L'objet
de cet article nécessitait une illustration idoine. Occasion de
remarquer que le détroit du Nord-Pas-de-Calais ne semble plus être une
affaire d'importance quand il s'agit de trouver une carte qui présente
les détroits et autres passages interocéaniques d'importance. La carte
proposée date de 1986, les plus récentes ne retiennent pas le caractère
stratégique de ce détroit. Le centre de gravité du monde a beau basculé
en Asie, tous les détroits conservent une certaine importance.
La
guerre de Cent ans (1337-1453) est le début d'un long conflit
franco-anglais dont le contrôle du détroit qui sépare les deux pays est
l'un des buts de guerre. Les places françaises, en particulier Dunkerque
(plusieurs fois au centre de traités pour que ses installations soient
détruites et que la ville soit sous garde anglaise), sont très bien
situées pour menacer l'artère maritime qui relie la Tamise au Nord de
l'Europe. Dunkerque possède une solide position stratégique à l'entrée
du détroit. Raison pour laquelle Dunkerque fut un formidable port pour
corsaire. Napoléon souhaitait faire de ce balcon stratégique un
marche-pied pour envahir l'Angleterre. Ce n'est peut être que lors de la
Libération que le détroit du Nord-Pas-de-Calais cesse d'être au centre
des rivalités militaires. Le conflit Est-Ouest était bien présent mais
il fallait surtout retenir la Flotte rouge aux débouchés de la Baltique
et de la mer de Barrents.
Aujourd'hui,
ce détroit serait déclassé car le basculement océanique mondial
consacrerait une flotte de ports asiatiques qui détrônerait tous nos
ports européens dont le roi est Rotterdam ? Rien n'est moins sûr. La
Chine s'intéresse de très prêt à la Mitteleuropa. Séoul et Pékin
cherchent une voie commerciale entre Rotterdam et Busan. Notre détroit
demeure d'actualités. Et il est toujours au centre de conflits dont
l'enjeux principal est toujours le contrôle des flux y transitant.
Le
plus brûlant est l'avenir de la compagnie maritime française "My Ferry
Link" qui succède à Sea France (L'Express n°3305 du 5 au 11 novembre
2014, Agnès Laurent, Si My Ferry Link perd la Manche). Le
problème posé par Londres et son autorité anti-concurrence est que la
nouvelle compagnie (une SCOP) a pu bénéficier pour la constitution de
son capital, tant financier que matériel, d'un montage compliqué. Dans
celui-ci intervient Eurotunnel. L'autorité de la concurrence anglaise
pointe le risque de contrôle des flux de voyageurs et de marchandises
dans le détroit par une seule compagnie. Au regard des échanges
d'arguments et d'aimabilités, des français reprochent à cette autorité
la présence d'un membre danois de la commission de premier niveau qui a
jugé l'affaire alors que la compagnie DFDS (danoise) voulait racheter
les navires de Sea France en juin 2012. La compagnie française est
menacée d'interdiction d'accoster dans les ports anglais en l'état
actuel du processus et une nouvelle solution est en cours de
construction, recherchée tant par les Anglais que les Français. Episode suivant en janvier 2015.
Constatons
que le contrôle maritime pour le transport de voyageurs et de
marchandises intéresse encore au moins deux Etats européens, si ce n'est
trois. Et peut être quatre puisque les navires militaires russes empruntent régulièrement ce détroit pour se rendre en Méditerranée notamment.
Ce
conflit calaisien s'accompagne du problème des migrants. Ils quittent
leur pays en quête d'un avenir meilleur en Angleterre. Les accords du
Touquet de 2003 déplaçaient la frontière migratoire de l'Angleterre à la
France. Dans le département du Pas-de-Calais, une nouvelle fois
frontière anglaise. La pression des migrants en quête d'un avenir
meilleur est peu supportable pour la ville de Calais et ses environs,
bloquant même certaines infrastructures routières (dont la rocade) et
compliquant les échanges. La ville est un véritable cul-de-sac puisque
les migrants ont peu d'espoir d'entrer légalement au Royaume-Uni. Les
pressions françaises ont accouché d'un accord pour que Londres finance
la contrepartie à l'établissement de sa frontière migratoire en Francce.
15 millions d'euros sur trois ans pour gérer une situation inextricable, à défaut de la résoudre.
N'oublions
pas le versant énergétique des flux qui traversent la Manche et pas
seulement le détroit. Des interconnexions sont en cours d'installation
pour relier les réseaux électriques entre les deux rives de la Manche.
Entre ces câbles, la construction des centrales de nouvelle génération
(EPR) en France et la reprise de centrales nucléaires anglaises par des
entreprises tricolores, Paris semble prendre le contrôle d'une partie
des flux énergétiques anglais.
Du
côté des câbles sous-marin servant au transport des télécommunications,
la relation de puissance entre les deux rives est terriblement moins
évidente. La France est presque transparente dans ces enjeux quand la
position de l'Angleterre dans ce réseau fonde en partie sa place
particulière en Europe, du pain bénit pour la NSA qui a financé de le
GCHQ. A l'heure où la neutralité d'Internet est en débat, où Google
investit dans des câbles sous-marins plus rapides, les industriels
français pourraient avoir l'occasion de se tailler une place.
A
tout cela s'ajoute la décision anglaise de retirer sa puissance
publique de la partie sauvegate en mer et assistance aux navires en
difficulté de la sauvegarde maritime dans le détroit. Les spécialistes
corrigeront mais je ne crois pas lire que Londres se désengage de la
protection de ses intérêts économiques dans sa zone économique
exclusive. Alors que Paris et Londres affrêté depuis plus de dix
l'Anglian Monarch (payer pour ce nom ?). En 2011, Londres cesse de financer cette capacité par souci d'économies budgétaires. La France prend seul le relais avec l'Abeille Languedoc.
A
travers ces quelques enjeux, il apparaît que la gestion des flux entre
les deux bords de la Manche est toujours l'enjeu de rivalités
économiques et étatiques entre l'Angleterre et la France. Si nous
n'avons que très peu creusé ces questions, nous pouvons tout de même
nous étonner d'une distorsion des efforts entre les deux nations pour
gérer les échanges, tant en mer que sur terre. Qu'est-ce que la France y
gagne en échange alors nous peinons à renouveler nos moyens au service
de la sauvegarde maritime dans nos 11 millions de km² de ZEE ? Les
Anglais, encore une fois, savent utilisent coopération et alliances pour
déléguer une partie de leur travail (utilisation des moyens de l'OTAN pour faire intervenir des avions PATMAR).
Poussons
plus loin notre intérêt pour ce détroit. Actuellement, en gardant en
tête l'actuelle réforme territoriale (avec la fusion des régions
Nord-Pas-de-Calais et Picardie), les ports de la Manche semblent unir leurs forces
pour coordoner l'interface France/Angleterre. Le transport du Gaz
Naturel Liquéfié (GNL) fera évoluer la nature et le volume des échanges
tout comme les navires. Dunkerque porte de grandes ambitions dans ce secteur. L'avenir devra aussi se conjuguer avec le canal Seine-Nord-Europe
qui est toujours une ambition d'Etat et qui renforcera la position de
Dunkerque. Dans ce contexte de redistributions des cartes, les ports français de la Manche peuvent ambitionner de gagner des places par rapport aux ports hollandais et flamands et de s'intérêt au décollage de l'économique Arctique.
Marier puissance maritime et potamienne à travers ces ports ne sera pas une mince affaire mais constitue un réel enjeu stratégique pour la France au XXIe siècle. Alors que l'Angleterre souhaite se désarimer de l'Europe, il y a là un potentiel de la retenir par les réseaux et la France possède une place de choix pour. Ce qui suppose de travailler en bonne intelligence avec les projets de la Commission européenne en matière de corridors européens.
Marier puissance maritime et potamienne à travers ces ports ne sera pas une mince affaire mais constitue un réel enjeu stratégique pour la France au XXIe siècle. Alors que l'Angleterre souhaite se désarimer de l'Europe, il y a là un potentiel de la retenir par les réseaux et la France possède une place de choix pour. Ce qui suppose de travailler en bonne intelligence avec les projets de la Commission européenne en matière de corridors européens.
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