© Inconnu. Le Henry IV, cuirassé garde-côtes (1897-1921). |
La fonction garde-côtes
Son article a le mérite de présenter synthétiquement ce que représente la fonction garde-côtes :
La France possède depuis le décret du 22 juillet dernier une fonction garde-côtes. Une fonction et non un corps de gardes-côtes à proprement parler, comme les tout-puissants « coast guards » américains ou britanniques. Un nouvel échelon administratif voulu en haut lieu, puisque c’est Nicolas Sarkozy qui, le premier, dans son discours du Havre, en juillet 2009, a annoncé sa création. Reprise dans le Livre bleu et confirmée rapidement par décret, la fonction garde-côtes est placée sous l’autorité du secrétaire général de la Mer, lui-même sous autorité directe du Premier ministre.
En exagérant,
rien de nouveau à l’Ouest comme disait Erik Maria Remarque. Un nouvel
échelon administratif pour en coiffer d’autres. C’est un peu l’histoire
de la décentralisation ou d’une discrète réforme de l’université via les
PRES [1].
Cependant,
l’auteur (ou l’auteure) nous prépare à une grande évolution de l’Action
de l’Etat en Mer, ce qui justifierait cette fonction garde-côtes.
Appréciez plutôt :
La principale innovation se situe dans la création d’un Comité directeur de la fonction garde-côtes, placé sous l’autorité du secrétaire général de la Mer. Celui-ci regroupe tous les patrons des administrations compétentes et sera désormais en charge de gérer les moyens mis à la disposition de l’action de l’Etat en mer. Comme ailleurs, l’heure est aux restrictions budgétaires. Il était donc nécessaire de rationaliser le budget des moyens employés en mer. Et, en premier lieu, de coordonner les investissements de chacune des administrations. Désormais, avant d’acheter un avion de patrouille maritime ou une vedette de surveillance, les administrations vont devoir soumettre le projet au comité directeur, qui sera chargé de constater si un moyen existant ou en projet dans une autre administration peut remplir la mission et couvrir la zone géographique envisagée.
Il s’agit ici
du cœur du sujet : la fonction garde-côtes se dote d’un comité
directeur. Ce dernier sera l’échelon obligatoire à consulter avant de
lancer un programme ou d’acquérir un matériel dans le cadre de l’Action
de l’Etat en Mer. Cela signifie qu’une rationalisation va s’opérer. Là
où nous ne sommes pas d’accord avec la journaliste c’est que le but
primaire n’est pas de réaliser des économies. A notre humble avis, c’est
le but secondaire. L’intérêt de ce comité directeur est de centraliser
la gestion des moyens (programme et matériel) que mettent en œuvre les
différentes administrations (Marine Nationale, Gendarmerie Maritime,
Douanes, Affaires Maritimes, etc...). Confier la gestion des moyens à
une autorité unique, c’est le prélude à la mise en œuvre de ces moyens à
une autorité unique.
Création d’une Marine côtière
C’est
là, dans l’énoncé de cette proposition que tient toute la réflexion :
confier l’intervention en Mer à une autorité unique tant pour la gestion
des matériels que pour leur mise en œuvre. Ainsi, il est préconisé de
créer une marine côtière au sein de la Marine Nationale. La Royale
aurait pour mission de gérer ces moyens maritimes dédiés à l’Action de
l’Etat en Mer. Les autres administrations précitées devront quand à elle
fournir les spécialistes. Et le préfet maritime devra organiser les
patrouilles et missions, faire le lien entre la Marine et les
administrations pour aller intervenir en Mer.
A la Marine les moyens, aux administrations les missions.
Recréation des Forces de Haute-Mer (FHM)
L’intérêt
consubstantiel de la création de cette marine côtière, c’est la
recréation des Forces de Haute-Mer (FHM) aujourd’hui disparue. L’intérêt
fondamental du débat sur l’Action de l’Etat en Mer, c’est justement de
rationaliser cette action pour recadrer l’intérêt stratégique de la
Marine Nationale, donc de la Marine de Guerre. Et on ne peut user à
loisir de frégate, donc d’un navire de guerre, pour faire de la sécurité
civile sur mer. Il faut donc dissocier les deux grands cœurs de métier
d’une marine : l’Action de l’Etat en Mer et la Marine de Guerre. Pour
autant, il ne faut pas non plus créer une séparation organique entre la
marine côtière et les FHM. Au contraire, il faut faire en sorte de
conserver l’unité de la Marine. C’est même une obligation.
Stratégie maritime, stratégie navale
In
fine, nous appliquons la pensée de Julian S. Corbett (historien et
stratège naval britannique) et l’amiral Raoul Castex (marin français et
stratège naval) : repenser la stratégie navale pour la sauvegarde des
communications. L’amiral Alfred Thayer Mahan a eu le tort de tout baser
sur la seule bataille décisive. Or, après étude par l’amiral Raoul
Castex (aidé du commentaire d’Hervé Coutau-Bégarie), elle se fait plutôt
rare dans l’Histoire cette bataille décisive. Au contraire, les deux
successeurs de l’amiral américain ont mis en avant l’intérêt de protéger
les lignes de communications.
Notre grand modèle est le blocus
naval. Ce dernier au XVIIIe siècle se réalisait schématiquement à l’aide
de deux navires. Le premier était la "frégate" qui devait aller au plus
près du port sous blocus pour observer et rapporter l’état des forces
ennemies. Le second était le "navire de ligne", concentré avec d’autres
de ses congénères au sein d’une flotte se tenant au large. La fonction
des navires de ligne est, sur information d’une frégate, d’accourir pour
venir détruire la flotte ennemie.
Appliquons notre modèle
historique à ce qui a été dit sur les FHM et la marine côtière. Le port à
bloquer dans notre modèle actuel ce sont les zones économiques
exclusives. La force bloquante, c’est l’Action de l’Etat en Mer, donc
l’action maritime de la France. La France possède des zones économiques
exclusives et pour en tirer l’usage économique, elle doit en interdire
l’accès à d’autres Etats. Alors, au lieu de bloquer la sortie de
navires, il faut en prévenir l’entrée. C’est le rôle de la marine
côtière et de, non pas ses frégates, mais de ses patrouilleurs de
réaliser ce travail. Les navires de ligne sont tout naturellement des
FHM : porte-avions, SNA, frégate AA et ASM.
Nous aurions pu
présenter la chose autrement. Notre modélisation aurait dû revenir
stratégiquement à ne pas faire un blocus mais un contrôle maritime. Mais
nous inclinons à penser que le contrôle, le sea control est une
action qui relève plutôt de la part de stratégie navale en vue
d’interdire l’accès d’une zone à une marine de guerre ennemie.
Alors
que notre modèle tend plus à se rapprocher du modèle fondamental d’une
Marine : protéger un empire. Où est l’empire ici ? Les zones économiques
exclusives. La France en a, schématiquement, l’usage exclusif. Non pas
d’en tirer le profit à son seul compte, mais de choisir qui en tirera
profit. C’est ce possible rapprochement avec les économies fermées des
derniers empires coloniaux qui nous oblige, presque, à penser que la
notion de blocus était la plus adapté pour notre modèle.
En guise de conclusion
La
création du comité directeur de la fonction garde-côtes sera un moyen
puissant de rationalisation de l’Action de l’Etat en Mer, c’est presque
certain. Cela en a toutes les apparences. La proposition de coiffer la
Marine Nationale comme opérateur unique peut être considérée comme un
développement extrême de la logique de la création du comité directeur.
C’est possible mais c’est la proposition de ce numéro de la chronique.
Et cette proposition tient à s’appuyer sur un modèle de stratégie navale
(donc plutôt guerrier) pour mettre en œuvre la stratégie maritime de la
France. La première étant la stratégie militaire, la seconde la
stratégie générale dont fait partie le guerre économique. Les deux
stratégies sont naturellement en interdépendances. Et il sera osé, mais
nécessaire, d’affirmer que c’est par ce genre de réflexion que des
programmes comme BATSIMAR pourront réussir à doter la Royale des moyens
nécessaires à son action car insérés dans une stratégie maritime
cohérente dotée de moyens en cohérence.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et n’engagent pas la rédaction du Portail des Sous-marins.
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