Les @mers du CESM


Les @mers du CESM - 19 avril 1944 :

Le cuirassé Richelieu participe au bombardement de Sabang, base japonaise en Indonésie. Le navire français, ayant rejoint l’Eastern Fleet commandée par l’amiral britannique Somerville, prendra part à trois autres opérations visant des bases navales ennemies. Après 52 mois passés en mer, le bâtiment rentre à Toulon le 1er octobre 1944. À nouveau déployé en Asie du Sud-Est l’année suivante, le bâtiment assistera à la capitulation du Japon dans la rade de Singapour le 23 septembre 1945.





24 août 2012

Mahanisme contre corbettisme : où est passé le "hi-lo mix" de l'Amiral Zumwalt pour l'US Navy ?


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© Inconnu.

C'est la lecture d'un article du Rear Admiral Thomas Rowden qui peut inviter, outre-Atlantique, à se pencher sur le devenir de l'US Navy. Cet officier général de la marine américaine est le chef de "Surface Warfare Division". L'homme pose très vaguement les missions de la marine des Etats-Unis : être présente à tous les points chaud (détroits, crises, etc...) de la planète (bleue) par la dissémination des forces. Cela permet aux Etats-Unis de disposer de 8000 tubes de missiles à lancement vertical de par le monde (est-ce une capacité à verser au Prompt Global Strike ?!), à toute heure, tous les jours de l'année. Puis, l'amiral américain enchaîne par une agréable présentation de deux projets phares de la Navy pour son avenir : le Littoral Combat Ship (LCS) et le destroyer Zumwalt.
Ce qui est intéressant, c'est qu'il est possible de distinger le choix d'une grande option stratégique à travers ces deux nouveaux projets de la marine américaine qui vont bientôt entrer en fleet. La marine américaine serait encore très mahanienne, état d'esprit qui la conduit à un rétrecissement inexorable de son format. Ce type de marine pourrait corriger ses contradictions avec des aménagements (A), et en s'ouvrant à la marine corbettienne (B).

Prenez deux exemples assez caractéristiques de l'évolution de la flotte de surface de l'US Navy, et même de la marine américaine entière :

Le LCS doit être cette corvette à tout faire qui sécurise l'accès des eaux contestées (sea denial) à la marine américaine pour permettre l'approche des grandes unités. Le navire doit être bon marché et changer de mission suivant le module qui équipe le navire en peu de temps, ce qui donne à la corvette toute sa polyvalence. Il faudrait même deviner que cela implique que le porteur des modules durera plus longtemps que les modules qui l'équipent. De sorte que, il y aurait une division entre le porteur et les modules, tel que l'on pourrait le percevoir à travers la marsupialisation. Cela devrait aboutir à ce que le porteur puissent voire ses qualités se renforcer pour exister par lui-même dans le champ de bataille qu'il vise : la guerre littorale. De l'autre côté, il pourrait changer de mission sans remettre en cause ses qualités nautiques, et donc son existence

Toutes les missions y passent ou presque : lutte contre les mines, contre les menaces asymétriques, appui-feu littoral, etc... Les problèmes de ce navire peuvent se résumer par quelques points clefs. Premièrement, il a été dit qu'il ne pouvait pas survivre dans un environnement hostile. A cette accusation, il a été répondu que c'était le rôle des grandes unités présentes et à venir d'offrir leur protection à ces chétifs navires, et que c'était tout l'intérêt du système.
Certes, mais un autre problème, et l'un des plus importants, est que le module de lutte contre les mines n'est ni au point, ni une grande réussite. Ce n'est pas tant une question de retard mais bien une question de crédibilité : il n'y aurait plus qu'un ou deux chasseurs de mines en état opérationnel aux Etats-Unis, et les maigres moyens de guerre des mines américains sont crédibles pour lutter contre une menace ponctuelle (quelques mines). Ainsi, outre le fait que cet élément essentiel ne doit pas encore disponible, les premiers systèmes américains de lutte contre les mines faisant intervenir presque exclusivement des drones produiraient un si grand nombre d'échos qu'ils exigeraient bien plus de reconnaissance (que les autres systèmes) pour déterminer s'il s'agit ou non d'une mine. Par rapport à un système traditionnel, il faut donc dire que cela ne sert pas à grand chose, si ce n'est encore plus handicaper une marine qui n'a pas de capacité de guerre des mines rééllement crédible. Actuellement, et à moins que les navires aient quitté leur stationnement, ce sont cinq chasseurs de mines anglais qui sont déployés depuis plusieurs années face à l'Iran pour soutenir la marine américaine. Le LCS ne changera rien à cette situation de dépendance.

Il reste la question de l'économie du projet. Financièrement, le LCS serait beaucoup trop coûteux par rapport aux ambitions intiales du projet : le coût unitaire de production varierait entre 4 et 700 millions de dollars (selon les sources, les paramètres et l'écran de fumée). Cela fait beaucoup pour un navire qui sera à peine mieux armé qu'une frégate La Fayette. Qui plus est, la Navy doit, en plus, abandonner l'idée de reconfigurer le navire pour une nouvelle mission en "peu de temps" puisqu'il faudrait, selon les estimations actuelles, plusieurs semaines pour passer d'un module à l'autre. C'est un coup terrible qui est porté à l'économie du projet puisque la "solution" serait de changer de modules entre les missions. Oui, mais, ce n'est pas qu'une simple réorganisation de la manière d'utiliser ces navires : c'est bien pire, il s'agit d'une spécialisation des plateformes. C'est-à-dire que le projet fait marche arrière. Cependant, cela ne veut pas dire que le navire perd toute sa polyvalence. Mais entre le coût des modules qui explose et l'impossibilité de reconfigurer rapidement les modules, cela implique une autre atteinte à l'économie du projet : s'il faut et lutter contrer des mines et protéger des grandes unités contre la version moderne des torpilleurs de l'Amiral Aube, alors il faudra deux navires affectés à chacune de ces missions. Un LCS qui serait gréé en chasseurs de mines le resterait pendant toute la durée d'une intervention puisqu'il faudrait "plusieurs semaines", soit au moins un mois, pour le reconfigurer autrement. Les moyens ne consisteront donc plus dans des corvettes reconfigurables, mais dans un savant dosage de spécialités à donner à chacune des corvettes "polyvalentes", présentes sur zone. En soi, il est toujours pratique de pouvoir doser ses forces à la demande. Mais la gestion des modules, et de la formation des équipages à ces modules, conduirait à disposer de moyens "polyvalents" plus coûteux que les moyens spécialisés...

Le Danemark était pionnier avec la série de patrouilleurs Stanflex 300 : "longs de 54 mètres pour un déplacement de 500 tonnes en charge, ces patrouilleurs, capables d'atteindre 30 noeuds, avaient été conçus comme des bâtiments très polyvalente, anticipant d'une bonne vingtaine d'années un concept qui a été repris par les Américains avec le Littoral Combat Ship (LCS). A partir d'une plateforme de base, les Stanflex 300 pouvaient, ainsi, être gréés en patrouilleurs lance-missiles, en patrouilleurs lance-torpilles, en chasseurs de mines, ou encore en dragueurs de mines, grâce à l'ajout des équipements correspondants et de conteneurs interchangeables. L'armement pouvait comprendre jusqu'à 8 missiles antinavires Harpoon, un système surface-air Sea Sparrow, ainsi qu'une tourelle de 76mm". Signe des temps à prendre en considération, ces fameux pionniers ont été retirés du service car "la polyvalence des Stanflex 300 s'est, finalement, révélée complexe et trop onéreuse. Dans le cadre d'une ultime modernisation, réalisée entre 2005 et 2007, les bâtiments ont donc été reconfigurés pour des missions spécifiques et permanentes (patrouilleur, patrouilleur lance-missiles et chasseurs de mines). Le Soloven a, pour sa part, terminé sa carrière comme bâtiment base de plongeurs démineurs".

De l'autre côté, il y a le destroyer Zumwalt qui devait être l'archétype du destroyer du XXIe siècle. Le navire doit atteindre un certain nombre de ruptures dans deux grands domaines : le navire invisible et l'artillerie.
En ce qui concerne le navire invisible, le destroyer doit être le plus discret possible. Il doit même tenter de disparaître des différents écrans de recherche (tant radar qu'infrarouge -mais pas accoustique ?). Le problème est connu : toutes les plateformes qui s'essaient à ce défi connaissent des dérives de coûts spectaculaires, tant à la construction qu'à l'entretien. Ainsi, le navire devrait avoir un coût unitaire supérieur à 6 milliards de dollars. Cela explique certainement pourquoi la série de destroyers a été réduite de 32 à 3 unités et que la classe de croiseurs qui devait accompagner ces destroyers a été annulée.
En ce qui concerne l'artillerie, elle est finalement très classique puisque le navire sera doté de 80 cellules de missiles à lancement vertical. Mais ce qui est moins classique, c'est cette capacité qui est bien faible par rapport à celle d'un destroyer Arleigh Burke (96 missiles) ou d'un croiseur Ticonderoga (122 missiles). Le "hic", c'est que les Zumwalt déplaceront 14 000 tonnes (est-ce encore un destroyer ?) quand l'Arleigh Burke déplace 9200 tonnes (Arleigh Burke IIA) et que le Ticonderoga jauge 9700 tonnes... A sa décharge, il faut dire que les futurs destroyers Arleigh Burke Flight III (à dominante DAMB de territoire) devraient coûter 3 milliards de dollars pièce. Il n'en demeure pas moins que pour un Zumwalt la marine américaine disposera de deux Arleigh Burke.
La seule grande évolution apportée par cette classe de navire seront les pièces de 155 mm AGS. Dans un premier temps elles permettront aux navires de délivrer leurs munites jusqu'à une distance de 180km.  Dans un second temps, ce sont des canons électromagnétiques qui doivent être installées à bord (si le programme n'est pas annulé et qu'il suit toujours son cours). Il serait espéré que, à moyen terme, la portée atteingne  près de 400 km.Si le premier système tient ses promesses et qu'il offre un feu au coût modéré des tubes et des obus, alors ce serait une bonne nouvelle pour lutter contre la dérive des coûts observée dans les feux délivrés par missiles et assimilés... bien qu'un obus à guidage terminale laser ou GPS ne soit pas indolore par rapport à un missile, à charge d'explosifs égale.
Au final, les trois destroyers Zumwalt risquent de connaître le même sort que les défunts croiseurs et destroyers nucléaires de l'US Navy : des bancs d'essais pour différentes technologies et un manifeste pour une option stratégique.

Cette option stratégique et cette évolution de la marine américaine se retrouvent à travers la plus grande figure du navalisme américain : Alfred Thayer Mahan. Celui-ci est notoirement connu pour prêcher la construction d'une marine américiane apte à remporter le point cardinal de l'histoire navale qu'il a retracé dans ses ouvrages les plus célèbres (The Influence of Sea Power upon History, 1660-1783 et The Influence of Sea Power upon the French Revolution and Empire) : la bataille. C'est-à-dire que la raison d'être des flottes serait d'être capable d'écraser totalement leur rivale dans une bataille décisive. Cette victoire permettrait à la flotte victorieuse de disposer des mers à sa convenance.

Il semblerait donc qu'une partie de la marine américaine construisent des navires aptent à détruire n'importe quel rival qui oserait se présenter sur la route des Etats-Unis. Par rival, il faudrait ne pas forcément entendre une menace purement navale, mais aussi des menaces plus ou moins littorales qui seraient à portée de l'US Navy.
A l'époque de la triomphante Royal Navy, la suprématie navale se caractérisait par la recherche du plus grand nombre de vaisseaux de lignes. A l'heure actuelle le nombre ne compte plus autant car c'est (aussi) le nombre de technologies maîtrisées et l'organisation des systèmes technologiques qui peut faire la différence entre deux formations navales (sachant que sur le plan historique, c'est très souvent la marine qui bénéfie de la plus grande expérience opérationnelle qui écrase l'autre...).
Cependant, le nombre compte toujours autant puisque quand l'on ambitionne de régner sur les mers il faut toujours être capable d'être présent sur presque chacune d'elle, tout du moins, aux endroits où la libre utilisation des mers est menacée. Il serait donc logique que l'US Navy soit tirée par le haut : à défaut d'avoir plus de navires que ses rivales (exemple de la règle du "Two-power standard" de la Royal Navy qui cherchait par diverses tactiques à conserver plus de navires que ses deux rivales continentales réunies), la marine américaine aura des escadres aux capacités infiniement supérieures à toutes les formations équivalentes qui pourraient lui être opposées. Cela pourraît être aussi la transcription dans la stratégie des moyens de la victoire de Trafalgar.

Le nombre a toujours son importance : sous l'impulsion du président Reagan, la Navy était remontée à près de 590 navires de combat (années 80). A l'heure actuelle, la marine américaine doit compter près de 280 navires de combat. La marine soviétique n'est plus là pour servir de leitmotiv à la construction des flottes des Etats-Unis. Mais la multiplicité des rivaux dans différents océans et mers (Méditerranée, Atlantique Sud, Indien, Pacifique et les mers de Chine) font que les Etats-Unis doivent continuer à être présent. Si la marine de John Paul Jones ne doit plus affronter un colosse naval, elle doit faire face à une multitude de menaces qui contestent ou contesteront son influence dans les zones précitées. A l'heure actuelle, il y a une froide contestation entre l'Iran et les Etats-Unis à propos du détroit d'Ormuz.

L'US Navy qui se construit pour affronter différentes menaces et les surclasser afin de les détruire ne devrait pas souffrir de son modèle de développement. Sauf que le nombre de coques diminuent et que les nouvelles coques ne sont pas plus présentes à la mer que les anciennes. Il en résulte donc que pour être présente dans autant de lieux différents, la marine américaine devra faire des choix. En son temps, Londres avait fait le choix de pactiser avec des alliés pour leur confier des secteurs stratégiques (Japon et France). La Marine américaine pourrait faire le même choix, sauf que ce serait se diluer dans la masse et ouvrir la voie à une rivale, la marine chinoise, qui si elle n'a pas des capacités aptent à menacer l'US Navy, peut tout du moins, par la diplomatie navale, lui contester son influence dans bien des zones.

Il est impératif de relever que bien des alliés déclarés et d'une fidélité maladive sont les premiers à réduire leur effort de défense. Ils sont dans la croyance que leur propre faiblesse sera compensée par l'aide américaine. Ils pensent s'offrir cette aide par diverses négociations et traités. Ce qu'ils oublient, cest qu'il y a une hiérarchie : America first, le reste après. C'est logique. Pour les Etats-Unis, c'est certainement une difficulté de vouloir pactiser avec des Etats qui réduisent d'eux-mêmes leur poids en pensant compter avec un autre, Washington, qui est englué dans ses propres difficultés. Donc il y a ce drôle de mouvement où l'US Navy s'appuie sur les escorteurs des marines alliés, et surtout ceux des marines de l'OTAN et que la marine américaine voit son nombre d'escorteurs diminuait. C'est la répartition des tâches traditionnelles dans l'OTAN depuis que l'organisation existe que de réserver les missions d'escorte aux autres marines. Washington a tenté de faire perdurer la chose par le concept de la "thousand ships navy". Il y a eu des risques que les navires à haute valeur politique (porte-avions et SNA essentiellement) puissent échapper au strict contrôle des américains (puisque ce sont eux qui permettent de peser dans les coalitions militaires). Ces risques n'existent plus, et ils sont remplacés par le risque que le nombre d'escorteurs diminuent si drastiquement dans les marines traditionnellement alliés aux Etats-Unis qu'ils ne suffisent plus qu'à protéger les accès maritimes de leurs détenteurs... C'est donc cela ce mouvement dangereux pour l'US Navy : réduction du format de la flotte américaines, réduction des flottes alliés.

C'était le premier problème du nombre, l'autre est la "forme" du nombre. L'affrontement avec l'Iran est assez caractéristique du problème du volume de l'US Navy. La marine américaine essaie de déployer deux à trois porte-avions dans la région pour peser dans le climat régional et contre-balancer quelques discours. Pour déployer un navire sur zone, il faut généralement avoir trois navires en réalité : un qui est en cale sèche en entretien périorique, un second qui est à l'entraînement et un troisième qui est en mer. Pour les porte-avions de l'US Navy, c'est presque de manière rigoureuse la façon dont s'organise la gestion de leur calendrier. Avec une marine américaine qui s'achemine vers un format à 11 porte-avions, si ce n'est moins, il est facile d'observer combien il est difficile d'être présent dans plusieurs régions avec si peu de navire. Le problème sera de plus en plus ardu au fur et à mesure que les rivaux monteront en puissance.

La quesiton des porte-avions est emblématique des autres problèmes. Si le LCS a connu une dérive des coûts, c'est aussi car il a du prendre du poids pour devenir une unité hauturière digne de ce nom. En France, il avait été constaté qu'un patrouilleur de 150 tonnes (PATRA) était trop léger pour être hauturier. Plus tard, ce sont les P400 qui se sont révélés trop justes pour évoluer en haute mer (500 tonnes, soit le tonnage initialement visé pour le LCS au temps du Street Fighter). La question du tonnage du LCS cache le problème du prépositionnement des moyens : cette dérive du tonnage n'illustre que le besoin d'être capable de projeter des navires légers de par le monde. Cette constation peut devenir une généralité car elle explique assez bien pourquoi les destroyers et les sous-marins de la marine américaine sont si gros. L'Amiral Nomy justifiait ainsi dans les années 50 la prise de poids des escorteurs par le fait que les systèmes d'engins exigeaient de grands volume et poids et donc qu'il fallait "les construire plus gros et plus cher". C'est donc la combinaison entre les exigences des systèmes et la capacité de projeter leur porteur qui expliquent en partie cette dérive du tonnage : c'est le choix du croiseur qui permet d'accompagner les grandes unités avec des escorteurs polyvalents.

A - Aménagements de la marine mahanienne
Pour combattre cette sorte de nécrose de la marine mahannienne -cette spirale infernale du tonnage qui réduit le format de la flotte- il peut être possible d'aménager la stratégie des moyens par deux grands biais.

1) Prépositionnement des forces

Le premier est le prépositionnement des moyens aéronavals permettrait de gagner des jours de mer pour bien des navires. Il s'agit de pouvoir mettre les navires au plus près des menaces : soustraire le temps de trajet entre la métropole et la zone d'action permet, à format de flotte égale, d'être plus longtemps présent sur zone. Cela n'implique pas plus de navires, mais bien des navires au plus près des zones de conflit pendant plus longtemps. L'US Navy n'est pas sans bases avancées, et c'est une voie que semble explorer la marine américaine, au moins pour le prépositionnement des forces, car les anciennes bases navales du temps de la guerre froide sont appelées à rouvrir dans les vœux de certains. Par exemple, il a été annoncé que des LCS seront basés à Singapour. C'est un double paradoxe :
  • il y avait prépositionnement des forces quand le format de la flotte était plus important, et c'est l'inverse aujourd'hui, ce qui pourrait traduire une posture isolationniste ;
  • il y aura prépositionnement de corvettes qui ont pris du poids car elles ne devaient pas être prépositionnées à l'origine.
Les PATRA français auraient été très utiles pour protéger la base d'Abu Dhabi car il en va de leur nature même que de protéger un point d'appui, une base ou une zone d'actions. C'est tout ce que leur permet de faire leur autonomie limitée, et leur petite taille leur permet d'exceller dans ce domaines. Dans le cas actuel des Etats-Unis, ce n'est pas du LCS que la marine américaine a besoin.

2) Littoralisation des forces

Le second biais découle tout naturellement du premier. Ainsi, le prépositionnement des forces peut inciter à un changement de paradigme dans la stratégie des moyens. Certaines zones appellent à une adaptation des plateformes au secteur. Par exemple, la guerre littorale tend à exiger de plus petites unités par rapport à la guerre hauturière : il y une sorte de miroir ou de glace déformante à la limite entre eaux littorales et hautières qui obligent à transformer la manière d'agir et de concevoir l'action. Non pas que les grandes unités en soient bannies de ces eaux littorales, mais quand il faut approcher du littoral, il y a deux grandes options :
  • ou bien détruire la guérilla navale adverse avant qu'elle arrive à portée utilie (cas de l'opération Harmattan),
  • ou bien devoir s'approcher à son niveau car, pour diverses raisons, il n'est pas possible de profiter de la profondeur d'action des grandes unités hauturières (c'est un peu le cas du détroit d'Ormuz car la guérilla navale peut se protéger dans les caractéristiques du secteur pour se protéger et la discrimination des cibles peut être plus compliquée que prévue).
C'est donc ce cas où il peut être nécessaire d'aller combattre la guérilla navale dans son élément. Pour y exceller, il faut gagner ce qui est généralement perdu en haute mer : l'agilité. Autre exemple, au temps de la marine à voiles les frégates, avisos et autres corvettes étaient des navires très agiles par rapport aux lourds et peu maniables vaisseaux de ligne. C'est moins vrai aujourd'hui car l'agilité a beaucoup progressé, mais les nouvelles armes anti-navires exigent une réactivité plus grande. Les combats entre torpilleurs et contre-torpilleurs se faisait à une autre vitesse jusqu'à la seconde guerre mondiale. C'est pourquoi le prépositionnement des moyens navals peut inciter, dans quelques secteurs, à développer des moyens dédiés à préserver la suprématie d'une marine de contestations provenant de divers groupes politiques. Par exemple, dans le cas du détroit d'Ormuz, il serait préférable de disposer de chasseurs de mines, de corvettes et de sous-marins classiques. D'une part, le dissuasion que l'US Navy ferait peser sur la région serait permanente. Et d'autre part, les options tactiques seraient bien plus grandes. Dans l'hypothèse de l'acquisition de sous-marins classiques par l'US Navy et de leur prépositionnement dans le Golfe Persique, ils pourraient bien mieux qu'un SNA de classe Virginia combattre le menace sous-marine iranienne. Ils disposeraient de deux avantages de taille :
  • l'agilité intrinsèque à leur modeste tonnage (un SNA de 110m se manœuvre difficilement par petits fonds),
  • et la connaissance du milieu. 
En premier lieu, il est bien difficile de manier un sous-marin de 110 mètres de longueur et 10 de diamètre dans une zone où les petits fonds sont la règle. D'autre part, ce qui est bien pratique pour combattre une défense navale mobile dont l'une des ressources majeures est une très grande connaissance des caractéristiques des lieux est de pouvoir aussi les exploiter pour son propre avantage. Ce ne serait que logique puisque la propulsion nucléaire est le fait des navires hauturiers : elle ne se justifie pas pour des navires dont la mission est d'opérer à proximité de leur base de départ. La Russie relève de cette logique puisque bien qu'elle ait pu, du temps de l'URSS, mettre à la mer des centaines de sous-marins nucléaires, elle s'est toujours gardé de conserver des sous-marins classiques pour défendre les approches maritimes. Ce qui est vrai en mer de Barents ne peut pas être vraiment faux dans le Golfe Persique...

B - Une nécessaire synthèse de la marine mahanienne avec la pensée corbettienne ?

Le problème de la marine mahannienne est bien là : réduction du format de la flotte, et réduction des capacités. L'US Navy ne devrait correspondre qu'à la seule bataille. Dès la Grande guerre un autre stratège naval, Sir Julian S. Corbett s'était érigé contre le mythe de la bataille décisive. Il s'était échigné à démontrer que cette fameuse bataille n'était qu'un mythe. Il est vrai que la bataille de Jutland n'est pas connue pour être l'exemple type d'une "bataille décisive" car si la flotte allemande rentre dans ses ports et ne sort plus, cela n'empêche pas deux grands dangers pour les alliés :
  • la menace que faisait peser la "flotte en vie",
  • et la guerre sous-marine.
C'est pourquoi le stratège anglais cherche à démontrer que c'est la guerre des communications qui est le point cardinal de la stratégie navale. Pour ce faire, il faut être capable de protéger les principales routes maritimes de toute interruption. Cela n'exclut pas totalement l'importance de la bataille puisque pour protéger les routes maritimes, il faut des escorteurs. Mais pour protéger les escorteurs d'une formation structurée ou d'unités supérieures de l'adversaire, il faut une flotte de combat. Royal Navy et Marine nationale se trouvent par deux fois (les deux guerres mondiales) dans le cas où il faut juguler les menaces structurées de l'adversaire contre les communications et contre les forces structurées. Pendant la seconde guerre mondiale il fallait autant juguler la menace sous-marine contre le vital lien transatlantique pour l'Angleterre que veiller à toute sortie de la flotte de surface allemande. C'est pourquoi, et notamment, la Home Fleet comprennait des cuirassés anglais, mais aussi français et américains : il fallait pouvoir traiter la menace induite par la sortie des grandes unités allemandes. La bataille imposée par l'adversaire ne consistait pas en un affrontement rêvait entre deux grandes escadres, mais bien une succession d'affrontements pour empêcher l'adversaire d'interdire aux alliés de disposer de la mer à leur convenance. S'il fallait réduire la menace sous-marine, et c'est bien connue, il fallait aussi réduire la menace de surface induite autant par les cuirassés allemandes que par les croiseurs auxiliaires. Dans le premier cas, il faudra attendra attendre la guerre du Pacifique et ses task force aéronavales et l'invention de l'engin air-mer (allemand qui détruira le cuirassé Roma) pour obtenir un moyen de destruction des cuirassés autre que l'utilisation de cuirassés. Il ne faut pas oublier que les destructions des Bismark et Yamato font intervenir des moyens considérables, voir ubuesques... Cet exemple de la bataille de l'Atlantique transposé à l'heure actuel nous donne le cas du détroit d'Ormuz où il faut autant des moyens aptent à lutter contre la guérilla navale que de moyens nécessaires pour écraser toutes forces structurées de l'adversaire déclaré qui tenterait d'interrompre les communications. L'un des riques pour la marine américaine est d'être fixée par une "flotte envie" et de ne pas avoir le volume nécessaire pour répondre aux menaces qui pèsent sur la libre utilisation des mers.

Justement, il ne faudrait pas se focaliser sur les menaces, réelles ou supposées, que seraient la Chine et l'Iran. Il y a d'autres combats à mener pour permettre la libre utilisation des mers, et donc le bon fonctionnement du commerce mondial. Paradoxalement, il faut même pouvoir mener des combats où il faut interdire la libre utilisation des mers à des organisations qui font commerce de marchandises que certaines puissances jugent détestabilisantes pour la communauté internationale : le cas le plus exemplaire est bien entendu celui du trafic de drogues. Il n'y a pas besoin d'une flotte mahanienne composée de grandes unités de combat pour appréhender ces missions. Bien au contraire, c'est Corbett qui a raison puisque pour agir contre le trafic de drogues entre le Sud de la mer des Antilles et les Etats-Unis ou le Golf de Guinée, il faut avant tout être présent sur zone. Cela implique de posséder suffisamment de moyens aéronavals, et donc, des bateaux. Mais il n'y a pas besoin de destroyers Arleigh Burke pour de telles missions ! C'est bien cela qui pourrait expliquer le fait que l'US Coast Guard semble être engagé de plus en plus en avant aux côtés de l'US Navy. Cette dernière manque d'escorteurs.

L'Amiral Elmo Russell "Bud" Zumwalt, Jr est Chief of Naval Operations (CNO) de 1970 à 1974. Il exerce ses fonctions dans la période où les projets et réalisations porte-avions, de croiseurs et de destroyers nucléaires se multiplient aux Etats-Unis. A posteriori, il est possible de dire que quelques amiraux américains semblaient rêver de construire une forme "absolue" de marine mahanienne. Ces navires à propulsion nucléaire impliquaient une forte diminution du nombre de vaisseaux dans l'US Navy. Le développement des porte-avions nucléaires impliquait un saut financier par rapport à l'ancienne génération de porte-avions. C'est en réaction, notamment, à ces directions prises par la Navy qu'il formule une stratégie des moyens résumée par l'expression "hi-lo mix" (high-low mix). Il ne s'agit pas de contester la construction d'une flotte capable de tenir la dragée haute à la marine soviétique, mais bien d'orienter les investissements navals sur des forces constituées de technologies éprouvées et rentabilisées :
  • face aux porte-avions nucléaires, il propose le Sea control ship. Le navire est conçu pour permettre d'offrir aux missions de protection des convois de l'Altantique un appui aérien qui aurait été utile aussi bien à la défense aérienne de zone que à la lutte ASM. La seule réalisation de ce navire a été le Principe de Asturias (R11) espagnol car les aviateurs américains sauveront les Super Carrier au prix d'une maigre concession : ils embarqueront des groupes aériens comprenant des avions ASM, entre autre.
  • Est-ce qu'il faut attribuer la classe de frégates Oliver Hazard Perry à l'amiral Zumwalt ? Quoi qu'il en soit, ces frégates permettaient à la marine américaine de réinvestir les missions de présence et d'escorte avec une belle série de 51 navires. La marine américaine regonflait en volume, surtout que les escorteurs issus de la seconde guerre mondiale ou des immédiates années qui suivirent ce conflit arrivés en fin de service. 
  • Les interventions de la Navy de plus en plus couplées avec l'US Coast Guard pourraient être considérées comme une dernière forme du hi-lo mix.
C'étaient quelques solutions des années 70, apportées par Zumwalt, et d'aujourd'hui pour tenter d'enrayer le déclin du nombre de vaisseaux. Le problème, c'est donc que l'US Navy est reparti sur le chemin de la pure marine mahanienne et que le nombre de navires de combat est à nouveau en chute libre. L'un des maître-mots de cette dérive est la concentration. Par exemple :
  • Les porte-avions américains font un nouvau saut technologique avec l'adoption des nouvelles technologies énergétiques comme les réacteurs nucléaire utilisant de l'uranium enrichi comme combustible ce qui permettrait de charger le cœur avec une charge unique de combustible. Il y a aussi l'adoption des catapultes électromagnétiques, et dans l'histoire aéronavale l'adoption d'une nouvelle technique de catapulte signifie généralement un saut générationnel défiant les marines de l'adopter. Il y aurait aussi une plus grande automatisation, mais les réductions d'équipages sont bien faibles, et ils sont déjà tellement nombreux. 
  • Les destroyers Zumwalt sont un tel concentrés de valeurs et de technologies qui ne sont que trois et qu'il faudrait presque les comparer à des cuirassés à hautes technologies.
  • Si les destroyers Arleigh Burke font l'objet d'une grande série (plus de soixante unités), il ne faut pas oublier qu'ils font l'objet d'une dérive inachevée parmi les escorteurs. Dans les années 20 et 30, un destroyer jaugeait entre 1 et 2000 tonnes. Dans l'après seconde guerre mondiale, les destroyers voient leur tonnage grimper jusque 3 et 4000 tonnes. Comme cela a été dit plus haut, l'Amiral Nomy justifiait bien la dérive suivante en passant de l'escorteur spécialisé à l'escorteur polyvalent. En France il était question d'une série de croiseurs nucléaires pour succéder aux frégates lance-engins. Aux Etats-Unis, il était également question pour une chapelle de l'US Navy de faire des Arleigh Burke des navires à propulsion nucléaire... C'est le très difficile débat entre escorteurs spécialisés et escorteurs polyvalent : il n'en demeure pas moins que le coût de la polyvalence frôle ou dépasse le milliards d'euros en Europe ou aux Etats-Unis.
  • Les LCS devaient être la nouvelle forme du pion élémentaire d'une marine, la corvette bonne à tout faire. Finalement, ce n'est qu'une concentration, encore une fois, sur une plateforme qui doit remplir les missions de plusieurs autres navires pour un coût, manifestement, supérieur.
  • Les sous-marins ont été très peu évoqués. Dans le cas des SNA, la dérive du tonnage fait que le Nautilus et ses 3500 tonnes semblent bien légères par rapport aux 9100 tonnes des Seawolf et les 7800 des Virgnia. En outre, il y a eu ce choix exclusif de la propulsion nucléaire qui ne se justifie pas toujours selon les secteurs. Par exemple, il y aurait eu un SNA Akula qui aurait récemment navigué au large des côtes américaines et la pertinence d'opposer les SNA précités à des sous-marins de poche iraniens dans un secteur géographique particulièrement adapté pour ces derniers.
  Le contexte dans lequel évoluait l'amiral Zumwalt semble se reproduire : la marine américaine redevient très mahanienne. La concentration des fonctions, des valeurs et des technologies se fait sur un nombre toujours plus réduit de vaisseaux. Cela entraîne les quelques problèmes décrit plus haut. L'idée du "Sea Control Ship" refait une timide apparition avec les très nombreux officiers qui proposent d'utiliser les grandes unités amphibies (LHD et LHA) en tant que porte-avions léger. Ils citent le cas du porte-avions français Charles de Gaulle pour montrer que les porte-hélioptères américains, qui jaugent dans les 30 à 40 000 tonnes, comme le porte-avions français, peuvent s'occuper d'un certain nombre de crises où la présence des grands porte-avions américains n'est pas impérative. Qui plus est, ces officiers ne semblent pas pousser la réflexion jusqu'à proposer que ces navires à propulsion classique soient basés en avant. L'absence de propulsion nucléaire facilite considérablement la chose tant du point de vue diplomatique que selon les problématiques logistiques. Il ne doit pas être évident de baser et de faire accepter un porte-avions nucléaire au Japon.

Il n'y a pas d'autres projets qui émergent actuellement aux Etats-Unis pour concilier le mahanisme rêvé et une nécessaire et pragmatique dose de coberttisme. Il a été vu que la marine américaine est au devant du risque de manquer d'escorteurs pour elle et de ne plus les trouver en nombre suffisant chez ses alliés. Il faudrait presque l'apparition d'un Amiral Aube de l'autre côté de l'Atlantique pour remettre en cause la division du travail naval (la répartition des tâches, des fonctions entre plateforme). Il faudrait surtout un nouvel amiral Zumwalt pour signifier qu'il ne faut pas toujours le meilleur de la technique et de la technologie pour toutes les missions. Bien au contraire...Ce qui pourrait aussi renverser quelques inquiétudes est la place acquise par le sous-marin nucléaire dans la stratégie américaine : il est l'un des maillons essentiels de la maîtrise des communications, et pas seulement des communications maritimes. Cela n'efface pas la nécessité d'être présent en surface.

Quoi qu'il en soit, les problèmes de l'US Navy ne peuvent qu'inviter à reconsidérer les perspectives d'évolutions de la Marine nationale, voire celles d'autres marines. La marine française semble avoir bien tourné la page du mahanisme effréné et de mieux concilier les nécessités de la bataille avec celles de la maîtrise des communication. Les missions de l'Etat en mer et la fonction garde-côtes permettent de mieux appréhender les missions de police en mer sans recourir à des plateformes militaires de grande valeur. L'Espagne ne fait pas autrement avec les BAM qui doivent autant servir à la police des mers que de permettre de juguler une crise de basse intensité. Les BPC sont d'ores et déjà utilisés comme des plateformes aéronavales secondaires. Mais il est bien difficile d'apprécier la pertinence d'avoir de grandes unités amphibies trop polyvalentes, et qui ne sont plus amphibies (exemple des LHA américians et européens) dont les coûts explosent (et peuvent empêcher l'apparition de véritable porte-avions légers). Il demeure cette difficile articulation entre croiseurs et frégates. Il faudra peut être pousser bien plus en avant cette adaptation du tonnage et des coûts des plateformes aux missions, autant pour la Royale que pour la marine des Etats-Unis.  

Zumwalt ne faisait que théoriser une nécessité pour perdurer et contre-balancer les dérives d'un modèle... et il invitait peut être inconsciemment à relire les écrits de l'Amiral Aube et de Corbett.

20 août 2012

La question du second porte-avions n'est-elle pas celle du maigre budget alloué à la Marine nationale ?


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Michel Cabirol (La Tribune) titrait son article par " Le second porte-avions touché, coulé par la crise". "Une décision devait être prise en 2012 sur le deuxième porte-avions mais je me vois mal aujourd'hui réclamer entre 3 et 5 milliards d'euros", a explique le chef d'état-major de la marine, l'amiral Bernard Rogel. Il ne croyait pas si bien dire. Le problème, c'est de quelle crise parle-t-on ? Et qu'est-ce qu'implique le renoncement au second porte-avions ?

Quelle(s) crise(s) ?

Premièrement, il faut donc aborder cette notion abstraite et de haute volée : la crise. Tous les passionnés d'Histoire ne peuvent qu'être indisposés par cette expression. S'il est aisé de comprendre ce que peut recouvrir cette notion, il est plus difficile d'appréhender... de quelle crise parle-t-on ! Ce blog s'est fait l'écho du long parcours du PA2 par petites touches sucessives (et il est très loin d'être le seul, bien entendu).

Le porte-avions Charles de Gaulle a été mis sur cale en 1989 et le second navire devait être commandé dans l'année. Entre temps, il est peut être intéressant de se souvenir que le parti politique UDF publiait en 1986 un livre-programme, " Redresser la Défense de la France" avec comme proposition phare la nécessité pour la France de posséder trois porte-avions pour en avoir un à la mer en permanence : l'ambition était haute. Suffisamment haute pour que l'on puisse espérer au moins la commande de deux navires en 1989. Puis il fallu attendre l'année suivante, soit 1990. Le mur de Berlin s'effondrait l'année précédente et bien des pays engrangent les "dividendes de la paix" du président américain Clinton, ou tout simplement les bénéfices budgétaires de la démobilisation dans... un certain ordre.

Le livre blanc de 1994 consacre une expression qui va devenir célèbre dans le milieu naval français : le second porte-avions se réalisera si les conditions économiques et financières le permettent. Mais après 1994 ? A cette époque, il faut permettre à la France de rentrer dans la zone Euro avec les meilleures conditions, ou les moins pires, c'est selon.

Après l'entrée en vigueur de la monnaie unique en 2001, c'est le président Chirac qui reprend plus ou moins en main le dossier du second porte-avions : en 2004 la propulsion classique est choisie pour pouvoir rejoindre le projet anglais de construction de deux navires. Le projet devient binational, et fonctionne bien dans les paramètres qui lui ont été impartis. En 2006 les premières commandes de gros équipements sont en passent d'être conclues, et notamment celle des catapultes. Des crédits d'engagement sont budgétarisés en faveur du PA2, en sus des 2 ou 300 millions d'euros dépensés dans études avec les anglais : il s'agit de "sanctuariser" la construction du second porte-avions.

L'élection présidentielle suivante qui amène au pouvoir Nicolas Sarkozy consacre un nouveau livre blanc (2008). Il est possible d'entendre les bruits de coursives de la Marine depuis la rue : il fallait choisir entre une marine pyramidale avec suffisamment de frégates et de sous-marins, ou bien une marine macrocéphale avec le second porte-avions et très peu d'escorteurs pour encadrer les grandes unités.

En 2008, le PA2 est repoussé au moment où les "conditions économiques et financières permettront sa réalisation". Mais, il ne faut pas oublier que le programme FREMM est réduit de 17 ou 19 unités à 11 et que rien ne change pour le programme Barracuda -quelle surprise puisqu'il est impératif de disposer de "Six SNA, [car] c'est aussi la taille critique en dessous de laquelle la marine ne sera plus en mesure d'assurer toutes les missions qui lui sont aujourd'hui confiées et de former le vivier de sous-mariniers qui permet de disposer des compétences nécessaires à la mise en oeuvre des SNLE" (Mer et Marine). Le Président promettait alors une décision en 2011 ou 2012. La décision n'est pas venue. Certains ont fait le choix des escorteurs, et ne semblent rien avoir obtenu : il reste 11 FREMM, certes, mais est-ce que le programme entier aurait été annulé en cas de choix du PA2 ?...

Il faut donc parler de quelle crise ? Le R92 Richelieu, qui depuis est nommé "PA2", a traversé la chute du mur de Berlin, les dividendes de la paix, l'entrée de la France dans l'Euro et la crise économique démarée en 2007. C'est sans compter les "petits évènements accessoires" qui se sont déroulés de 1989 à 2012.

Forger un outil aéronaval moderne

Il faut remonter à la seconde moitié du XXe siècle pour tenter de comprendre le pourquoi du comment les gouvernements de la France ont fait le choix de doter la Marine nationale d'un outil aéronaval moderne et de l'entretenir. Pour les passionés d'Histoire, il n'y a pas seulement eu le PA2 car la France a eu deux grandes autres occasions dans la seconde moitié du XXe siècle pour se doter d'un outil aéronaval :
  • à la sortie du second conflit mondial, il est largement admis qu'il n'est plus possible de demeurer sur mer sans porte-avions modernes. Il y a alors trois grandes options :
    • louer des navires aux Alliés (chose qu'ils refusent depuis 1943, et ils ne prêteront pas de "porte-avions modernes"),
    • construire des navires neufs,
    • ou bien refondre au moins le cuirassés inachevé Jean Bart.
      Il y a eu une sombre affaire autour de la refonte du cuirassé car le projet a été abandonné suite à un devis de refonte vicié. L'autre option restante (puisque les Alliés ne livreront pas à la France de porte-avions modernes) est la construction d'au moins un navire : le PA28 Clemenceau n'est pas mis sur cale (et tant mieux, il n'aurait peut être pas pu suivre les évolutions aéronavales).
  • Au cours des années 50 le projet de construction de porte-avions modernes en France resurgit et se concrétisera par les constructions des Clemenceau et Foch. Un troisième navire était envisagé (le PA58 Verdun qui deviendra le PA 59 avant d'être abandonné), mais il a été victime de l'arrivée du fait nucléaire français.
Premièrement, est-ce que les "conditions économiques et financières" de la Reconstruction étaient suffisamment confortables pour que la France se lance dans un effort de redressement militaire ?

Deuxièmement, qu'est-ce qui a pu amener le gouvernement à faire un effort aéronaval dans les années 50 et pas avant ? Au sortir de la seconde guerre mondiale, les infrastructures sont à terre à à la mer, mais elles ne sont que très rarement debout. Ils n'empêchent que les gouvernants français d'alors ne négligent pas l'intérêt vital pour la France de recouvrer sa puissance militaire. Le monde ne lui laisse pas le temps d'hésiter puisque les guerres de décolonisation débutent dès 1945 avec le conflit indochinois. C'est tellement flagrant que le cuirassé Richelieu qui a quitté la métopole depuis l'été 1940, et qui était à la signature de la capitulation japonaise le 12 septembre 1945 à Singapour, ne rentre pas de suite en France car il sert dans les opérations menées en Indochine contre le Viet Minh d'octobre à décembre 1945. Le cuirassé remplace alors un porte-avions.

La France obtiendra assez rapidement le Dixmude en location : c'est tout sauf un navire moderne, et il est encore plus lent que le porte-avions Béarn (un comble). Mais c'est largement suffisant pour mener des opérations en Indochine (ce qui pose la question de la non-utilisation du Béarn). Les La Fayette et Bois Belleau viendront compléter la division de porte-avions français, bien qu'ils correspondent plus à nos BPC actuels plutôt qu'à des porte-avions. Le premier porte-avions moderne que la France reçoit est l'Arromanches. Il est rapidement obsolète puisqu'il ne recevra ni une (franche) piste oblique, ni les catapultes, ni les avions embarqués modernes nécessaires à la guerre navale moderne.

Hors, il est un fait indéniable que si la France envoie des porte-avions avec des formations embarquées mettant en œuvre des appareils à hélices déclassés contre des rivages défendus par les premiers appareils à réaction, la balance va pencher en faveur du second. C'est la Crise de Suez (1956) qui démontrera cette grave incapacité française :
  • les Britanniques mènent l'intervention aéronavale franco-anglaise puisque leurs porte-avions peuvent mettre en œuvre des appareils à réaction (les Sea Venom) et donc, dominer le ciel égyptien et s'en assurer la maîtrise.
  • La France est donc dépendante du bon vouloir anglais pour obtenir une couverture aérienne suffisante pendant l'opération -ce n'est pas faute d'avoir eu l'occasion de la refonte du Jean Bart en porte-avions.
La France n'avait pas de porte-avions modernes à Suez, mais elle avait un cuirassé qui aurait du être refondu en porte-avions et un porte-avions qui n'était qu'à moitié moderne par rapport au Béarn. C'est dire combien la situation était incapacitante. Si les gouvernants français, dont Mendès France, se convaiquent de la nécessité du fait nucléaire français pour continuer à faire entendre la voix de la France sur la scène internationale, ce n'est pas sans oublier l'impérieuse nécessité de disposer d'un outil aéronaval moderne. Les Arromanches, Bois Belleau, La Fayette et Dixmude correspondaient très bien à un conflit Indochinois ou à ce qui a pu se passer en Corée ou en Algérie. Mais ils ne correspondaient pas ou plus à la capacité d'entrer en premier sur un théatre, à la capacité de projeter la puissance aéronavale tricolore partout où cela devait être nécessaire.

D'un autre côté, la France est engagée dans l'OTAN puisqu'elle en est l'un des membres fondateurs. Le volet naval de l'OTAN implique ou impliquera la capacité à protéger les convois qui silloneront l'Atlantique entre les Etats-Unis et l'Europe pour que l'arsenal des démocraties puissent alimenter l'effort de guerre. Depuis le second conflit mondial, la protection des convois passe obligatoirement par un volet aéronaval qu'il soit tant déployé depuis la terre que depuis la mer.

Les R98 Clemenceau et R99 Foch sont à la mer du début des années 60 jusqu'aux années 2000. Ces deux navires permirent de forger l'outil aéronaval moderne dont la France avait eu besoin à Suez et qui ne fera pas défaut, tant qu'il restera cohérent (c'est tout le problème du chasseur embarqué moderne), par la suite.

Un outil aéronaval moderne français distinct des autres puissances

C'est bien la fin d'une certaine exception aéronavale française en Europe qui incite les gouvernants à ne pas investir dans l'outil aéronaval. Les porte-avions Foch et Clemenceau et les hommes qui servaient à bord mettront une décennie, environ, pour former un groupe aéronaval qui répondait aux critères de la guerre moderne d'alors. C'est-à-dire que l'expérience acquise lors de la guerre d'Indochine est perdue entre temps. L'outil aéronaval français montait en puissance et atteignait sa maturité au moment en Europe où la Royal Navy, sous l'aimable pression de son gouvernement, désarmait ses porte-avions. Les années 70 sont le passage de témois entre une France qui développait enfin un outil aéronaval dont elle a besoin depuis les années 30 et une marine royale anglaise qui devait abandonner un précieux outil qui lui fera mortellement défaut lors de la Guerre des Malouines de 1982.

Donc, depuis la fin des années 70 et jusqu'à aujourd'hui, le groupe aéronaval français régnait en maître sur l'Europe, et sur le monde à côté des porte-avions américains puisqu'il ne souffrait d'aucune contestation. L'outil permettait de distinguer la voix de la France puisque, quand il fallait intervenir, la France pouvait le faire à son gré, et non pas selon le bon vouloir de l'allié d'une coalition, comme à Suez. La France était autant indépendante par son fait nucléaire que par son groupe aéronaval qui lui permettait de s'engager partout. C'était d'autant plus pratique que l'équilibre de la terreur consacrait l'affrontement dans les conflits dit périphériques de la Guerre froide.

Il y eu également la montée en puissance des opérations militaires menées en coalition. C'était un fait nouveau par rapport aux guerres de décolonisation qui n'impliquaient que le pays colonisateur. C'était aussi une nécessité fasse à une guerre moderne toujours aussi exigeante à chaque évolution et fasse à un effort militaire français qui ne suivait pas toujours là où il fallait pour bien des raisons. Le politique attend des dividendes de l'action de ses forces armées. Quand l'action militaire française est menée dans une opération purement nationale, les dividendes peuvent être facilement transcrit dans le bilan du politique. Mais comment faire pour extirper les bénéfices d'une opération militaire menée dans une coalition ? Il est assez difficile de dire que la France a retiré quelques bénéfices de l'opération Mousquetaire à Suez. Cette opération est véritablement fondatrice car elle permit d'apprendre que pour compter dans une opération multinationales, il faut des outils militaires dimensionnants.

L'exemple plus récent de l'opération Harmattan montre une chose relativement simple : tous les participants ou presque avaient des chasseur-bombardiers et des frégates. Mais combien de ces pays avaient les capacités d'entrer en premier sur le théâtre libyen pour faire respecter la zone d'exclusion aérienne ? Les Etats-Unis, assurémment, car ils pouvaient fournir tout ce qui était nécessaire, et ils l'ont fait. Mais pour des raisons bien explicitées ailleurs, ils ont choisi de se mettre en retrait tout en apportant un "soutien logistique". La France pouvait entrer en premier sur le théâtre grâce, notamment, à la force de frappe de l'Armée de l'Air et à l'outil aéronaval. L'intérêt du second, c'est qu'il est bien plus capable de durer face à la mer face aux côtes libyennes. La France comptait dans l'opération Harmattan car elle a des moyens navals dimensionnants comme le groupe aéronaval, le groupe amphibie, les ravitailleurs et sa force sous-marine. Tout comme l'Armée de l'Air, en général, permettait à la puissance aérienne française d'avoir une capacité indépendante de ciblage. Les autres pays de la coalition devaient passer par les outils des autres, dont ceux de la France, des Etats-Unis et de l'OTAN. Quels pays sollicitaient l'attention des médias et s'offraient donc les retombées politiques ? La France, l'Angleterre et les Etats-Unis. Sauf que c'est le seul groupe aéronaval français, composé du porte-avions et des BPC, qui s'est illustré du début à la fin de l'opération Unifed Protector. C'est ce qui permettait à la France de peser sur le conflit.

Les anglais ont fait un effort militaire comparable à la France au cours de cette opération. Cependant, ils n'avaient pas de porte-avions, ni vraiment de capacités à entrer en premier sur le théâtre. Ce sont les américains et les français qui ont nettoyé la théâtre libyen par salves de missiles de croisière et frappes par chasseur-bombardiers. Est-ce qu'il y a eu de réelles retombées politiques quand la Royal Navy a lancé ses missiles de croisière Tomahawk ? Il y en a peut être au autant que quand Armée de l'Air et Aéronavale française lançaient des missiles de croisière Scalp. Que dire du fait que l'Eurofighter était bien incapable d'effectuer des bombardements alors que le Rafale paradait dans tous les médias, bilans des frappes à l'appui. Que dire quand lors de la dernière phase de l'opération Harmattan, quand la puissance aérienne est descendue à l'échelon des voilures tournantes pour continuer à produire ses effets, la Marine nationale a eu à attendre que la Royal Navy soit prête. Prête à quoi ? Est-ce que les raids d'Apache ont mattraqué les esprits via les médias ? Non, ce sont bien les Gazelle et les Tigre qui ont gagné "les cœurs et les esprits". Et tout cela était déployé depuis la mer, depuis des navires français.

La fin de l'exception aéronavale française

L'Angleterre a commandé ses porte-aéronefs au terme d'une saga assez épique. Londres va recouvrait un outil aéronaval (avec porte-aéronefs, ce ne sont pas des porte-avions) à partir de 2018. Celui-ci va monter en puissance jusqu'en 2030. Le Charles de Gaulle sera donc concurrencé en Europe. Non pas que nos deux pays ne coopéreront plus, mais il sera bien plus difficile de retirer les dividendes d'une opération type Harmattan quand les anglais recouvreront un semblant de puissance aéronavale. Et qui obtiendrait le leadership d'une opération type Suez ou Harmattan si la France ne disposait pas du porte-avions à la mer ? La France aura toujours un porte-avions, et lors d'une opération semblable à Harmattan, il continuera à se distinguer grandement des deux porte-aéronefs anglais car le Charles de Gaulle emporte des avions, dont des avions de guêt aérien, et que ses avions ont une allonge plus grande que les aéronefs qui prendront place à bord des Queen Elizabeth.

Dans l'Océan Indien, c'est l'Inde qui imposera sa puissance aéronavale. La marine indienne cultive l'outil aéronaval depuis les années 50. Elle va passer à la vitesse supérieure avec la réception d'au moins deux navires : l'ex-Gorshkov russe, porte-aéronefs hérité de l'URSS qui a été vendu et est en cours de refonte pour l'Inde, et le premier Air Defense Ship, un porte-aéronefs de construction locale dérivé des études italiennes du Cavour. C'est-à-dire que l'Inde aura au moins une permanence aéronavale dans l'océan Indien, et cela relativisera complètement les croisières du Charles de Gaulle dans cet océan.

Dans l'océan Pacifique et dans les mers asiatiques, il faut attendre le porte-avions chinois, l'ex-Varyag qui serait baptisé Shi Lang. La Chine affirme que ce ne sera qu'un navire école et d'essais. Il n'en demeure pas moins que quand les chinois auront appris à gérer un groupe aérien embarqué et à l'opérer depuis ce navire d'essais, tout en protégeant le navire avec une escorte, l'ensemble produira des effets diplomatiques notoires lors de ses croisières. Et ce ne serait pas le seul navire qui est en chantier ou voulu par les autorités de Pékin.

Plus au Nord, c'est la Russie qui conserve précieusement le porte-aéronefs Kuznetsov : lors des premiers mois de la crise syrienne, il a été intéressant d'observer combien la croisière méditerranéene de ce navire a pu attiser les craintes et la focalisation des médias alors que les capacités intrinsèques du groupe aéronavale russe (GRAn) restent à démontrer. Moscou souhaiterait construire de nouveaux porte-avions. En attendant, il y a un outil qui monte en puissance patiemment via un budget tout simplement plus régulier.

Plus au Sud, c'est le Brésil qui conserve lui aussi précieusement le Sao Paulo (l'ex-Foch). Alors que l'on parle de coopération aéronavale franco-anglaise pour l'entretien de nos outils aéronavals respectifs, il conviendrait d'observer plus finement la coopération aéronavale entre le Brésil et l'Argentine autour de ce navire.

Enfin, il y a les Etats-Unis. Le monde s'est habitué à leur puissance aéronavale. Mais il va devoir s'habituer à un fait nouveau : la diminution du nombre de porte-avions américains de presque de moitié (de 15 à peut être 10 ou 8) entraînera inévitablement une présence aéronavale moindre en certains lieux. C'est un peu comme les britanniques qui avaient eu à composer avec la relativisation de la première place navale mondiale de la Royal Navy par la montée en puissance d'autres marines. Londres avait alors signé un traité avec le Japon et un autre avec la France pour s'assurer par alliance du libre accès aux zones tenus par ses alliés.Washington, à moins d'un effort renouvelé sous quelque forme que ce soit, ne pourra pas faire autrement. Le retrait américain sera un boulevard pour d'autres.

La France est toujours le seul Etat au monde, en plus des Etats-Unis, à disposer de porte-avions, et des outils nécessaires à la mise en œuvre de la puissance aérienne depuis la mer. Angleterre, Inde, Russie, Chine et Brésil vont tenter d'atteindre ce niveau. S'ils y parviennent, alors l'outil aéronaval français sera automatiquement relativisé puisqu'il ne sera plus "unique" après celui des américains.

Et ceci c'est sans évoquer la potentielle explosion du nombre de puissances aéronavals secondaires via les possibilités offertes par les nouveaux aéronefs : drones de combat (UCAV), aéronefs ADAV comme le F-35 (et un hypothétique rival chinois) et l'arrivée de voilures tournantes ou convertibles à l'allonge très importante. Ce sont autant d'aéronefs qui ne nécessitent pas de catapultes, et donc pas de porte-avions, mais de simples porte-hélicoptères. Ils ne gagneront pas un avantage suffisant pour détrôner le porte-avions puisque celui-ci pourra toujours frapper le premier, mais ils tutoieront les grands. Notamment, ils gagneront un affichage médiatique et politique bien plus important avec la participation de leurs porte-hélicoptères/aéronefs à des opérations militaires. Bien qu'il faille modérer une telle perspective car l'opération Harmattan a montré que l'Espagne et l'Italie ne se sont pas pressées pour engager le BPE Juan Carlos I et les Garibaldi et Cavour en première ligne, tout comme le HMS Ocean de la Royal Navy n'a pas brillé non plus par sa présence.

Et demain ?

La situation navale mondiale est encore confortable pour la France pour deux raisons essentielles :
  • le Charles de Gaulle sera le seul avatar d'une puissance aéronavale autre que celle des Etats-Unis jusqu'en 2020, si ce n'est 2030, soit le temps que les outils rivaux en construction atteignent la maturité nécessaire.
  • L'Histoire a la politesse de faire éclater les crises majeures quand la France a son unique porte-avions à la mer. Est-ce que cette politesse de l'Histoire durera encore longtemps ?
Il faut garder à l'esprit que l'entrée en Flotte du PA2 prendrait de 5 à 7 ans selon le degré de ressemblance avec le Charles de Gaulle et le nombre d'hommes et de femmes disponibles pour le prendre en main. Il faut compter au moins 18 mois pour construire la coque, et peut être autant pour l'armer de ses différents systèmes. C'est-à-dire qu'il faut compter au moins 5 ans, si ce n'est 7, entre le moment où le porte-avions serait commandé et le moment où il arrivera en Flotte.

Le problème, c'est que le calendrier du sistership du Charles de Gaulle s'est effacé au profit du remplaçant du Charles de Gaulle. Ce n'est plus tant le problème du PA2 que celui de la préservation de l'outil aéronaval français. Si le Charles de Gaullee est entré en service en 2001, il faut dire que les premiers éléments de la coque remontent à 1989. Le navire donnera combien d'années de service ? 30 ? 40 ou 50 ? Le navire est ancien, déjà, et plus il avancera dans le temps, plus des pièces seront difficiles à trouver. Ce problème est habituel pour des équipements militaires qui durent de 30 à 40 ans. Mais il sera encore plus aigüe pour un navire conçu dans les années 80 et qui naviguera au moins jusqu'en 2030 (date butoire où le navire affichera seulement 29 années de service).

A partir de 2030, la puissance aéronavale française sera sur le déclin par l'arrivée d'autres outils aéronavals. Il sera temps, à partir de 2020, de lancer le débat sur le remplacement du Charles de Gaulle. C'est bien ce que disait la future présidente de la commission de la Défense et des forces armées de l'Assemblée nationale le 27 mars 2012 à Mer et Marine : "Le second porte-avions ne sera pas un enjeu pour les cinq années qui viennent. Maintenant, il est trop tard pour faire construire un bâtiment destiné à épauler le Charles de Gaulle. Le prochain porte-avions qui sera commandé le sera pour remplacer l'existant. Ainsi, dans cinq ans, il faudra commencer à travailler au remplacement du Charles de Gaulle à partir de 2025". Dès aujourd'hui il est possible de dire qu'il n'apparaît toujours pas d'alternative sérieuse au porte-avions pour :
  • projeter la puissance aérienne par-delà les mers,
  • avec aussi bien la durée sur zone,
  • que la souplesse d'emploi des différents feux.
Imaginons qu'il soit proposé de remplacer le Charles de Gaulle par un nouveau navire : le problème demeure exactement le même car la France ne se distinguera pas par cet investissement. Peut être même que nos rivaux seront passés à une permanence aéronavale par l'acquisition d'au moins deux navires. La France aura construit un porte-avions, mais ce ne sera que la préservation de la situation actuelle où il manque un porte-avions pour seconder le premier.

La question est de savoir comment la France pourra préserver un outil aéronaval après 2030 pour continuer à exprimer son indépendance d'action sur la scène internationale ? L'une des choses que l'on peut dire c'est que, à défaut du nombre, c'est la maturité et qualité de l'outil aéronaval français qui fait d'ores et déjà la différence. C'est un gain stratégique qui ne perdurera pas éternellement après la date butoire de 2030.

Est-ce que la solution coûtera 3 ou 5 milliards d'euros ? Plus ou moins ? C'est difficile à dire. Il n'y aurait pas une telle ardoise si le Charles de Gaulle avait été accompagné d'un second navire dès 1989 -mais c'est une autre histoire. En tous les cas, la situation aéronavale confortable qui perdure depuis 1990 prendra fin vers 2030. La question n'est absolument pas de savoir si c'est la "crise" car le XXe siècle a montré une France constamment confrontée à la crise, et plutôt, aux crises. Est-ce que cela a empêché les gouvernements successifs de forger des outils militaires ? Non. La vraie question qui est posée aux gouvernants est celle de l'avenir de l'outil aéronaval français, et donc de la place de la France sur la scène mondiale à partir de 2030. Est-ce que nous avons encore l'ambition de compter parmi les acteurs du monde ?

« Les larmes des souverains ont le goût salé de la mer qu'ils ont ignorée » disait Richelieu. Il s'agira donc de donner les moyens à la France d'être présente sur les mers. Ce n'est pas un dessein qui doit se réaliser au détriment des autres Armées que sont l'Armée de Terre et l'Armée de l'Air (sans oublier la Gendarmerie nationale). Mais il ne faudrait pas non plus que ces deux autres Armées se construisent au détriment de la Marine nationale. C'est pourtant le cas depuis... toujours ou presque en France. Le monde entier crie que les prochaines décennies seront ultra-marines.

C'est-à-dire que le pouvoir politique en France devra faire le choix historique de privilégier la construction de la Flotte, le financement de la Marine, pour répondre aux défis du temps présent. La Flotte ne sert à rien sans Armée de l'Air et Armée de Terre. Mais une belle Armée de Terre et une belle Armée de l'Air sans Flotte seraient l'une des plus belles erreures de ce XXIe siècle.

Prenez au final l'exemple de l'US Navy : son budget représente environ 35% du budget de la Défense américain, contre 30% pour l'US Army et 30 autres pour l'US Air Forces. Il est clair que la marine américaine est la première force armée des Etats-Unis d'Amérique : le budget ne ment pas.

Prenez l'exemple de la France :
Est-ce que le budget de la Marine nationale de la République française transpire d'une ambition navale adaptée aux enjeux maritimes maintes fois décrits par tant de rapport parlementaires, de discours et d'ouvrages, donc, et notamment, par des responsables politiques français ?

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Le problème du financement des ambitions navales de la France est-il une conséquence de la "crise", ou bien tient-il au fait que la Marine nationale n'est pas la priorité budgétaire des forces armées ? La France n'est-elle pas un archipel qui s'étend sur tout le globe terrestre ?

C'est là le choix historique à faire (et le nombre de fois où ce choix a été fait en faveur de la Marine de France dans l'Histoire se compte, peut être bien, sur les doigts d'une main...) : peu importe la bonne fortune du budget, il faut faire un choix. Si la Marine avait le budget de l'Armée de Terre (ce qui reviendrait à doubler le budget annuel de la Marine nationale...) alors peut être que la France ne s'encombrerait pas de quelques formules sybillines sur le contexte budgétaire actuel pour se donner les moyens de son action navale, et donc mondiale. Le problème, ce n'est pas la crise, c'est la répartition des efforts budgétaires.

Actuellement le budget annuel de la Marine nationale est le quart des budgets des Armées de Terre et de l'Air.

La solution ne tient pas dans une quelconque mutualisation, ni dans des choix technologiques ou une modification du contrat opérationnel des Armées : la solution tient dans un choix politique.

03 août 2012

Le Porte-avions et son escorte : héritage, nécessité non-exclusive et bénéfice partagé


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C'est l'argument "anti-porte-avions" vieux comme son apparition : le pont plat serait un système d'armes au rendement inefficace. Il faudrait constamment l'escorter par des navires dédiés aux menaces sous-marines et aériennes, voire d'autres puisqu'il faut bien traiter les mines, par exemple. Pire, la composition du groupe aérien embarqué du mastodonte implique son adaptation aux menaces les plus en pointes dans sa zone d'intervention. A écouter l'accusation, le groupe aéronaval n'existerait que pour se protéger.

11 juillet 2012

2006-2012 : les capacités aéroamphibies de la Marine au service de la résolution des crises


© Marine nationale.

Depuis l'année 2006 jusque 2012, la Marine nationale a participé à plusieurs opérations ponctuelles, dont les opérations Balistes et Harmattan, tout en continuant à remplir des missions durables, comme les missions Jeanne d'Arc, Corymbe et la mission européenne Atalante. Les moyens mis en œuvre pendant cette période montrent combien la puissance navale française permet de participer au règlement des grandes crises internationales, et combien l'outil dont nous disposons est très précieux. Pendant ces six années, presque toutes les facettes des capacités de la Marine nationale ont été mises en oeuvre : même le groupe de guerre des mines est intervenu en Libye. La groupe aéronaval, le groupe amphibie et les ravitailleurs ont été très employés. La flotte de surface a eu un très bel effort à fournir pour que les escorteurs nécessaires aux opérations et missions soient disponibles, de même que dans les régions où il fallait assurer une présence navale (comme dans le Golf persique) alors que le nombre de frégates ne cesse de diminuer.

Il est proposé de s'intéresser plus particulièrement aux capacités mises en oeuvre depuis les navires de la force amphibie, en liaison avec la composante aérienne projetable (tel que défini dans le Livre blanc de 2008) qui repose aussi bien sur l'Armée de l'Air que sur l'Aéronavale.

2006 - Opération Baliste

Le dernier conflit israélo-libanais (12 juillet-14 août 2006) eu comme épisode une évacuation des ressortissants européens et étrangers du pays du Cèdre. La situation se dégradait si rapidement pour les résidents étrangers du Liban à cause de la montée en puissance des combats entre le Hezbollah et Tsahal. Il y alors au large du Liban la frégate Jean de Vienne et le TCD (Transport de Chalands et de Débarquement) Sirocco. La mission est d'évacuer les ressortissants français, au moins, entre le Liban et Chypre : l'opération Baliste est lancée.

Le Bâtiment de Projecton et de Commandement (BPC) a connu cette année là son heure de gloire -une gloire qui rejaillit sur toute la classe de navires (cinq unités actuellement, dont deux sont en construction pour la Russie). La configuration type d'un BPC, tel que décite par son constructeur, se compose de 450 hommes de troupe dans des conditions confortables avec en sus 16 hélicoptères (autant de Tigre que de NH90), des matériels roulants blindés et motorisés et une batellerie aujourd'hui composée de deux EDA-R (Engin de Débarquement Amphibie-Rapide).

Le Mistral est alors appelé, et il doit être prêt à appareiller pour le 15 juillet 2006 à renforcer ce dispositif. Mer et Marine consacre un large et très détaillé article au sujet de l'opération Baliste, grâce au récit fait par son commandant de l'époque, le capitaine de vaisseau Jubelin (les différentes citations qui suivent sont tirés de cet article ou d'autres articles de Mer et Marine). L'affaire est vraiment urgente car le navire revient d'essais : « après trois mois de TLD au cours desquels le Mistral a mené ses essais en eaux chaudes, jusqu'en Inde, l'été devait être consacré aux réparations, notamment des planchers défectueux : « Le bateau n'est toujours pas admis au service actif et il venait de terminer ses essais. Il y avait des pièces à changer et des dizaines d'appels à garantie à solder. C'était un véritable chantier. Dès le 3 juillet, la moitié de l'équipage était en permission ». Que cela ne tienne, l'équipage est au complet le 15 juillet et il aide à l'embarquement des différentes capacités qui vont être nécessaires dans les prochaines semaines : une antenne chirurgicale projetable, un groupe aéromobile (deux Caracal, deux Cougar, quatre Puma et Gazelle) avec un contingent de 650 hommes de troupe, épaulé par des AMX-10RC, VAB et VBL. Le navire accueil ses différents utilisateurs pendant les quatre à six jours de traversée entre Brest et le Liban.

Le dispositif naval français (soutenu également par des navires affrétés) doit évacuer au moins 12 000 civils. L'équipage du Mistral s'organise : « A vide, nous avions calculé que nous pouvions embarquer 4000 personnes pour un trajet de 8 heures, où nous n'aurions eu qu'à distribuer des casse-croûtes. Avec les troupes à bord, entre la compagnie du 2ème RIMA, l'échelon du Génie et leurs matériels, ce chiffre tombait à 1500, ce qui est déjà énorme », précise le commandant Jubelin"."Selon Frédéric Jubelin : « Sur une frégate on ne peut pas faire ça. Même sur un TCD récent comme le Siroco car, chargé de véhicules et de troupes, il n'y a pas la place ».

Les manoeuvres aéronautique et logistique sont tout aussi impressionnantes, et elles montrent bien qu'il y a eu un changement d'échelle entre les TCD et les BPC :
  • « Ce gain potentiel de place est également valable pour le hangar hélicoptères, long de 100 mètres. Conçu pour abriter 16 appareils lourds, il peut, en réalité, accueillir jusqu'à 35 Gazelle ! ». C'est une chose dite en 2006 qui surprendra en monde en 2011 lors de l'opération Harmattan.
  • « L'amphibie, avec un Ouragan, c'est très séquentiel. On envoie un hélico, on laisse 2 minutes de battement puis on envoie un CTM, puis un hélico après 2 minutes etc.... »
  • « Pour lancer un assaut héliporté [depuis le Mistral], on n'a pas à attendre. Grâce à l'ascenseur arrière, on peut déployer les pales avant l'arrivée de la machine sur le pont d'envol, ce qui permet de gagner un temps précieux. D'autre part, les grandes dimensions du navire nous permettent de préparer, pour une pontée de six hélicoptères, 70 à 90 gars avec leurs armes et leurs bagages dans la coursive du pont 6 (au niveau inférieur du pont d'envol). Nous avons calculé, pendant les exercices, qu'en une minute 45 ils étaient sur le pont, en 3 minutes dans les hélicoptères et en moins de 5 minutes, tout le monde était en l'air. C'est vraiment impressionnant ».
  • « On était à Beyrouth et nous devions, de manière concomitante, accueillir 1100 ressortissants, refaire des vivres et débarquer 450 palettes. Pour parvenir à sortir cette cargaison à temps, on a utilisé la grue aéro, les Fenwick par la porte de bordée latérale mais aussi la poutre à munitions. Avant d'arriver, les palettes avaient été disposées : 170 sur le pont d'envol, 230 en bas et 45 près de la poutre. Tout est sorti simultanément et, en même temps, je voyais le commissaire charger ses vivres par l'avant du navire ! C'est industriel et méthodique. En sommes, on ne bricole pas ». Pour le capitaine de vaisseau Jubelin, le BPC est une sorte de « rond point permanent qui ne s'arrête jamais. Au Liban, on ne stoppait pas, entre le chargement de fret, les évacuations, l'hôpital, les mouvements d'hélicoptères et les man?uvres amphibies ».
L'une des caractéristiques du Mistral qui permettait ces différentes réussites, c'est la large place disponible à bord, aussi bien dans les zones dédiées au stockage des matériels et des machines que dans les différentes coursives. La dynamique des flux a été très, très bien étudiée dans le navire, et cela explique largement sa réussite pour accomplir les différentes manoeuvres qui lui incombaient.

L'opérartion Baliste a été un franc succès, surtout pour le Mistral qui a été admis au service "actif" quelques semaines plus tard. Les TCD Ouragan et Orage sont avantageusement remplacés par les BPC dont le concept a bien évolué depuis les PH 75. Néanmoins, il ne faudrait pas que le succès du Mistral éclipse le rôle tout aussi crucial du recours à l'affrètement de navires civils pour suppléer les navires de la Royale : le nouveau contrat d'affrètement a été conclu avec la CMA-CGM.

2011 (janvier) - Crise ivoirienne et force Licorne

La crise ivoirienne se développe considérablement à nouveau quand le résultat des élections présidentielles ne permet pas de départager celui qui était alors l'actuel président, Laurent Gbabgbo, de son rival, Alassanne Ouattara. Le second candidat est reconnu comme le vainqueur des élections par communauté internationale alors que le premier est légitimé par le processus constitutionnel ivoirien.

Les combats reprennent en Côte d'Ivoire pendant plusieurs semaines, et le camp loyaliste finit par se réduire exclusivement à la capitale ivoirienne : Abidjan. Cette ville présente la caractéristique d'être au bord de la mer, et d'être constituée d'un archipel d'îles. La situation est si grave qu'elle impose de prévoir un plan d'évacuation des ressortissants. 15 000 personnes seraient à évacuer, mais heureusement pour elles, la situation n'a pas obligé à en arriver jusqu'à une telle mesure.

Depuis le 10 décembre 2010, le Tonnerre est au large d'Abidjan. Il relève le Sirocco pour servir à son tour dans le cadre de la mission Corymbe. La mission du Tonnerre commence notamment par un ravitaillement opérait par le pétrolier-ravitailleur néerlandais, qui revient alors de l'opération Atalante.

Du côté d'Abidjan, « Sur place, l'armée française compte la force Licorne et ses 900 hommes, basés au sud d'Abidjan. Les militaires disposent de véhicules blindés et d'un détachement d'hélicoptères composé de cinq Puma et trois Gazelle ».

Paris se refusait à intervenir dans la crise ivoirienne, dans un premier temps. Mais la France se résoudra à le faire pour accélérer le cours des évènements et hâter la fin de la bataille d'Adidjan. Les voilures tournantes de l'ALAT semblent ne plus intervenir que depuis le Tonnerre. C'est certainement pour que leurs activités ne soient pas surveillées par les forces loyalistes ivoiriennes comme cela aurait pu être le cas si elles étaient restées au sud de la capitale ivoirienne. Le Tonnerre présente alors ses capacités de Sea Basing, qui peuvent permettre aux forces d'opérer impunément depuis la mer, et tous aussi discrètement. Il est aujourd'hui avéré que c'est grâce à l'intervention de l'ALAT que la bataille d'Abidjan a été remportée de manière si décisive avec la capture de l'ancien président ivoirien.

Cette opération était certainement un cas d'école particulièrement heureux avant l'opération Harmattan qui allait voir le jour dans les prochains mois.

2011 (février-mars) - Crise libyenne

Cinq ans plus tard, les BPC vont pouvoir à nouveau montrer leurs capacités impressionnantes pour l'évacuation de ressortissants. Mais ce sera aussi la première fois que ces navires seront utilisés dans des opérations aéroamphibies à finalité guerrière. 

En 2011, la Marine nationale devait apporter son aide à l'évacuation par la mer de ressortissants égyptiens qui ont fui la Libye pour la Tunisie. La grande différence avec l'opération de 2006, c'est que la majeure partie des ressortissants étrangers seront évacués par la voie des airs, et donc par les différentes armées de l'air européennes et méditerranéennes.

Peu ou prou, c'est le dispositif naval de l'opération Baliste qui semble se reconstituer. Le Mistral part alors de Brest le lundi 28 février 2011 pour la campagne Jeanne d'Arc, avec la frégate Georges Leygues. La mission Jeanne d'Arc arrive alors à Toulon le samedi 5 mars 2011. Le Mistral doit embarquer, en plus des 135 élèves-officiers, un détachement de l'Armée de Terre qui doit aussi participer à la campagne Jeanne d'Arc.
Les deux navires doivent rejoindre la Tunisie afin de procéder à l'évacuation des ressortissants égyptiens pour les ramener à Alexandrie. Le groupe est attendu le 7 mars dans le port tunisien de Zarzis. Sauf la frégate Georges Leygues qui se fait alors remplacer par la frégate Tourville suite à une avarie qui lui impose un nouvel arrêt à Toulon. Finalement les 900 à 1000 ressortissants égyptiens sont évacués autrement, grâce à l'efficacité du pont aérien mis en oeuvre par l'Armée de l'Air et le Quai d'Orsay.
Le 7 mars, toujours, l'équipage du Mistral doit se contenter de débarquer 50 tonnes d'aides humanitaires pour la Tunisie. Le groupe Jeanne d'Arc reprend alors le chemin de sa mission, ce qui implique de passer le canal de Suez dans une zone en effervescence totale.

2011 - Opération Harmattan

Aux alentours du 18 mai 2011, le commandant du Tonnerre, le capitaine de vaisseau Ebanga, s'active avec son équipage pour réaliser une nouvelle manoeuvre logistique aussi impressionnante par le volume à embarquer que par le laps de temps très court pour l'effectuer. Le navire doit recevoir un groupe aéromobile d'une grosse vingtaine de machines : Tigre, Gazelle et Caracal constitueront un groupe d'attaque et un autre dédié au CSAR (Combat Sear And Rescue). Ce qui change par rapport aux opérations d'évacuations, c'est qu'il ne s'agit plus d'accueillir à bord et temporairement un grand volume de civils, mais bien d'embarquer de manière durable l'équipage et le groupe aéromobile embarqué, soit 700 hommes environ.

Le Tonnerre vient s'insérer dans une opération Harmattan qui peine à faire mieux que ce qu'elle a déjà réalisé en combinaison avec l'opération Unifed Protector. L'ensemble des structures militaires libyennes ont été balayées par les différentes vagues de bombardement qui ont frappé le territoire libyen. Il fallait désormais faire face à des troupes mobiles capables aussi bien de se disperser au sein des villes, campagnes et des populations pour se protéger que de se concentrer pour mener des raids contre les rebelles (une quelconque analogie avec la dissémination des Harrier sur le sol britannique dans les scénarios d'emplois de pendant la Guerre froide ?). Alors, il était nécessaire de descendre d'un cran dans l'usage de la puissance aérienne puisqu'il devait impératif :
  • de recourir à des armements ayant des effets collatéraux très faibles,
  • et avoir des unités capables d'évoluer au plus près des combats : c'est le rôle tout naturel de l'Aviation Légère de l'Armée de Terre.
Le 3 juin 2011, les voilures tournantes de l'ALAT passent pour la première fois à l'attaque.

Le groupe Jeanne d'Arc, centré sur le Mistral, écourte sa campagne annuelle de deux bonnes semaines. Les navires arrivent à Toulon le 28 juin 2011. Le 10 juillet 2011, le Mistral appareille à nouveau de Toulon pour aller relever le Tonnerre.
Les deux navires vont alors effectuer une manoeuvre logistique relativement impressionnante puisqu'elle sera exécutée sans que les manoeuvres du groupe aéromobile s'arrêtent... alors que tous les deux à trois jours une nouvelle attaque était lancée depuis le pont d'un BPC. Le commandant de l'ALAT, le général de division Pertuisel, relatait ainsi au colloque de Mer et Universités sur les opérations aériennes pendant Harmattan que la manoeuvre s'était réalisée en pleine mer à l'aide des hélicoptères de manoeuvre et des chalands de débarquement.
Ce n'est pas sans rappeler les passages de PA1 à PA2 des anciens porte-avions Foch et Clemenceau. Ceux-ci avaient aussi connu un tel passage de témoins en pleine mer, au large du Liban. Cela illustre plutôt bien la capacité à durer des navires en la mer, voir des capacités de Sea Basing, et les nombreuses possibilités offertes par le fait de disposer d'un radier et d'un pont d'envol.

La relève se répétera en sens inverse les 9 et 10 septembre : « en fait, le transfert s'est opéré les 9 et 10 septembre en Sicile, dans le port d'Augusta. « Tandis que les Puma, Tigre et Gazelle du Groupe aéromobile (GAM) quittaient le pont d'envol (du Mistral), l'état-major de la Task force 473 (TF 473) et la majorité de l'équipage du navire, soit près de 200 personnes, mais aussi le fret, une centaine de tonnes de matériel, étaient acheminés à l'aide des chalands de transport de matériel transportés par les BPC. L'ensemble du transfert a nécessité 25 rotations d'hélicoptères et 14 norias de CTM ».

Les opérations en Libye ont validé l'utilisation du BPC comme base de projection de la puissance aéroterrestre depuis la mer. L'endurance des navires et la possibilité de les relever sur zone, voir en pleine mer ont même montré des capacités de Sea Basing. La faculté de permettre aux deux BPC de se relever sur zone permet des gains opérationnels très appréciables puisque les missions demeurent relativement courtes (à comparer avec les neuf mois de mer du Charles de Gaulle : missions Agapanthe et Harmattan).

La relève est un grand service rendu aux équipages :
  • ce qui évite de les écœurer de métiers où il faudrait choisir entre servir et avoir une vie en dehors du service, au point qu'ils quittent très prématurément les Armées.
  • C'est au grand bénéfice de la regénération des forces (leur remise en état opérationnel),
  • Cela permet aussi de diffuser à plus d'hommes et de femmes l'expérience opérationnelle.
  • La présence de la France dans le monde n'a pas été amoindrie. Quand un BPC servait au sein de l'opération Harmattan, le second était en campagne Jeanne d'Arc.
La situation de la composante amphibie semble avoir été relativement "confortable" puisque le Dixmude n'a pas été appelé à intervenir dans le dispositif avant son admission au service actif, contrairnement au Mistral en 2006.

Depuis 2006 et 2011, il y a un formidable capital opérationnel à préserver, à regénérer. Il n'y a pas tant que cela de marines dans le monde qui peuvent évacuer autant de ressortissants que conduire des manoeuvres aéronavales et aéroamphibies dans des coalitions militaires.

Avant de tenter d'évoquer la capitalisation de ces riches enseignements opérationnels, il est peut être bon de rappeler que le professeur Coutau-Bégarie rappelait dans l'un de ses derniers ouvrages -"Le meilleur des ambassadeurs - Théorie et pratique de la diplomatie navale"- que la Marine nationale ne défendait pas suffisamment devant les pouvoirs politiques (aussi bien l'Elysée que Matignon et surtout devant les deux chambres du Parlement) le fait qu'elle ait évacué depuis 1962 une bonne vingtaine de milliers de ressortissants français et étrangers de par le monde, par sa seule action. De 2006 à 2012, il y a un très beau bilan à défendre et à défendre partout où cela est possible.

Depuis la Libye, l'activité des BPC n'a pas diminué : bien au contraire puisque les trois navires, depuis l'arrivée en flotte du Dixmude, multiplie les exercices de part le monde.

Par exemple, il y a le cas du Mistral qui a participé à l'exercice Bold Alligator sur la côte Atlantique des Etats-Unis : « Pour la première fois, l'édition 2012 de l'exercice amphibie américain Bold Alligator a été ouverte aux membres de l'OTAN. Pour cette première, la France a été le seul pays européen à avoir accepté l'invitation de l'US Navy et de l'US Marine Corps en projetant aux Etats-Unis une force de projection. Du 23 janvier au 13 février, le Bâtiment de Projection et de Commandement (BPC) Mistral a, ainsi, opéré avec six navires amphibies américains placés sous la protection du porte-avions nucléaire USS Enterprise. Les unités terrestres françaises embarquées, dans le scénario prévu, avaient reçu pour mission d'entrer en premier sur un littoral hostile, afin de permettre l'arrivée des forces principales. Le lieu de la manoeuvre : la côte de Virginie, juste au sud de la base navale de Norfolk, et la Caroline du Nord au large de Camp River. Un terrain de manoeuvre tout proche finalement de la baie de Chesapeake et de Yorktown, là où se sont joués les épisodes décisifs de la guerre d'indépendance américaine. Plus de deux siècles plus tard, la coopération entre Paris et Washington s'est trouvée redynamisée par cette participation, d'autant que la France fait figure de leader européen de l'Alliance Atlantique suite à son retour dans le commandement intégré de l'OTAN, entériné en avril 2009 ». Cet exercice fut l'occasion pour les américains de vraiment découvrir le concept du BPC, à tel point qu'ils allèrent même le comparer avec les capacités de leurs LHD et LHA.

Pour transformer, peut-être, l'essai et diffuser les enseignements requis lors de l'exercice américain, le Mistral a participé à quatre jours d'exercices amphibies sur les côtes de Provence en France du 4 au 8 juin 2012. « Transportant 150 hommes et 34 véhicules de l'armée de Terre, dont des blindés, le bâtiment de projection et de commandement Mistral, armé par 177 marins, a été engagé, du 4 au 8 juin, dans un exercice de débarquement en Provence. L'objectif principal était d'entrainer les soldats de la 9ème Brigade d'Infanterie de marine, composée essentiellement par la compagnie d'éclairage et d'appui du 2e Régiment d'infanterie de marine du Mans. Le 7 juin, le débarquement est intervenu sur la plage de la Croix-Valmer, un nouvel engin de débarquement amphibie rapide (EDAR) étant mis en oeuvre à cette occasion, en plus des traditionnels chalands de transport de matériel (CTM). « Cet entraînement délicat s'inscrivait dans un scénario amphibie fictif ayant vocation à assurer l'évacuation de ressortissants français prisonniers d'un pays en proie à une rébellion armée », explique la Marine nationale ». 

Le Tonnerre est parti de Brest le 26 mars 2012 pour le golf de Guinée et la mission Corymbe. Traditionnellement, c'est un navire amphibie qui sert pour cette mission, sauf exception, comme pendant l'opération Harmattan où c'est la frégate La Fayette qui a relevé le TCD Foudre (qui a été vendu au Chili depuis). La mission Corymbe permet de coopérer pleinement avec les différents pays de la région avec un navire qui permet d'avoir aussi bien des capacités opérationnelles que diplomatique.
La mission Corymbe du BPC s'est achevée par des exercices avec la Marine Royale Marocaine. La coopération avec la marine marocaine est très soutenue puisque le GAn (Groupe Aéronaval) s'est également entraîné avec elle.

Le Dixmude qui a été livré à la Marine nationale 12 janvier 2012 ne démérite pas non plus. C'est depuis le 5 mars 2012 (sans que la mission Jeanne d'Arc parte depuis Brest, même si son retour se fera en Bretagne) que le navire mène la mission Jeanne d'Arc avec aussi bien avec les officiers-élèves de la Marine qu'un groupe tactique et aéromobile de l'Armée de Terre. Cette campagne d'application à la mer nouvelle formule doit durer cinq mois -à moins que des évènements racourcissent encore une fois sa durée, comme en 2011 avec l'opération Harmattan.
Cette mission Jeanne d'Arc a oeuvré au service de l'opération Atalanta du 23 mars au 16 mai 2012 (environ), date à laquelle où la frégate Georges Leygues et le Dixmude ont relaché en Afrique du sud (du 16 au 21 mai).
C'est pendant cette présence au large de l'Afrique que les deux navires se sont entraînés avec la marine saoudienne en mer Rouge.
Après le passage du Cap et l'escale sud-africaine, le Dixmude est allé s'entraîner avec la marine brésilienne du 5 au 11 juin. Ces six jours d'exercices permettaient aux deux marines de menaient des manoeuvres navales puisque les deux navires français oeuvraient avec deux frégates anti-sous-marines (Niteroi et Greenhalgh) et un pétrolier-ravitailleur (Alm Gastao Motta) brésiliens. Ces manoeuvres entre navires se sont doublées de manoeuvres aériennes entre les hélicoptères des différents bâtiments. Les voilures tournantes se sont qualifiées à l'appontage dans la marine hôte et vice-versa.Le Dixmude servait de navire de commandement grâce à un état-major embarqué franco-brésilien, ce qui a été utile pour coordonner les cinq navires franco-brésiliens, et ce qui allait être très utile pour les manoeuvres aéroamphibies. Il s'agissait d'une sorte de reproduction de l'exercice de débarquement de provence du Mistral qui se déroulait à peu près au même moment, mais à l'échelle de la coopération franco-brésilienne, ce qui complique forcément les choses.
De plus, « le 2 juillet 2012, à l’issue de la relâche opérationnelle du Dixmude à Abidjan, des manœuvres maritime et aéroterrestre ont été menées avec une très forte participation des détachements embarqués. Le Dixmude et ses détachements embarqués de l’aviation légère de l’armée de Terre (ALAT) et de la flottille amphibie (FLOPHIB) ont réalisé un entraînement conjoint avec les troupes et véhicules français de la force Licorne et les Forces Républicaines de Côte d’Ivoire ».

La coopération avec les marines alliés a été, notamment, au coeur des programmes opérationnels des BPC. Ces activités permettent de montrer que notre marine peut intervenir conjointement avec d'autres marines car cela a été pratiqué par l'exercice et par échanges croisés de qualifications. Il y a aussi bien les pilotes d'hélicoptères français et brésiliens qui se qualifient chez la marine de l'autre, mais il y eu aussi les nombreux appontages de voilures tournantes américaines (Sea Stallion et Black Hawk). Sans oublier les nombreux embarquements d'engins de débarquement américains sur coussin d'air dans nos BPC. L'interopérabilité n'est pas un vain mot quand il faut intervenir dans le cadre de l'opération Harmattan avec d'autres marines, par exemple.

Les manoeuvres aéronavales et aéroamphibies franco-anglaises qui étaient au coeur des opérations Harmattan et Unifed Protector ont été voulues par les traités de Londres du 2 novembre 2010. Pour transposer ce qui avait été signé entre les deux pays, il y avait eu l'exercice franco-britannique Flandres 2011 qui s'était déroulé du 22 au 29 juin. Le but était de poser les jalons de la création d'une force expéditionnaire commune. Si les deux Royales ont l'habitude de travailler ensemble, il n'en allait pas de même pour les deux armées de terre. La prochaine étape sera-t-elle une sorte d'exercice Bold Alligator euro-otanien avec au coeur du dispositif Londres et Paris ? C'est en tous les cas souhaitable, et c'est le moins que l'on puisse faire quand l'on souhaite l'Europe de la Défense, l'OTAN ou les deux à fois.

Avec la remontée en puissance du porte-avions Charles de Gaulle en Méditerranée, et les très nombreux exercices menés par les BPC, il y a de quoi apprécier le grand professionalisme dont fait preuve les hommes et femmes de la Marine nationale pour préserver les savoir-faires acquis lors des opérations. De la simple mise en oeuvre simultanée des chalands et des hélicoptères depuis le pont d'un BPC jusqu'à la conduite d'une opération aussi complexe que Harmattan pendant le conflit libyen, tout est fait pour garder ces savoir-faires. Ils sont même remis au goût du jour avec l'exercice Bold Alligator qui a du tenir grandement compte ce qui s'est passé en Libye où la Marine nationale avait une place de choix. Cela a très certainement du intéresser au plus point l'US Navy et 'l'US Marines Corps. Si les forces armées américains précitées ont toutes deux participé au conflit libyen, c'était plutôt en ce qui concerne le soutien des opérations offensives et la logistique : une fois n'est pas coutume, ce sont les alliés de l'OTAN qui ont eu la primeur des opérations offensives, alors que c'était la primeur historique des Etats-Unis.
Mais les état-majors des armées a aussi fait en sorte que le capital d'expérience se diffuse au sein de toutes les unités des armées françaises appelées à intervenir dans le cadre d'opérations littorales (avec la participation des différents régiments et brigades lors des différents excices amphibies).
Enfin, il est appréciable que les BPC aient pu profiter des exercices avec les marines alliés pour exercer ce capital d'expériences avec d'autres et le conserver.

Si en 2006 la Marine nationale savait toujours mener des opérations aéronavales, aéroamphibies, et notamment d'évacuation massive de ressortissants, il faut bien relever que depuis six ans, la Marine a démontré qu'elle avait grandement élevé ces arts opérationnels à un niveau d'excellence enviable de part le monde. Les différentes évolutions qui touché l'arc de crise incitent à maintenir ces capacités à un haut niveau d'excellence, certes. Mais la mise en oeuvre de ces capacités, justement, ne s'invente pas du jour au lendemain. Le fait qu'il soit possible de mener ces opérations, c'est constater que les matériels et les ont été savamment conçus et développés depuis une trentaine d'années. Le classe de porte-avions Charles de Gaulle, le Rafale, les BPC, les actuelles et futures voilures tournantes, tout comme les chalands de débarquement sont des bons matériels qui servent bien aux missions qui sont demandées par le pouvoir politique aux armées.

A l'heure actuelle, la crise syrienne semble s'être développée suffisamment pour que la presse se fasse l'écho d'une possible préparation de la communauté internationale à une évacuation générale des ressortissants étrangers de Syrie. Bruxelles 2 répercute l'hypothèse de 200 000 personnes à évacuer. Le scénario ne serait pas le même que pendant le conflit israélo-libanais de 2006. Il y a deux grandes raisons à cela :
  • la première, c'est bien entendu le volume de civils à sortir de Syrie. Chypre servirait encore une fois de base-relais, et heureusement, vu le chiffre potentiel de personnes à évacuer.
  • Mais surtout, la crise prolongée fait que la Syrie pourrait interpréter des mouvements navals au large de ses côtes comme une agression, la préparation d'une agression ou des choses suffisamment inquiétantes pour agir.
Il y a des rumeurs persistantes (depuis une année ou presque) sur le débarquement de fusiliers-marins russes dans le port de Tartous pour participer à une évacuation des citoyens russes. Il semblerait qu'actuellement il y ait une concentration de vaisseaux russes à destination de la Méditerranée orientale. Tout comme il y a cet incident du RF-4E Turc abattu par la défense aérienne syrienne dans des conditions qui demeurent troubles. Abou Djaffar semble dire que cela pourrait être le signe de la nervosité des forces armées syriennes.

A l'heure actuelle, les Mistral, Tonnerre et Dixmude sont prêts, leurs équipages sont rompus à toutes ces manoeuvres. Le Groupe Aéronaval remonte en puissance et doit être plus ou moins opérationnel à l'heure actuelle. Si le potentiel aéronaval est moindre qu'avant le conflit de Libye, du fait que les forces et les stocks de pièces de rechange et de muntions n'ont pas pu entièrement se reconstituer, il faut relever que le potentiel amphibie est le triple de celui mise en oeuvre au Liban lors de l'opération Baliste.

De 2006 à 2012, la Marine nationale, parfois avec les alliés de la France, a démontré la maîtrise de capacités opérationnelles qui sont nécessaires pour agir dans l'arc de crises définit par le Livre blanc sur la Défense et la sécurité nationale de 2008. Les équipages armant les navires de la Marine qui constitue aussi bien le groupe aéronaval que le groupe amphibie ont montré qu'ils étaient aptes à mener les missions nécessaires pour entrer en premier sur un théâtre (Harmattan, 2011) pour combattre des forces armées ennemies, évacuer massivement des ressortissants (Baliste 2006) ou encore mettre en oeuvre une capacité de durer à la mer au service du règlement d'une crise (Côte d'Ivoire, Harmattan, 2011).

Pour pouvoir mener de telles missions, il faut autant être capabler de mettre en oeuvre les deux groupes, aéronaval et amphibie, séparément (Baliste, par exemple) que conjointement (Harmattan). Il faut aussi être capable de regénérer les forces mises en oeuvre pour qu'elles puissent encore et toujours répondre aux demandes du politique pour gérer une crise (et cela suppose un minimum de financement pour réparer les matériels et reconstituer les stocks de munitions).

C'est pendant ces six années que les forces armées françaises, et surtout la Marine nationale, ont pu montrer leurs capacités à répondre aux demandes du politique, à remplir le contrat opérationnel du Livre blanc de 2008 et à le faire "régulièrement". Par exemple, quand le Tonnerre revient à Toulon après avoir été au coeur du règlement de la crise ivoirienne, ce n'est que pour repartir quelques semaines plus tard pour l'opération Harmattan. La Marine a pu fournir les moyens en hommes et en navires pour être présent dans les crises où la France entendait participer à leur résolution. Cela a été possible sans trop perturber les autres missions qui sont dévolues à la Marine. Par exemple, la mission Jeanne d'Arc a été menée pendant l'opération Harmattan par le Mistral. Mais elle a du être écourtée de deux semaines. Si cela peut paraître négligeable, cela l'était moins d'apprendre que le nombre de sous-marine nucléaire d'attaque est trop faible pour et protéger la dissuasion et protéger les groupes aéronaval et amphibie réunis. Il manque toujours un second porte-avions pour intervenir d'une crise à l'autre dans une période où il faut juguler une série de crises locales dans l'arc de crise. Aujourd'hui il est heureux que le porte-avions soit disponible quand il le faut : c'est une chance, et cela tient en partie du hasard. Demain il en sera peut être tout autre, et il ne faudra pas rater le remplacement des bâtiments de commandement et de ravitaillement, celui des chasseurs de mines, et l'arrivée d'un quatrième BPC car il semble difficile de se passer des services de ce genre de navire.

06 juillet 2012

La marsupialisation dans la stratégie des moyens navals ? Exemples de la lutte anti-mines et des UCAV

http://www.netmarine.net/bat/bsm/loire/photo56.jpg http://www.ouest-france.fr/of-photos/2012/03/17/brXX_2009406_1_px_470_.jpg http://www.meretmarine.com/objets/500/29595.jpg
Le bâtiment de soutien Loire. © Inconnu. Le Céphée au retour de sa mission de dépollution en Libye. © DCNS. Le principe du Système de Lutte Anti-Mines Futur (SLAMF).

La marsupialisation est un concept au nom peu commun, en matière de stratégie navale, mais qui est très bien expliqué dans l'ouvrage de Joseph Henrotin : " Les fondements de la stratégie navale au XXIe siècle". "La marsupialisation implique de considérer le bâtiment comme une plateforme disposant d'une capacité d'action et/ou d'observation qu'il peut déporter" (page 197 de l'ouvrage). Tout le concept repose dans la possibilité de déporter les senseurs et vecteurs d'un navire.

06 juin 2012

Vers un "Carrier on board Delivery" multi-missions pour le Groupe Aérien Embarqué ?


© Jason Scarborough - U.S. Navy. Un C-2 Greyhound à bord du porte-avions Charles de Gaulle pendant la guerre en Libye.
L'un des trésors actuels de la Marine nationale, c'est son groupe aéronaval. En effet, et on ne se lassera pas de le dire pendant encore 10 ou 20 ans, la France est la seule marine au monde, avec l'US Navy, à être capable de mettre en oeuvre un ou des porte-avions. Toutes les autres marines, à l'heure actuelle, et jusqu'à preuve du contraire, mettent en oeuvre, tout au mieux, des porte-aéronefs.