Les @mers du CESM


Les @mers du CESM - 19 avril 1944 :

Le cuirassé Richelieu participe au bombardement de Sabang, base japonaise en Indonésie. Le navire français, ayant rejoint l’Eastern Fleet commandée par l’amiral britannique Somerville, prendra part à trois autres opérations visant des bases navales ennemies. Après 52 mois passés en mer, le bâtiment rentre à Toulon le 1er octobre 1944. À nouveau déployé en Asie du Sud-Est l’année suivante, le bâtiment assistera à la capitulation du Japon dans la rade de Singapour le 23 septembre 1945.





14 mai 2020

Los !

© Chantiers de l’Atlantique.

     La consolidation de la construction navale civile et militaire en Allemagne s'est brutalement mise en branle le 13 mai 2020. Il en ressort un premier ensemble formé par German Naval Yards (GNYK) et Lürssen tandis que Thyssenkrupp paraît préparer ses futures négociations avec le nouvel acteur en brandissant la coopération italienne et donc la marginalisation du nouvel acteur allemand. Mais en écartant plusieurs hypothèses, ce serait plutôt la fragilité de Thyssenkrupp vis-à-vis de son projet ancien (2011 - 2020), et d'une actualité particulièrement criante pour sa trésorerie, de céder TKMS.


Les nouvelles sont tombées, dans cet ordre chronologique :
  • annonce, par une dépêche de l'agence Reuters, de l'ouverture de négociations entre les sociétés de construction navale militaire allemande TKMS et italienne Fincantieri (Christoph Steitz, Tom Käckenhoff et Sabine Siebold, « Thyssenkrupp discute d'un rapprochement avec Fincantieri », Reuters, 13 mai 2020) ;
  • la Commission européenne devrait très prochainement annoncer l'opposition de son veto à l'entrée de Fincantieri au capital des Chantiers de l'Atlantique.
Naviris
 
     Dans un premier temps, deux des annonces pré-cités paraissent être en mesure de déstabiliser la coopération dans les navales civile et militaire entre la France et l'Italie, ce qui invite à proposer un rappel des principales étapes de ce rapprochement.

Le directeur général de Fincantieri et le président-directeur général de Naval group - MM. Giuseppe Bono (2002 - ...) et Hervé Guillou (2014 - 2020) - matérialisaient leur volonté de rapprocher les deux industriels italiens et français de la navale militaire par les plans Magellan (2015) et Poséïdon (2017). Ce projet présenté à l'été 2017 était sanctionné par la signature d'un accord le 27 septembre 2017 pour le rachat de STX St Nazaire par Fincantieri.

La deuxième étape du rapprochement était la signature le 23 octobre 2018 d'un nouvel accord prévoyant la création d'une société commune (joint-venture) qui fut portée sur les fonts baptismaux le 14 juin 2019 et baptisée Naviris, nom dévoilé lors du comité d'organisation qui s'était tenu à Gênes le 23 octobre 2019 où la société est domiciliée.

La décision attendue de la Commission européenne rouvrira le débat quant à l'incapacité de cet organe, pilier du triangle décisionnel, à formuler et mettre en œuvre une politique économique. Et malgré la déclaration de la Présidente  Ursula von der Leyen l'a qualifiant de « Commission géopolitique ». La jurisprudence de la décision d'interdiction du rachat de la société aéronautique canadienne De Havilland par Aérospatiale-Aliéna en 1991 continue à s'appliquer. Affaire où avait été brandie la crainte d'un monopole sur le segment des avions régionaux tandis que Boeing régnait de main de maître sur les court- et moyen-courriers...

Chantiers de l'Atlantique + Fincantieri

     Giuseppe Bono serait furieux. Une partie des protagonistes Allemands aurait œuvré dans les couloirs de la Commission européenne à ce résultat. Quelles peuvent être les conséquences pour la coopération franco-italienne ? Une perte de temps, de potentielles frictions. L'accord de février 2018 ne pourrait s'appliquer puisqu'il serait interdit à Fincantieri d'acquérir 50% du capital et donc l'État ne lui prêtera pas 1% de sa propre participation afin de lui octroyer la majorité, sous la forme d'une minorité de blocage temporaire. Le temps de trouver un modus operandi pouvant satisfaire la Commission européenne, les Chantiers de l'Atlantique et Fincantieri coopéreront moins pour optimiser leurs outils industriels que pour se faire concurrence alors que la crise sanitaire est particulièrement défavorable au secteur de la croisière.

Du point de vue des programmes navals militaires français, le programme des Bâtiments Ravitailleurs de Force (BRF) n'aurait pas à supporter ce contre-temps car entré en phase d'industrialisation : la construction des parties avant doit débuter très prochainement en Italie puis des parties arrières en France à l'été 2020. Et remettre en cause ce programme reviendrait, sur le plan politique, à remettre en cause la coopération puisque le programme FLOTLOG n'avait pas retenu l'avant-projet BRAVE de STX France et DCNS au profit de l'adoption d'une variante du Vulcano alors en chantier pour la Marina militare. Les modalités devraient suivre.

Par contre, le maintien de la nationalisation alliée à un plan de charge des Chantiers de l'Atlantique vide de toute mise sur cale à partir de 2024 et le temps nécessaire pour faire émerger une solution capitalistique à long terme pourrait amener l'Etat, dans la perspective d'un plan de relance, à passer commande d'un bâtiment en mesure d'être mis sur cale à l'échéance désirée tout en symbolisant la volonté de maintenir ce qui est qualifié d'actif stratégique.

Concentration allemande ?

     Une esquisse des manœuvres des industriels allemands avait été dévoilée dès le 17 avril (« Thyssenkrupp in talks with local rivals about possible warship unit merger », Reuters, 17 avril 2020) quand le conglomérat Thyssenkrupp disait envisager de fusionner sa filiale ThyssenKrupp Marine Systems (TKMS) avec un rival national - German Naval Yards (GNYK) ou Lürssen donc - afin de faire naître un champion national.

Mais ce mercredi 13 mai, ce sont GNYK (~250 millions d'euros de Chiffre d'Affaires (CA) ou Lürssen (~700 millions d'euros de CA) qui sont parvenus à un accord afin de rapprocher leurs activités via une société commune. Et la porte demeure ouverte à l'attention de ThyssenKrupp car Lürssen pourraient prendre jusqu'à 50% de GNYK avant d'entreprendre les discussions avec le conglomérat allemand afin d'adjoindre au précédent et nouvel ensemble TKMS.

ThyssenKrupp se retrouvait momentanément isolé jusqu'à l'annonce, par une dépêche de Reuters, que le conglomérat allemand étudie plusieurs scénarios : 
  • un rapprochement avec un rival national,
  • une vente de la filiale TKMS (~1800 millions d'euros millions d'euros de CA) à l'exclusivité des activités de construction sous-marine et ce, sous l'étroit contrôle du gouvernement fédéral ;

  • un rapprochement avec Fincantieri (~1600 millions d'euros millions d'euros de CA).

Cette dernière hypothèse passerait par la création d'une société commune détenue à parts égales par Fincantieri et TKMS qui prétendrait à un chiffre d'affaires annuel d'environ 3400 millions d'euros. 

Fincantieri s'est contenté par la voix de son porte-parole d'affirmer que « la consolidation de l’industrie de défense européenne reste souhaitable et la coopération de longue date avec l’industrie navale allemande pour la construction de sous-marins représente une opportunité concrète de discuter des futurs scénarios de consolidation. » La manœuvre ne serait pas germano-italienne mais relèverait de l'apanage exclusif de ThyssenKrupp.

La coopération Fincantieri - Naval group (2015 - 23 octobre 2019) ne vise comme activité que les programmes binationaux de bâtiments de surface, la coordination des efforts des deux industriels sur les marchés étrangers et la mise au point d'un nouveau système de combat devant équiper les quatre frégates du programme Horizon - à savoir les classes Forbin (2) et Andrea Doria (2) dans le cadre de leur rénovation à mi-vie (Mid-Life Update (MLU) qui sera un chantier binational et la Coopération Structurée Permanente (CSP ou PErmanent Structured COoperation (PESCO) European Patrol Corvette.

Raisons qui invitent à écarter un scénario d'un double mouvement de consolidation mêlant Fincantieri - TKMS, d'un côté, et GNYK - Lürssen : à moins que ne soit accepté en Allemagne ce qui serait plus ou moins une vente à la découpe entre ces deux pôles.

TKMS + HDW ? 

     C'était lors d'une réunion du 10 octobre 1995 que le Parlement italien donnait son aval au projet de coopération internationale avec l'Allemagne pour la construction de sous-marins. Le projet italien S-90 était abandonné par la même occasion. Un protocole d'entente fut signé le 22 avril 1996 autour du programme Type 212 qui devenait Type 212A en intégrant l'expression du besoin de la Marina militare. L'objet du protocole était la commande commune de dix bateaux du Type 212A, soit 4 + 2 (option) au profit de la Deutsche Marine et 2 + 2 pour la Marina militare

Rien ne paraît interdire à l'Italie de formaliser cette ancienne coopération pour la première fois, par un contrôle capitalistique : c'est tout le sens de la déclaration du porte-parole de Fincantieri qui ne vise explicitement que la seule question des sous-marins quant aux discussions à venir ou en cours avec ThyssenKrupp. Fincantieri n'entend pas remettre en cause le partenariat noué avec Naval group, la construction sous-marine n'y étant pas partie prenante.

Ce qui procéderait des rationalités ayant conduites l'Italie à nouer, en 1996, ce partenariat avec l'Allemagne : préserver les compétences industrielles à travers la coopération avant de remonter en puissance. Et c'est là l'étape-clefs qu'est la conception du Type 212 NFS pour lequel la part de l'industrie italienne avoisinera les 30 à 40% contre 15% pour les Type 212A.

L'hypothèse d'un accord Fincantieri - ThyssenKrupp renforcerait le poids de Fincantieri : du point de vue du chiffre d'affaires, les 1600 millions d'euros de Fincantieri se rapprocheraient des 2800 millions d'euros de Naval group. Du point de vue des compétences industrielles, Fincantieri ré-investirait complètement un segment du marché qui lui manquait pour parler d'égal à égal avec Naval group.

Mais si ce mouvement de consolidation industrielle aboutissait à un nouvel équilibre franco-italien, ce serait, aussi, l'hypothèse, et la promesse, d'un deuxième mouvement qui serait une future consolidation franco-italienne dans la construction sous-marine européenne via Naviris ou une société ad hoc. Il en résulterait une vassalisation du marché allemand et une relégation d'Atlas Elektronik au regard des discussions franco-italiennes autour de Leonardo et Thales. Le gouvernement fédéral allemand peut-il accepter pareille perspective ?

Nordallianz ?

     Il est donc plus probable, avec ou sans vente des activités de construction sous-marine de TKMS à Fincantieri, que le résultat à court terme soit l'émergence d'un champion naval allemand unifié ou bien l'émergence d'un deuxième acteur représentant plus ou moins les deux tiers de TKMS.

Une variable, toute virtuelle, est une éventuelle alliance Damen / German Naval Yards - Lürssen. En effet, dans le cadre du programme MehrzweckKampfSchiff klasse 180 (MKS 180), le ministère fédéral de la Défense déclarait vainqueur le consortium Damen - Blohm + Voss. Entre temps, Blohm + Voss avait été acquis par Lürssen (2016). Lürssen détient la position de pivot pour mener une consolidation industrielle hollando-allemande et de futures négociations avec TKMS (Gaëlle Winter, « Le secteur de la construction navale militaire allemande : un bateau ivre ? », Fondation pour la Recherche Stratégique, DEFENSE&Industries n°12, octobre 2018).

Mais Damen a noué une alliance avec SAAB Kockums pour soumissionner au programme Walrus replacement des sous-marins de la classe Walrus de la Koninklijke Marine. Un rapprochement Damen - Lürssen - TKMS obligerait, de facto, à décider du maintien des candidatures à cet appel d'offres ou bien à une dénonciation de lalliance Damen - SAAB Kockums pour ce même appel d'offres au profit du Type 212 CD à l'équation.

Et de l'autre côté de la mer Baltique, la Suède, s'opposerait très vivement à toute implication industrielle pouvant remettre en cause les compétences industrielles de construction sous-marine de Kockums qu'elle a arraché... à TKMS. Mais la SAAB Kockums serait immanquablement marginalisée et n'aurait que peu de possibilités pour se retourner : Fincantieri, Naval group, Navantia ?

Il pourrait être objecté que cette consolidation pourrait se satisfaire d'un abandon de l'accord Damen - SAAB Kockums au profit de l'offre de TKMS, c'est-à-dire de persuader et Damen et, finalement, le gouvernement hollandais que les intérêts industriels bataves seraient mieux traités en intégrant un ensemble germano-hollandais dominé par les Allemands. TKMS gagnerait définitivement deux marchés (Norvège (4), Pays-Bas (4) plutôt rémunérateurs.

Mais il existe aussi l'hypothèse d'une consolidation germano-hollandaise autour de Lürssen (~700 millions d'euros de CA) et Damen (~2000 millions d'euros de CA) mais se tenant à l'écart de TKMS (~1800 millions d'euros de CA). Cet horizon dessine un ensemble industriel se suffisant à lui-même et n'ayant aucun obstacle à coopérer avec SAAB Kockums. Et ce nouvel ensemble pourrait se suffire à lui-même grâce aux programmes MKS 180 (5), M-fregat (2 + 2) sur la période 2020 - 2025, la modernisation des F124 (3) et De Zeven Provinciën (4) puis leur remplacement avec une montée en puissance par un ou deux programmes sur la période 2025 - 2035.

Les deux principaux équipementiers concernés, à savoir Atlas Elektronik pour l'Allemagne et Thales Nederlands pour la Hollande, se retrouveraient, finalement, dans la même situation que Leonardo pour l'Italie et Thales pour la France vis-à-vis de la coopération Fincantieri - Naval group. Ce qui placerait, indirectement et par liens capitalistiques, la France comme partie prenante aux deux consolidations navales européennes. Un tour nouveau serait donné à la dialectique plateformistes - équipementiers.

Au final, il apparaît que ThyssenKrupp est financièrement aux abois. En mars 2018 quand le BAAINBw excluait de l'appel d'offres du programme MKS 180 TKMS et Lürssen, les rumeurs se faisaient jour quant à la cession des activités de construction de bâtiments de surface par TKMS. L'entreprise s'était réorganisée en ce sens (2011 – 2018). Les déclarations de ThyssenKrupp quant à l'étude d'un rapprochement avec les rivaux nationaux ou avec Fincantieri, dessinent, aussi, la perspective d'une vente à la découpe de TKMS.

Malgré la mention de la construction sous-marine dans les technologies-clefs nationales dans la Stratégie industrielle nationale pour 2030 et la Stratégie industrielle de défense publiée début 2020 ?

     En conclusion, ThyssenKrupp et sa filiale TKMS apparaissent comme les acteurs les plus faibles de l'équation puisque n'ayant pas la masse critique pour s'opposer à la coopération franco-italienne. Et la cascade de déclarations du 13 mai 2020 parait visée expressément cette coopération binationale qui a obtenu un beau succès politique avec l'arrivée de l'Espagne au sein de la Coopération Structurée Permanente (CSP ou PErmanent Structured COoperation (PESCO) European Patrol Corvette. L'accord entre German Naval Yards (GNYK) et Lürssen grandit leur poids et relativise celui de TKMS. Ces deux sociétés peuvent négocier une consolidation avec Damen, tout en sachant que TKMS ne cherche qu'à se débarrasser de ses activités de construction de bâtiments de surface et de navire. TKMS est un repoussoir à toute coopération avec la Suède.


2 commentaires:

  1. Bonjour, merci pour cette analyse où l'on perçoit la complexité des enjeux de la consolidation des acteurs de la défense (navale) en Europe. Il sera intéressant de voir quel pays et société sortira de cette phase en position centrale et avantageuse.

    Je remarque que ThyssenKrupp a aussi tenté de prendre le contrôle de KMW+Nexter Defense Systems dans le terrestre.

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