© Inconnu.
Le
ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a récemment fait part de
son sentiment quant à la
création, dans un proche avenir (“demain”) d’une quatrième armée
cyber. Au même titre que l’Armée de terre, la Marine nationale et
l’Armée de l’air, l’Armée de cyberdéfense serait donc pourvue de
structures organiques et fonctionnelles, d’un état-major et de
prérogatives particulières. Une possibilité pour le moins étonnante du
fait d’une distribution et d’une intégration des différents
acteurs de la cyberdéfense au sein des structures militaires
actuelles. Cet article cherche à comprendre la réalité d’une telle
évolution ou si les propos du ministre ne sont pas, pour
l’essentiel, qu’un habile “coup de com”.
Fort logiquement, le ministre a mis en exergue les menaces qui pèsent tant sur le fonctionnement de la France : « Ce
que je voudrais vous dire, c’est que les risques concernant le
démantèlement ou la pénétration de nos systèmes informatiques sont de
plus en plus réels. C’est une menace contre le fonctionnement de notre
pays. Il suffirait de s’introduire dans le dispositif qui organise
l’électricité ou qui organise le système ferroviaire pour entraîner une
perturbation très lourde« . Ce constat qui a pour corollaire les conséquences de telles capacités si elles visaient l’appareil militaire français : « Mais
ça peut aussi avoir des conséquences sur notre système de commandement
et d’armement. Donc il faut s’organiser désormais pour lutter contre les
cybermenaces. Lorsqu’il y a eu la loi de programmation militaire
antérieure […], cette question n’était quasiment pas vraiment posée.
Depuis cinq ans, on assiste à des menaces, à des tentatives que ce soit
par des États ou des groupes terroristes« .
Un espace complexe et inhabitable par l’homme
Sommes-nous face à une évolution
nécessaire de la Défense nationale comme semble le sous-entendre le
ministre de la Défense ? Remarquons que l’affaire est complexe. Si
l’Armée de Terre a vu réduire ses missions de sécurité intérieure a une
force d’appoint en cas de crise intérieure, la Marine est plus proche de
cette idée de continuum. Insérée dans l’Action de l’État en Mer
(A.E.M.), la Marine nationale intervient aux côtés de six autres
administrations pour faire respecter la souveraineté française sur les
eaux territoriales et les zones économiques exclusives.
Cette organisation complexe est
justifiée par la diversité des intervenants et aussi la confusion des
acteurs en mer où l’on peut rencontrer aussi bien le commerçant que le
pêcheur et le militaire. Tandis que, à terre, les missions de sécurité
intérieure relèvent des services concernés du ministère de l’Intérieur
sans interférence des armées.
Dans le cyberespace, nous retrouvons
cette complexité et cette confusion des acteurs. Les États sont autant
présent que les tiers. Le cyberespace, comme l’Océan, est un milieu que
l’on peut qualifier de fluide, par opposition aux espaces solides, selon
le concept présenté par Laurent Henninger [2]. “Lisses, isomorphes et
inhabitables par l’homme” sont bien des caractéristiques applicables au
cyberespace qui en font un milieu à part où les actions de force,
techniques et technologiques, nécessitent une arme ou une armée
matérielle. Ainsi Olivier Kempf remarquait [3] que les caractéristiques
du cyberespace, tant par ses couches (matérielle, logique et sémantique)
que par ses acteurs (l’intervention des tiers) créent des conditions
d’opacité qui permettent l’offensive stratégique. Dans cette optique,
l’apport des moyens offensifs dans le cyberespace, peut être plus encore
que les forces spéciales, les moyens de guerre électroniques ou toute
autre capacité de renseignement et d’action véhiculées par les trois
armées servent aux offensives parfois discrètes mais bien réelles de la
France. Dès lors, les conditions de création d’une armée cyber dédiée
sont-elles réunies ?
L’apparente logique d’institutionnaliser le cyber par la création d’une armée dédiée
Cette place grandissante du milieu cyber
justifierait, pour le ministre de la Défense, la création d’une
quatrième armée spécifique à la cyberdéfense (comme peuvent l’être les
autres armées -de terre, de mer et de l’air). Loin d’être un ballon
d’essai, s’agirait-il alors d’une conviction profonde de M. Le Drian ?
Conviction personnelle, libre et hors agenda dans ce cas car aujourd’hui
rien dans la loi de programmation militaire ou le pacte Défense Cyber
[4] n’évoque un tel projet.
Du point de vue de la communication,
l’idée est belle et séduisante. D’un côté, elle évoque une construction
historique apparemment simple et logique : puisqu’il y a un milieu cyber
source de conflictualités qui menace notre sécurité par des menaces
extérieures, alors il (lui) faut une réponse sérieuse (comme aurait pu
dire Napoléon). La création d’une armée apte à lutter dans ce milieu est
cette réponse. Une idée simple et efficace à présenter aux citoyens, ce
que semble faire le ministre : « Donc il faut se prémunir. Et c’est
pourquoi, dans la loi de programmation […], il y a sur toute la période
un milliard d’euros consacrée à la lutte contre les cybermenaces et pour
assurer notre cybersécurité. C’est la menace de demain. Demain, je
pense qu’il y aura quatre armées : terre, mer, air et cyber. Parce que
c’est un enjeu« .
Dans les faits, nous n’irions pas vers
la création d’une quatrième armée. Le verrou budgétaire limite les
marges de manœuvre, au moins jusqu’au prochain quinquennat, donc les
capacités à traduire l’innovation dans les structures existantes.
Ensuite, les chaînes fonctionnelles et opérationnelles actuelles
semblent donner satisfaction. Enfin, les gains espérés par cette
création qui déstabiliserait l’existant (qui fonctionne) introduirait
des contraintes organiques supérieures aux avantages espérées.
Finalement, la sortie du ministre de la Défense est habile : continuer
de marteler que la France a pris la pleine mesure de la menace cyber et
s’est organisée en conséquence, marquer les esprits en faisant coup
double puisque s’adressant autant aux citoyens qu’à nos adversaires,
faire détourner le regard des difficultés croissantes [5] auxquelles nos
troupes engagées sur plusieurs théâtres d’opération sont confrontées.
[1] http://www.rtl.fr/actu/societe-faits-divers/cyberguerre-au-c-ur-de-la-quatrieme-armee-7774738194
[3] “Introduction à la cyberstratégie”, Economica 2012
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire