ? – avant d’envahir
littéralement le monde à partir du 18, sans compter les quelques
avant-premières. Depuis le rachat de Luscasfilm par Disney en 2012 pour 4
milliards de dollars, les enjeux sont colossaux. Les premiers films,
formant véritablement une industrie, dégageaient plus de 27 milliards de
dollars recettes. Est-ce que ce film inattendu relèvera les challenges
financiers et économiques ? "Difficile à voir. Toujours en mouvement est l’avenir."
Nous
pouvons d'ores et déjà poser quelques éléments de contexte. Le format
de la saga n'était pas véritablement arrêté. Dans l'idée du grand
concepteur, elle devait s'étaler sur 12 puis 9 films car le format de la
trilogie s'est peu à peu imposé. Les défis et les succès conduiront à
une première trilogie puis une "prélogie". Après le rachat par Disney,
il est question de la troisième trilogie. C'était sans compter sur les
trois films dérivés qui s'y ajoutent. Avec 15 films actuellement en
pré-production, production ou tournée commerciale, nous sommes face à
une rupture.
Mais
vous aurez certainement aussi remarqué que le chiffre 7 n'est pas mis
en avant, pour éviter de souligner que, dans bien des secteurs
culturels, la création et l'innovation cèdent le pas à une non-prise de
risques dans le développement de licences et franchises déjà bien
installées.
Nous
nous demandons si les autres industriels et commerçants ne sont pas
dans une posture de prudence. Après tout, nous n'avons eu qu'un
formidable raz-de-marée planétaire de l'équivalent des vendeurs de
tshirts à la sortie d'un concert. Il n'y a pas vraiment eu, à notre
connaissance, d'engagements financiers et industriels pour tirer profit
du nouvel épisode. Par exemple, le jeu Rogue squadron est
toujours à l'état d'abandon (alors que les trois premiers devaient
ressortir sur Wii). Nintendo n'a pas fait connaître son intention de lui
donner une suite. Le budget d'un jeu vidéo se chiffrant à plusieurs
dizaines de millions, le risque semble trop grand grand dans ce secteur,
par exemple, pour foncer tête baissée. La sortie de Battlefront est relativement timide à cet égard.
Le
réalisateur Jeffrey Jacob Abrams ne s'investissait dans ce projet bien
épineux seulement depuis que Kathleen Kennedy l'avait convaincu par une
citation alambiquée : "Mais qui est Luke Skywalker ?"
L'écriture du scénario prend une année. Elle signe une autre rupture
dans la saga par la un changement de "canon". Auparavant, il s'était
développé un "univers étendu", fruit de l'imagination d'auteurs sous
contrat, ce qui signait une cohérence. Mais les nouveaux films
s'affranchissent de cet univers, voire le suppriment, et forment un
nouveau canon avec les séries télévisées.
C'est
la première chose intrigante quand le spectateur découvre le film.
Finalement, il y a quelques idées que les scénaristes sont allés
chercher dans cet univers étendu, aujourd'hui disparu. C'était une
grande partie de l'enjeu : quoi imaginer pour donner une suite qui soit
originale sans être improbable ? Trente années après l'épisode 6, nos
auteurs choisissent de se donner du temps, sans fermer la porte à des
développements intervenus dans l'univers étendu. Il y a en la matière un
recalibrage chronologique assez intéressant. Tout comme un certain
voile pèse sur l'organisation politique de la galaxie. Quelques
informations sont données. Mais nous sommes dans un flou que l'univers
étendu avait levé. A l'image de notre époque, les deux prochains
épisodes de cette trilogie livreront-ils un contexte géopolitique
compliqué et complexe, et non pas un simple affrontement côté obscur
contre lumineux ? La réponse est paradoxale dans le film. Au demeurant,
l'affiche du film respectait toutes ses promesses.
Aussi,
il est clair que le réalisateur nous propose par ce premier volet un
choix de "fan pour des fans". Les références, clins d'œil, "easter eggs"
sont nombreux et il fallait s'y attendre eu égard aux habitudes
d'Abrams. Toutefois, nous laissons l'éventuel spectateur apprécier le
fait qu'elles donnent du relief à la source d'inspiration principale de
l'épisode 7 car il y a une hiérarchie en la matière.
Fondamentalement,
la mythologie grecque continue d'offrir une matrice puissante à
l'intrigue, ce qui confirme bien une saga comme opéra spatial aux
fondations bien établies. Ce n'est pas seulement une histoire de
vaisseaux et de batailles mais la projection des mythes d'hier dans une
autre scène.
Toutefois,
ne boudons pas notre plaisir : les décors nous semblent un peu plus
riche qu'à l'accoutumée et les raids, escarmouches et batailles ne
déméritent pas par rapport aux précédents films. La progression des
techniques de tournage et des effets spéciaux permettent une plus grande
liberté de mouvement. Les allusions à de précédents combats donnent le
vertige.
Les
effets spéciaux (et plus largement, l'aspect visuel) étaient plus
qu'attendus puisque cette saga a largement contribué à leur progression
technique depuis Un nouvel espoir. Cette fois-ci, le contexte
est plus que difficile car il fallait séduire un spectateur qui a eu
l'occasion de s'habituer aux versions remasterisées des épisodes
précédents, entraînant une certaine continuité visuelle. Surtout, des
films comme Interstellar et Mad Max IV - Fury Road placent la barre très haute. L'épisode 7 relève le défi, modernise tout en respectant les caractéristiques de Star Wars.
Ce
qui nous conduit à dire un mot des acteurs. Les nouveaux venus tiennent
bien leur rôle et sont plutôt convainquant. Ils interagissent bien avec
les anciens. Le panorama est largement ponctué par une féminisation du
personnel. Cela frappe par rapport à 1977, la cause des femmes aura au
moins progressé dans une galaxie lointaine. Nous sommes particulièrement
surpris par le jeu d'un acteur à la carrière déjà si riche. Et d'un
autre, au palmarès pas moins important qui nous propose un nouveau
monstre, sans capuche. Plus généralement, nous avons toujours autant de
formes de vie improbables.
La
musique est elle aussi respectée. John Williams connaît son sujet et
nous avons été particulièrement séduit par cette nouvelle musique
d'ambiance de bistrot galactique. Elle est particulièrement marquante
car sa devancière est une référence en la matière.
L'humour
est bien soutenu, surtout par les chefs d'orchestre que sont les
droids. Quelque part, ce sont les seuls acteurs à avoir joué leur rôle
dans chacun des films, avec des scènes parfois bien improbables. Le
nouveau venu ne déroge pas à la règle. Ce sont peut-être ces deux droids
recherchés par tout le monde qui sont l'essence même de la saga. Qui
sait ?
Au
final, et sans trop trahir ce que vous pourriez rencontrer, J.J. Abrams
exécute à la lettre son contrat. Les parallèles entre ce septième
épisode et d'autres, dont surtout un, sont parfaitement maîtrisés. Bien
des critiques n'en attendaient pas moins de ce réalisateur. Mais c'est
sur le prochain épisode que tout repose, en vérité. Les codes étant
maîtrisés, revisités, il leur faut maintenant proposer un arc narratif
suffisamment original et autonome pour être dans la continuité tout en
créant l'avenir. Et la tâche ne sera pas mince. L'épisode 8 donnera le
"la" de cette trilogie...
"Le côté obscur de la Force, redouter tu dois."
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire