Par ce billet, il est proposé de prolonger la réflexion initiée par ma première collaboration avec un "agsien" (Mon Blog Défense) en novembre 2009
: " Consolidation du secteur terrestre en Europe : scénarios
possibles". Récemment, un autre allié m'a gracieusement donné quelques retours du colloque "Quelle consolidation pour notre industrie d'armement et de Défense ?"
organisé par le
Club Participation et Progrès et la Revue de Défense Nationale.
Revenons, si vous le voulez bien, sur le cas de l'industrie navale.
Trois grandes options ?
L'industrie navale européenne, en général, et française en
particulier, pourrait être restructurée selon deux ou trois grandes
hypothèses :
- l'EADS naval,
- le projet du groupe Dassault de devenir un "French BAE" à travers Thales,
- un projet alternatif qui pourrait être un groupe mi-civil, mi-militaire.
En ce qui concerne la seconde hypothèse, Thales a d'ores et déjà un
pied dans DCNS (35%) et souhaite en faire de même dans Nexter. Thales
voudrait continuer à monter au capital de DCNS, ce qui
n'enlève en rien le besoin de former une ou des alliances.
L'EADS naval
Le partage industriel est d'une particulière complexité dans
l'industrie navale par rapport à ce qui peut se faire dans d'autres
industries d'armement. Il n'est pas de ma compétence d'expliquer
le pourquoi du comment, néanmoins, quelques exemples et remarques
peuvent, au moins, illustrer cette difficulté.
Premièrement, un chantier naval est une somme de compétences
humaines comme n'importe quelle entreprise. A la remarque près qu'il y a
des compétences que l'on ne trouve que dans des chantiers
navals. Certains travaux de soudure ne se réalisent que sur des
chantiers bien précis (comme par exemple la soudure de tôles d'acier à
haute limite élastique pour les sous-marins). Le temps est
nécessaire pour acquérir ces compétences et il faut un volume de
travail continu pour les préserver et les renouveler (ceux qui ne
respectent pas cet ordre des choses ont bien des difficultés).
C'est pourquoi seuls les chantiers qui répètent les mêmes travaux
parviennent à rentabiliser ces investissements humains.
Deuxièmement, il est tout aussi difficile de partager la
construction du "flotteur", c'est-à-dire le navire en lui-même. Nous
parlons d'un EADS naval et peut être avons-nous en tête l'image des
éléments des Airbus qui transitent en Europe par la mer, la route ou
les air. Cette mobilité est difficile à reproduire dans le naval. Par
exemple, la construction des frégates La Fayette a été
modulaire, en ce sens où le navire était un assemblage de blocs
pré-armés. Et le plus gros de ces blocs atteignait 300 tonnes ! Mais il
n'est pas impossible d'échanger des blocs de bateaux entre
chantiers navals comme en témoignent les programmes Scorpène, FREMM
et BPC pour ne citer qu'eux.
Troisièmement, si la mobilité n'est pas un frein au partage des
tâches industrielles, il se heurte à la question de la rentabilité.
L'ouvrage "Les frégates furtives La Fayette" (éditions
Addim) nous apprend que c'est parce qu'il était question de
construire et le porte-avions nucléaire Charles de Gaulle et douze
frégates La Fayette que la DCN a pu investir dans de nouvelles
grues. La construction modulaire générait donc plus de gains si les
blocs étaient moins nombreux, mais donc plus lourds. C'est donc pourquoi
l'administration avait investi dans des engins de
levage ayant une capacité de 1000 tonnes. Finalement, il faut donc
avoir un minimum de volume à construire pour rentabiliser la
modernisation de l'outil. A titre d'illustration, la première La
Fayette a été construite en dix-huit mois, contre une trentaine de
mois onze années avant ce chantier pour un bâtiment de combat. Le
Courbet, troisième unité de la série, fut assemblé en six
mois...
Quatrièmement, et quand bien même nous voudrions atteindre une telle
organisation industrielle, il faudrait que les classes de frégates
soient communes. La construction modulaire n'interdit pas
de changer les senseurs et les vecteurs. A priori, si nous devions
exagérer un peu, il faudrait dire alors que le seul bâtiment en
construction entre plusieurs chantiers qui soit d'un modèle
vraiment commun est le SNA Virginia dont deux chantiers
américains se partagent la construction ou les Scorpène du temps où ils
étaient construit entre la France et l'Espagne...
Cinquièmement, même le partage des études de développement des
bateaux et l'achat de gros équipements en commun a été une source de
déceptions. Le programme FREMM en est la parfaite illustration
malheureusement. Patrick Boissier, lors de son audition devant la commission de la Défense et des forces armées à
l'Assemblée nationale en mars 2013, précisait notamment que :
- "Le programme FREMM prévoit une conception commune en amont,
et l’achat en commun de la turbine, du système de stabilisation, du
système de guerre électronique et du sonar. Ces matériels
représentant environ 10 % du coût du navire, l’opération permet
d’économiser à peu près 1 million d’euros par bâtiment".
- "Moins de 10 % du coût des études a été mutualisé, ce qui
représente une économie apparente de 50 millions d’euros pour chacun des
partenaires. En fait, si l’on tient compte du
coût supplémentaire des études spécifiques relatives aux plateformes
différentes pour chaque pays, et du surcoût lié à la coordination, le
montant économisé est ramené à une quinzaine de millions
d’euros. En définitive, grâce à cette coopération, la France
aura donc économisé environ 30 millions d’euros, soit 1 % à 1,5 % du
coût total du programme".
De ce que nous pouvons constater c'est que nous sommes passés d'un
cycle à l'autre, d'une tendance à une autre. Dans les années 90 il était
question de grands programmes multilatéraux communs,
comme la frégate NFR90 otanienne.
Néanmoins, de la fin des années 90 aux premières années 2000, le
multilatéralisme a disparu. Il est apparu que les européens ne lançaient
plus que des programmes à deux ou trois dans le domaine
naval. Par exemple, la frégate NFR 90 a donné naissance à trois
projets antagonistes :
- le programme Horizon centré sur le PAAMS,
- les frégates AEGIS européennes,
- la frégate Charles Quint entre l'Allemagne, l'Espagne et les Pays-Bas.
Surtout, ce qui a changé c'est que la coopération se fait beaucoup
plus sur les équipements et les systèmes (typiquement le PAAMS) que sur
les bateaux eux-mêmes. C'est une évolution tout à fait
étonnante car le programme de Chasseurs de Mines Tripartite (France,
Belgique et Pays-Bas) avait été une vraie réussite, même la
modernisation avait été commune (sauf la construction). Enfin, et
c'est peut être le plus contraignant, les chantiers navals européens
ont développé des solutions nationales à proposer à l'exportation.
C'est pourquoi l'EADS naval semble bien difficile à imaginer car
tant le partage industriel que la concurrence actuelle entre les
chantiers supposent... moins de chantiers. Est-ce pour cela que
les chantiers ne se lancent plus que dans des produits nationaux et
que les gouvernements ne coopèrent plus dans le domaine naval ?
Le chantier naval est-il encore facteur de la puissance navale ?
C'est la question douloureuse : qui accepterait de ne plus assembler
un navire dans son pays ? De tous les temps, quand une puissance navale
émerge c'est à partir d'un outil industriel capable de
construire les vaisseaux qui porteront ses ambitions. La mise en
construction d'unités à l'étranger n'avait alors pour but, non pas de
réaliser des économies, mais bien d'accélérer un mouvement.
C'est ce que fit en France Colbert pour hâter l'émergence de la
Marine royale comme première force navale mondiale.
Le cas du Nord de l'Europe est particulièrement central dans le débat. Dans "De la Mer et de sa Stratégie"
(aux éditions Tallandier), l'historien Philippe Masson nous retrace le
passage
du centre de gravité du monde de la Méditerranée à l'Atlantique. A
cette fin, il fallait des bateaux hauturiers capables d'affronter
l'Atlantique. Et justement, ce sont les puissances maritimes
émergentes du Nord de l'Europe qui inventèrent les vaisseaux de haut
bord : cogue, carraque, etc...
Est-ce que ces puissances maritimes sont arrivées au bout du cycle à
l'occasion du basculement du centre de gravité du monde de l'Atlantique
au Pacifique ? Si nous devions adopter cette lecture
alors cela expliquerait deux mouvements. Le premier est que un
programme comme le Littoral Combat Ship américain trouve ses racines dans les programmes de corvettes du Nord de l'Europe.
Ainsi, l'Europe du Nord serait parvenu au terme d'un cycle technologique sur le plan historique.
Second mouvement, de la Hollande à la Norvège, les délocalisations
navales se multiplient. Londres n'a pas hésité à aller faire construire
ses nouveaux navires logistiques en Corée du Sud :
quatre unités de 37 000 tonnes pour 452 millions de livres (530
millions d'euros). En France le programme FLOTLOG serait estimé à 2 milliards d'euros pour 4
unités... Et la Royal Navy n'est pas la seule : la Norvège commande
elle-aussi un bâtiment logistique en Corée du Sud.
C'est donc un revirement historique complet. Il est à modérer car
ces puissances maritimes du Nord-Est gardent un fort investissement
technologique. Mais le volume de leur flotte se réduit
inexorablement.
La survie par le sous-marin ?
Dans ce contexte, il y a ceux qui veulent survivre et il y a les
autres. L'industrie navale civile a montré que l'innovation n'avait pas
révolutionné le secteur : quand le tonnage à construire
diminue trop cela implique que des chantiers ferment. Et des
chantiers ferment à l'image de Rauma en Finlande ou de Brest qui a
tourné la page de la construction navale militaire. Autre signe que
la bataille est intense c'est la course aux commandes qui implique
de plus en plus les gouvernements.
Si bien que il convient de remettre sur le devant de la scène que
pour les industriels de la navale militaire, le graal n'est nullement la
frégate mais bien le sous-marin. La majeure partie des
bénéfices est tirée de l'activité sous-marine. Pour la construction
d'un sous-marin, la part de la coque dans le coût unitaire de production
est significativement supérieur à ce qu'elle peut
représenter pour un navire de surface. A titre d'exemple, pour le
PA2, la coque c'était 982 millions d'euros pour 2500 millions
d'investissement. Et la part du flotteur dans le coût d'une frégate
est bien moindre.
Le cas des programmes de sous-marins à propulsion classique peut
donc être éclairant sur la situation de la navale militaire européenne :
- l'entreprise
Allemande TKMS n'aurait racheté le Suédois Kockums que pour mieux le
torpiller (un comble). En obtenant le contrôle de l'entreprise, les
allemands se
donneraient les moyens d'empêcher le développement d'un nouveau
sous-marin (l'A-26) et empêcherait l'entreprise suédoise de concourir à
l'export (que les suédois doivent regretter le grand temps
du projet Viking...).
- Navantia,
entreprise espagnole avait un avenir radieux du temps de la coopération
avec la France centrée sur un sous-marin, le Scorpène, qui entamait une
carrière
commerciale plus que prometteuse. Depuis que Madrid a choisi de
nationaliser le Scorpène et de le produire sous le nom de S-80, tout va
mal. L'attente du nouveau sous-marin occasionne des
surcoûts (30 millions pour le carénage du Tramontana) et
les problèmes rencontrés dans son développement engendrent des surcoûts
non-négligeables : 200 millions d'euros. Ajoutez à cela
que Bruxelles a récemment demandé aux chantiers navals espagnols de
rembourser les subventions perçues de Madrid (3 milliards d'euros) et vous comprendrez mieux pourquoi l'entreprise ne serait pas loin de la faillite à l'heure actuelle.
-
Fincantieri, société italienne, a construit sous licence
quatre U-212 de conception allemande pour le compte de la Marina
militare. Alors que l'Italie concevait ses sous-marins. Rome
tente de renouer sur le marché de l'exportation grâce à une
coopération avec les Russes sur un sous-marin côtier de la classe des
1000 tonnes (à moins que Moscou ne fasse que piéger les
Italiens comme les américains l'ont fait avec le C-27J pour que
les Italiens se retirent de l'A400M).
- BAE Systems conçoit les SNA et SNLE au service de Sa Majesté. Néanmoins, le trou entre les classes Vanguard et Astute
a créé une telle
perte de compétences que ce sont les américains qui ont rattrapé les
Astute. BMT essaie bien de relancer un sous-marin classique de
conception anglaise pour l'exportation mais il ne semble pas
réussir à quitter les Power point. Et il y a cette affreuse affaire des sous-marins vendus au Canada.
- TKMS
vit grâce à des succés considérables (U-209 et U-212/214). Les
Allemands sont peut être arrivés au bout d'un cycle. Espagnols et
français les ont quasiment
évincé d'Amérique du Sud grâce au Scorpène, même pour la
modernisation d-U-209. L'Asie est un grand marché, mais l'est-il encore
pour les sous-marins ? La Corée du Sud tente l'aventure du
sous-marin de conception nationale après avoir longtemps acheté
allemand. Et Séoul a tenté de vendre des U-209 pour l'Indonésie. Ce qui
gêne Berlin, c'est que les coréens n'avaient la licence que
pour construire pour la marine sud-coréenne... Et la concurrence
s'annonce féroce pour les autres marchés.
- Les
Russes sont un cas à part car ils gardent un grand plan de charge
industriel, d'une part, et ils doivent restructurer un outil industriel
qui n'est pas
parvenu à maturation malgré tous les efforts entreprises depuis 10
ou 15 ans. Entre les difficultés rencontrées sur le Lada, qui devait prendre la succession des Kilo, et ce fâcheux
incendie sur un Kilo indien qui revenait d'un grand carénage en Russie, d'autre part.
Les deux "contrats du siècle" viendraient de l'Australie (12 unités) et de la Norvège (4 à 6 unités). Ce ne serait pas les seuls grands contrats. Mais ce
sont les deux prochains dans un contexte de rationalisation européenne.
France : un outil industriel exceptionnel
Au milieu de cet océan de marasme, la France rayonne. Son industrie
navale militaire, et en particulier dans le cas des sous-marins,
bénéficie de deux avantages stratégiques décisifs :
- la chaîne de production de sous-marins tourne en continue
depuis... les débuts du sous-marin en France il y a 120 ou 130 ans
(moins les années de guerre). L'alternance dans les constructions
et conceptions de SNLE et SNA permettent à l'entreprise de tirer les
bateaux vers le haut (n+1), de réutiliser ses investissements sur les
SNA et donc, de vendre à l'export ce qui est "n-1".
- La France n'a jamais cessé de vendre des sous-marins sur le
marché de l'exportation : le moindre problème de tuilage entre SNLE et
SNA pouvait être compensé totalement ou partiellement par
l'exportation.Sur
Sur un plan plus général, il convient d'être réaliste : nous
disposons d'un outil industriel exceptionnel. Il est le fruit d'un long
travail. Au début du XXe, notre outil industriel naval était
inefficace :
- quand la construction du cuirassé Dreadnought coûtait 35 milliards de livres à Londres,
- la France construisait des cuirassés pré-Dreadnought pour 45 milliards de livres.
Depuis les années 60, la productivité de l'outil s'est redressé
jusqu'aux succès éclatant des programmes La Fayette, BPC et FREMM (même
si pour ce dernier programme, l'efficacité n'a pas pu être
atteinte du fait de la casse du programme).
France : la question des capitaux
Le problème français touche, justement, les sous-marins. Nous avions
formé une alliance avec les Espagnols car Madrid pouvait financer le
coût de développement d'un nouveau sous-marin à
propulsion classique quand l'administration DCN et l'Etat ne le
pouvaient pas en France. Nous n'avions pas les moyen de financer l'après
Agosta. Il en est résulté le Scorpène.
Cette difficulté existe-t-elle encore aujourd'hui depuis que DCN est
devenue DCNS et que l'entreprise peut se constituer des fonds propres ?
L'exemple de l'Adroit montre qu'il y a peut être
espoir que l'entreprise puisse se développer "seule". Et le cas du
Scorpène était assez emblématique puisque le Chili était le client de
lancement alors que ni la France, ni l'Espagne n'avait
commandé ou mis en service ce sous-marin... Ce qui défi les "règles"
en la matière.
Quelles alliances ?
Le nein allemand
Le rapprochement naval franco-allemand est suffisamment ancien pour
être devenu un serpent de mer et constituer le coeur du projet d'un EADS
naval. Typiquement, aujourd'hui, DCNS cherche à
acquérir son concurrent allemand, TKMS. Berlin est si opposé à la
chose que le pouvoir allemand a ouvert le capital de l'entreprise à des
investisseurs du Golfe plutôt que de laisser le
Français prendre le contrôle. Quelque part, cela est peut être lié
au destin de l'électronicien naval Atlas Elektronik qui était passé sous le nez de Thales, pourtant favori, pour être
racheté par EADS et TKMS.
Le divorce franco-espagnol
La France a vendu des sous-marins de classe Daphné à l'Espagne. Elle
a ensuite transférer le savoir-faire nécessaire aux espagnols pour
qu'ils puissent assembler sur place les sous-marins de
classe Agosta acheté par Madrid. Et enfin, Français et Espagnols ont
coopéré pour concevoir ensemble le Scorpène. L'Espagne pris dans la
folie des grandeurs de ses ambitions industrielles a
préféré tourné le dos aux français pour tenter l'aventure d'un
sous-marin de "coneption" nationale avec le choix d'équipements et de
systèmes américains. A priori, l'affaire est entendue pour
DCNS qui ne semblerait pas enclin à pardonner.
Les autres ?
Les Hollandais semblent abandonner construction et conception de
sous-marins. Les Italiens n'ont plus rien conçu depuis bien longtemps .
Si les Suédois ne réagissent pas et que l'A-26 ne voit pas
le jour ils risquent également le naufrage.
Des surprises ?
Pour en revenir à l'industrie navale civile, il faut rappeler
combien le raid du Sud-Coréen STX avait été une surprise. L'entreprise
est accusée d'avoir racheté des chantiers navals européens,
autrefois détenu par (autre signe du périclitement du Nord de
l'Europe) pour piller les savoir-faires. Aujourd'hui, ses actionnaires
lui demande de quitter le continent européen : que vont devenir tout ces chantiers civils ?
Cela nous amène à deux options :
- la première est que les Coréens, et d'autres, ne se contentent
plus de construire es navires logistiques pour les marines européens
mais bien les coques de navires de combat. C'est déjà le
cas de tel ;
- la seconde option consiste à un nouveau raid d'une entreprise
étrangère en Europe pour prendre le contrôle d'un ou plusieurs chantiers
: n'est-ce pas ce qui s'était passé avec STX et les
entreprises d'armement terrestre européennes rachetées par des
sociétés américaines ?
Enfin, nous pourrions aussi assisté à des achats pur et simple de
navires de combat à l'étranger, sans même l'ombre d'une conception de
quoi que ce soit en Europe. Par exemple, les marines
nord-européennes ont développé des frégates de défense aérienne apte
à servir d'élément d'un bouclier anti-missiles. La Corée du Sud et le
Japon conçoivent bien des destroyers (Kongo et KDX-3)
aptent à la lutte anti-missile balistique.
Conclusion
Notre industrie navale est, comme le reste des industries de défense
nationale, fondée sur un amortissement des dépenses d'armement par
l'export. L'Asie nous concurrence déjà. L'Amérique va
tenter de le faire mais elle souffre de deux maux : des produits
inadaptés au marché et un manque de productivité savamment caché.
En plus de voir le marché de l'exportation se réduire par
accroissement de la concurrence (alors que les volumes devraient encore
augmenter), nous devons anticiper une réduction de la demande
européenne. Cette restructuration passera inévitablement par la
fermeture de chantiers et de bureaux d'études dans la douleur.
Nous pourrions croire que les chantiers européens qui resteront
bénéficieront donc d'une sorte de report de charge, même amoindri.
Néanmoins, comment ne pas imaginer que dans une perspective de
soutien à des politiques commerciales, l'achat de navires de combat
constitue un nouveau moyen de négociation commercial ? Dans un autre
ordre d'idée, la course à la technologie européenne dans
les navires de combat pourrait également rencontrer quelques
programmes navals "modérés" américains. Le Joint Strike Fighter illustre assez bien ce qui pourrait se produire.
Il reste la question des alliances, mais avec qui ? Les allemands
sont fuyant et un bon accord commercial pour eux, c'est un produit à 80%
allemand : du char Napoléon aux coupes allemandes
d'aujourd'hui dans les programmes internationaux, cela est assez
clair. De plus, nous ne savons pas si les autres chantiers européens
vont tomber et s'ils tomber, combien de temps cela prendra.
La surprise pourrait peut être venir de l'Angleterre si Londres se
révèle incapable de restructurer son outil naval. Un syndicat anglais
avait brandi la menace que les futurs porte-aéronefs
Queen Elizabeth soient construit et entretenus en France. Etait-ce de la pure provocation ? Néanmoins, entre les accords de Nassau et le fait que Londres reprennne le large en
cherchant à s'affranchir de l'Europe, il y a actuellement un grand pas à franchir.
Une dernière option ?
Elargissons avec une dernière hypothèse. Tout au long du XXe siècle,
notre industrie navale s'est restructurée "intelligemment". L'outil
s'est progressivement rationalisé autour de trois
chantiers :
- Cherbourg qui fabrique des sous-marins,
- Lorient des frégates,
- St Nazaire tout ce qui est plus gros qu'une frégate.
L'échec du programme FREMM illustre la difficulté française à
maintenir de grands programmes de navires de surface (ce qui était une
des leçons de l'époque colbertienne et qui est bien mise en
oeuvre aux Etats-Unis avec les destroyers Arleigh Burke). Les frégates sont construites en série car il faut maintenir toute une chaîne industrielle à Lorient. Il y aurait alors deux
autres manières de faire pour contourner la difficulté :
- externaliser
les activités de chaudronnerie à d'autres entreprises de chaudroneries ;
le chantier naval se conteraient d'armer les blocs et de les assembler
(ce
qui était un peu le cas de la construction des U-Boat pendant la
seconde guerre mondiale) ; ce qui n'est pas sans poser quelques
difficultés pratiques ; ou bien faire assembler les coques conçues
par des bureaux d'études européens par des chantiers à bas coût et
les faire armer en Europe : c'est peu ou prou le cas des bâtiments
logistiques anglais ;
- ne
plus construire les frégates en série mais en lot au sein d'un chantier
vivant de programmes civiles lui permettant de conserver tout ou partie
des compétences
sans avoir besoin de construire continuellement des navires
militaires un autre chantier préserve toute ou partie de ces compétences
sur une multitude de classes de navires. Lorient fermerait
alors au profit de St Nazaire.
La possible vente des chantiers de STX en Europe pose la question du
devenir de St Nazaire, seul chantier français capable de construire
porte-avions, navires amphibies et unités logistiques...