Philippe Wodka-Gallien (membre de l'IFAS) souhaite nous offrir un
essai nucléaire qui dépasse les querelles d'une vigueur religieuse entre
anti et pro-dissuasion nucléaire. Avant de livrer mon
sentiment sur le pari de l'auteur, relevons que cet essai de 215
pages paru aux éditions Lavauzelle est d'une riche densité, ce qui offre
d'excellentes bases pour aborder un tel débat.
Le préambule nous montre que la narration de l'ouvrage se fera sous
l'angle du nucléaire tricolore. Ainsi, les premières lignes sont
consacrées à la détonation de Gerboise bleue dans le désert du
Sahara le 13 février 1960.
Dans un premier temps, Philippe Wodka-Gallien nous relate l'épopée
nucléaire nationale, de la défaite de 1940 à la mise en service de la
dissuasion nucléaire française (Mirage IV, plateau
d'Albion, missile Pluton et la pointe de diamant : le Redoutable).
Utile revisite des fondements de cette aventure que sont le premier
conflit nucléaire (la seconde guerre mondiale) avec en
prologue la défaite française de 1940 mais aussi celle de Diên Biên Phu (1954), l'humiliation de 1956 et la problématique nucléaire dans l'Alliance Atlantique (chapitres 2 et
3).
Constatons avec l'auteur que la place de la DAMB (Défense Anti-Missile Balistique) de territoire qui a perdu de son actualité - sauf dans les Etats dépourvus de l'arme nucléaire. Constatons aussi avec lui que les fondamentaux de l'usage stratégique de l'arme nucléaire en France (sanctuarisation du territoire national, liberté d'action dans le monde et continuum entre action conventionnelle et nucléaire) ne sont pas remis en cause. La France s'appuie, notamment, sur l'arme nucléaire pour son indépendance bien que le monde soit un ensemble de réseaux (EGEA le démontrait amplement ici).
A propos du territoire national, il me semble que l'auteur n'aborde
pas la question sous l'angle de l'Archipel France, ce qui est pourtant
notre réalité géographique (EGEA nous propose une réflexion à ce sujet). Par contre, il relève une chose très importante : l'articulation entre
la bombe française, le siège de Paris au conseil de sécurité et l'espace francophone.
Notons ce détail très intéressant et très rarement mis en avant : le
sacre du Président de la République qui ne se fait pas à Reims comme
pour un roi mais en recevant les codes de mise à feu
nucléaire.
Il s'agit aussi de traiter ce formidable capital
qu'est la dissuasion nucléaire sur les plans scientifiques,
technologiques, économiques et militaires. La force de frappe
nucléaire demeure une locomotive qui entraîne toute une économie
française et l'auteur de rappeler que c'est l'une des dernières
industries nationale sous l'entière souveraineté nationale. A
juste titre, l'auteur réfléchit à la place de l'arme nucléaire dans
la construction institutionnelle et politique de l'Etat, dans le contrat
social (pp. 81-82), pour montrer son attrait en France
plutôt qu'en Allemagne ou sa place dans nos forces politiques. Ce
qui permet de comprendre mieux en quoi l'EPR et le SN3G sont des enjeux
de tout le XXIe siècle en France.
Aussi, l'auteur n'a pas la pudeur d'éviter d'aborder la question de
l'aide américaine dans la constitution de la force nucléaire française
(chapitre 5).
Nous pouvons regretter par contre qu'il n'ait pas eu le temps et/ou la place d'aborder la place du nucléaire français dans le cadre européen. C'est-à-dire que faute de capitaux suffisants, la France lance des coopérations avec des Etats pour partager les coûts. Dans ce cadre, l'utilisation du levier européen ou des leviers des puissances émergentes (Israël, Iran et Irak, par exemple) est très instructive de la stratégie technologique française (voir à ce sujet L'Alliance incertaine, les rapports politico-stratégiques franco-allemands, 1954-1996 de Georges Henri-Soutou aux éditions Fayard).
Nous pouvons regretter par contre qu'il n'ait pas eu le temps et/ou la place d'aborder la place du nucléaire français dans le cadre européen. C'est-à-dire que faute de capitaux suffisants, la France lance des coopérations avec des Etats pour partager les coûts. Dans ce cadre, l'utilisation du levier européen ou des leviers des puissances émergentes (Israël, Iran et Irak, par exemple) est très instructive de la stratégie technologique française (voir à ce sujet L'Alliance incertaine, les rapports politico-stratégiques franco-allemands, 1954-1996 de Georges Henri-Soutou aux éditions Fayard).
Par le chapitre 6, il est question de la nouvelle course aux
armements stratégiques. Quelque part, cet état des lieux général nous
peint les puissances nucléaires officielles (celles reconnues
par le TNP, les cinq du conseil de sécurité des Nations Unies) et
celles officieuses non-reconnues par le TNP ou en devenir (Inde,
Pakistan, Corée du Nord, Iran et le cas particulier d'Israël).
Chapitre qui est à la jonction dans le propos de l'auteur avec les
deux précédents puisqu'il envisage la course aux armements comme le
moteur de l'Histoire. Ainsi, dans notre ère actuelle, le
cadre juridique interdisant les essais nucléaires (pour les Etats
signataires du TNP), l'auteur avance que c'est la simulation nucléaire
qui permet de hiérarchiser les puissances nucléaires.
Paradigme où la France est la deuxième puissance nucléaire mondiale,
derrière les Etats-Unis. Vision qui sera très certainement contestée
mais qui est originale pour aborder une question qui
demeure technologique et scientifique depuis son origine.
Le chapitre 7 est un apport au débat entre les forces nucléaires et
conventionnelles en France. Philippe Wodka-Gallien démontre
l'imbriquement technologique entre forces nucléaires et
conventionnelles. De remarquer que les forces nucléaires permettent
de tirer les forces conventionnelles vers le haut. Et qu'une éventuelle
suppression ou réduction des forces nucléaires ne
profiterait nullement aux forces conventionnelles. Comment avancer
le contraire ? Est-ce que le passage de 6 à 4 SNLE a profité aux forces
armées ? Ou peut être l'abandon des missiles Hadès et du
plateau d'Albion ?
Sur la question de l'utilité de la composante aéroportée de la
dissuasion nucléaire française, il est très intéressant de lire en
complément Thérèse Delpech (La dissuasion nucléaire au XXIe
siècle - Comment aborder une nouvelle ère de piraterie stratégique
aux éditions Odile Jacob) qui montre la quinzaine de crises du conflit
Est-Ouest (1947-1989) qui ont comporté un volet
nucléaire. Plus précisément, ces crises ont eu recours à une
diplomatie aérienne nucléaire. C'est bien plus compliqué de faire passer
le message avec un sous-marin.
Si Philippe Wodka-Gallien poursuit avec l'exemplarité française en
matière de désarmement nucléaire (chapitre 8), c'est surtout pour en
montrer le gain politique nul que Paris a tiré de cette
attitude. Hors la manœuvre du Président Mitterrand ("La dissuasion, c'est moi" en réponse à Louis XIV "L'Etat, c'est moi"
comme le note savoureusement l'auteur) sur les missiles
Hadès, le désarmement nucléaire unilatéral de la France n'a
strictement rien apporté à la sécurité internationale. C'est un constat à
ne jamais oublier quand il est proposé de réduire ou
démanteler la force de frappe française ("tendre le baton pour se
faire battre" devrions-nous ajouter).
Les chapitres 9 et 10 permettent d'aborder la place actuelle des
forces nucléaires nationales et de leur avenir. La prochaine génération
de SNLE, le SN3G, emmènera la dissuasion jusqu'aux années
2080 : aux portes du XXIIe siècle comme le montre l'auteur.
Regret très personnel, et ce n'est pas le propos fondamental de l'auteur, à sa décharge, il est dommage que ne soit pas remis en cause le nombre de missiles sur SNLE (fixé à 16) ou la décision de ne s'intéresser au seul embarquement d'armes balistiques (alors que la défense aérienne contre missile de croisière est très lacunaire dans le monde).
Regret très personnel, et ce n'est pas le propos fondamental de l'auteur, à sa décharge, il est dommage que ne soit pas remis en cause le nombre de missiles sur SNLE (fixé à 16) ou la décision de ne s'intéresser au seul embarquement d'armes balistiques (alors que la défense aérienne contre missile de croisière est très lacunaire dans le monde).
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