Quel immense plaisir de
retrouver Henri-Pierre Grolleau dans un nouveau reportage
photographique : après "Porte-avions", c'est Le
Charles de Gaulle en action qui est sa nouvelle aventure (tous
les deux parus chez Marines Editions) !
Le premier ouvrage
dépassait totalement le simple livre remplis de photographies
puisque c'était une image globale de ce qu'est la puissance
aéronavale et aéroamphibie américaine qui était donnée de
manière synthétique mais non moins précise et rigoureuse. De quoi
s'interroger sur les méthodes américaines en la matière.
Nous retrouvons cette volonté de témoigner entre les lignes, entre les images véhiculées par l'évocation de l'action de l'aéronavale française.
Dans un premier temps, les questions de flux logistiques étaient très présentes dans mon esprit de lecteur face au premier ouvrage. Ce qui explique que je suis allé directement chercher ces questions dans le cas français présenté en l'espèce.
D'une part, nous apprenons que le Rafale initie une évolution semblable à celle du F/A-18 Hornet puis du F-18 E/F Super Hornet dans l'US Navy. C'est-à-dire qu'il simplifie les postures tactiques par sa polyvalence puisque tous les appareils sont capables de remplir théoriquement toutes les missions (tant que les êtres humains aux commandes peuvent suivre). Mais aussi, nous apprenons que ses qualités intrinsèques de biréacteur moyen lui permettent de dépasser le potentiel du Super Etendard. Par exemple, par les témoignages reccueillis il est dit que le Rafale peut en certaines circonstances dispenser les appareils chargés de missions de bombardement d'une escorte aérienne tant ses capacités de chasseurs sont importantes.
La plateforme, soit le Charles de Gaulle, est lui-même une avancée spectaculaire. alors que la question du tonnage des navires est un sujet âprement disputé, nous pouvons mesurer là qu'entre les porte-avions Clemenceau et Foch et le Charles de Gaulle, il y a une rupture, un franchissement de catégorie. Par exemple, "pendant le conflit en Bosnie, de 1993 à 1996, le Clemenceau et le Foch se sont relevés quasi sans discontinué en mer et, avec un GAé à 35 avions, nous avions alors généré environ 1500 sorties opérationnelles en trois ans, essentiellement de jour" dixit le capitaine de vaisseau Aymard (p. 48). Et de ce constat, il le compare à l'opération Harmattan : "en Libye, avec 18 chasseurs et Hawkeye seulement, ce sont 1573 sorties qui ont été effectuées, de jour comme de nuit, en un peu plus de cinq mois".
Nous pouvons vérifier la
maxime maintes fois répétées dans la Royale : avec les Foch et
Clemenceau nous avions les plus grands des petits porte-avions, avec
le Charles de Gaulle nous avons le plus petit des grands
porte-avions.
Allons plus loin : ce
résultat combine une plateforme pensée pour soutenir une telle
salve avec un appareil polyvalent et des multiplicateurs de force
comme le E-2. Mais le tonnage est-il le seul paramètre ? Il n'est
pas certain que l'Inde, la Russie et la Grande-Bretagne puissent sur
le papier témoigner des mêmes capacités même si les instruments
sont volumineux.
Il y a la question de l'escorte puisque le porte-avions, à l'instar du char de bataille ou d'avions ravitailleurs, de contrôle ou de guerre électronique, doit être éclairé, épaulé dans la lutte dans tous les milieux et défendu. Justement, nos frégates ont toutes augmenté de tonnage lors du changement de génération de la Flotte. C'est expliqué dans l'ouvrage d'Henri-Pierre Grolleau par la nécessité qu'ils puissent suivre le Charles de Gaulle et son éternel frère en attente de gestation : le R92 Richelieu. Ce qui suppose de l'endurance à hautes vitesses.
La question de la propulsion nucléaire est centrale. Outre les aspects de sûreté nucléaire, elle est intéressante quand elle est reliée à la question logistique : "alors que les besoins du Clemenceau et du Foch s'élevaient à 1 000 tonnes de mazout tous les trois jours, un ravitaillement par semaine est amplement suffisant pour le Charles de Gaulle". Constat maintes fois répété depuis les essais à la mer du porte-avions nucléaire et pourtant il est trop vite oublié. Les unités navales des escadres, en particulier les grandes, dimensionnent les flux logistiques. Aujourd'hui, la propulsion nucléaire les réduit, ce qui est rare une réduction. La place gagnée à bord permet au porte-avions d'être plus endurant pour les missions aériennes qu'il projette : plus de munitions, plus de carburant.
Justement, il se profile à l'horizon de 2016 la refonte à mi-vie du Charles de Gaulle. 1600 millions d'euros seraient sur la table. Nous n'apprenons pas dans cet ouvrage les options qui sont sur la table. Mais nous apprenons bien que la sortie du service des Super Etendard permettra d'amener la fin de l'évolution Rafale : simplification du soutien des avions par la création d'un fux unique de maintenance "Rafale". La logistique s'en trouvera transformé, comme cela a été le cas aux Etats-Unis avec les Hornet et Super Hornet (voir le précédent livre de Pierre-Henri Grolleau).
Mais les américains ont aussi réalisa cette évolution pour les hélicoptères. Là, vous ne manquerez pas de trouver un patch mémorable dans les pages consacrées à l'Alouette III : "Jurassic Flight". Cela veut tout dire sur la place à bord de cet appareil. Le NH90 devrait venir simplifier la situation existante. Cependant, faute de budget, il n'est pas sûr qu'il devienne la machine unique du GAn.
Par contre, le NH90 va produire un saut capacitaire analogue à celui du Rafale. En terme de capacités offensives, il sera intéressant de suivre s'il sera équipé de son kit ASM à bord du GAe, ce qui démultiplierait les possibilités tactiques. De l'autre côté, les possibilités logistiques seront élargies grâce à son autonomie et sa puissance (notamment pour les VTREP). Avec à la clef, encore une fois, une simplification des circuits logistiques.
Relevons cette petite surprise pour moi : le rôle de l'Atlantique 2 dans le circuit logistique, capable d'aérolarguer des colis urgent pour le GAn. Décidémment, c'est vraiment un pilier de la puissance aéronavale française. Entre les NH90, le Puma de l'Armée de Terre et autres, nous comprenons mieux comment la Marine nationale parvient à remplacer dans les faits un avions logistiques de porte-avions comme le C-2 Greyhound de l'US Navy.
Enfin, nous pouvons comparer les structures américaines et françaises. Là où les américains transposent dans les tructures des unités des manières de projeter la puissance, les français sont plus modulaires. A vrai dire, l'aéronavale française semble plus se rapprocher de l'USMC que de l'US Navy, en ce sens où le groupe aérien embarqué français est comme celui des Marines, modulé à la mission, quand ceux de l'US Navy sont standardisés pour optimiser les flux. La partie française est tellement libre que les éléments amphibies français ne sont pas consacrés par une grande structure comme l'USMC, au demeurant.
Autant de considération qui révèlent l'importance cruciale des flux logistiques pour alimenter cette base aérienne mobile capable de parcourir 1000 kilomètres toutes les 24h et de durer à la mer. Entre 2010 et 2011, le Charles de Gaulle a été en mer presque 10 mois sur 12, réalisant deux opérations majeures (Agapanthe et Harmattan). C'est donc un outil de diplomatie navale qui continue à monter en puissance.
Beaucoup de choses sont encore à relever dans cet ouvrage, mais laissons-en un peu au lecteur. Pour finir, releveons que la montée en puissance des NH90 et Rafale entraîneront le GAn vers une puissance aéronavale encore accrue. Les travaux réalisés en 2016 lors de la refonte à mi-vie seront un cas pratique majeur du niveau des ambitions françaises pour cet élément de nos capacités de projections.
En attendant, les deux livres d'Henri-Pierre Grolleau (Porte-avions et Le Charles de Gaulle en action parus chez Marines Editions) seront de beaux cadeaux pour tous les passionnés.
Mais notre auteur continuera-t-il à visiter les puissances aéronavales ? Après ira-t-il en Inde ? En Russie ? En Chine et au Japon ? Pourra-t-il embarquer à bord du Queen Elizabeth ?
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