C'est un ouvrage discret qui a croisé ma route et pourtant il traite
d'un sujet si fondamental, hier comme aujourd'hui, il aborde tant de
points importants, qu'il est très surprenant de ne pas le
croiser plus souvent.
L'enseigne de vaisseau Le Hunsec vient nous parler de diplomatie
navale, c'est-à-dire l'utilisation politique de la Flotte dans une
stratégie d'influence. Non seulement il fait cela mais en plus
il s'intéresse au Golfe de Guinée depuis 50 ans (le cadre
géographique de l'ouvrage s'inscrit du Sénégal à l'Angola). Et à partir
de là, il avait évoqué la présence navale française dans cette
façade de l'Atlantique Sud qui "comme la souligné Hervé
Coutau-Bégarie [Géostratégie de l'Atlantique Sud], cet espace est peu
étudié : l'Atlantique nord, la Méditerranée, l'océan Indien et le
Pacifique monopolisent toute l'attention et la réflexion, tandis que
le cinquième théâtre, l'Atlantique sud, est négligé". L'éloigement des
centres de puissance de l'hémisphère nord explique
cette hiérarchie" (p. 16).
Dès lors, l'auteur nous relate pourquoi et comment l'Atlantique Sud
est une zone de premier ordre ou non. Avant l'ouverture du canal de
Suez, c'est une zone importante car il s'agit d'une artère
maritime majeure entre l'Océan Indien et la zone euratlantique.
Cependant que l'ouverture du canal de Suez en 1869 fait perdre tout
intérêt à la route et ses positions clefs (de Dakkar à St
Hélène). "Le Cap cesse d'être le "promontoire du monde" comme
l'appelait le géographe et géopoliticien Halford J. Mackinder." (p. 16).
Mais la fermeture temporaire du canal de Suez (1967-1974) du
fait de la guerre des Six jours puis l'impossibilité pour certains
navires, du fait de leur gabarit, de l'emprunter, réorientent les
priorités sur une route qui demeure stratégique, la présence
croissante de l'URSS dans les parages de l'Afrique centrale le
confirmant pendant la Guerre froide. Et au passage, quel exemple concret
de l'importance d'un flux maritime mondial qui peut se
restructurer complètement et bouleverser la projection des forces.
En ce qui concerne la France, nous retrouvons une situation où
s'entremêle plusieurs époques, de la colonisation à la décolonisation en
passant par le conflit Est-Ouet. L'auteur nous relate ainsi
le passage de la première à la seconde tout comme la présence
française dans le cadre de la Guerre froide en Afrique et en particulier
dans le Golfe de Guinée.
Ainsi, la diplomatie navale est l'instrument majeur de la France
dans le Golfe de Guinée car la géogaphie y invite : les Etats côtiers y
possèdent de larges façades maritimes et les populations
se concentrer sur le littoral. Dès lors, montrer le pavillon et
entretenir les alliances sont le creuset de la diplomatie navale
rançaise.
Nous prenons plaisir à voir l'importance capitale de Dakkar comme
point d'appui de la Flotte. "Le projet de création d'un point d'appui de
la flotte et d'un arsenal maritime date de 1884-1885. il
résulte du contexte de rivalité anglo-française qui culmine lors de
la crise de Fachoda en 1898." (p. 43). L'EV Le Hunsec nous raconte
depuis l'histoire de Dakkar dans le dispositif des bases
avancées françaises qui aura autant d'importance stratégique que
Brest, Toulon et Mers El-Kébir au sortir de la seconde guerre mondiale.
Mais dès les années 70, c'est un point d'appui hautement
contesté dans le cadre entremêlé de la décolonisation et du conflit
Est-Ouest. Lors de la révision de ce dispositif sous les présidences
Sarkozy et Hollande, le débat demeure !
Malgré cela, le dispositif naval français dans la zone considérée
s'articule historiquement autour de trois grands déploiement navals :
Sargasses, Okoumé et Corymbe. Si la première s'inscrit dans
le contexte de la décolonisation, la seconde l'est dans celui de la
manifestation du conflit Est-Ouest en Afrique quand la dernière émerge
avec la terminaison du conflit Est-Ouest. "Marquant une
profonde rupture avec les missions de l'ère précédente, les Corymbe
constituent une réponse à une situation de crise. Auparavant, les
missions Sargasses ou Okoumé n'étaient pas conjoncturelles.
Les premières étaient entreprises en dehors de tout cade
opérationnel, les secondes destinées à maintenir un niveau opérationnel
élevé face à la menace soviétique mais sans réels buts
d'intervention. L'objectif et les déploiements réalisés dans le
cadre géopolitique né de la fin de la Guerre froide est toujours de
marquer une présence mais désormais avec le souci
d'intervenir." (p. 193)
Pour finir et inviter le lecteur intéressé à se plonger dans
l'ouvrage, il peut être intéressant de citer le Vice-Amiral Magne qui en
rédige la préface : "Appuyé sur un travail de recherche
exemplaire, exploitant au mieux les possibilités actuelles d'accès
aux archives, y compris celles de périodes récentes, cette enquête sur
la présence navale française dans le golfe de Guinée
s'est révélée passionnante. L'immersion dans les expériences, les
réflexions et les conclucions de tant d'officiers de marine, dont
certains me sont connus, m'a en effet permis de vérifier de
façon concrète la cohérence de la pensée développée au sein de la
Marine nationale au fil des générations. [...] La question préoccupante
et récurrente de la sécurité des pays de la façade ouest
de l'Afrique est au coeur de mes préoccupations quotidiennes de
sous-chef d'état-major chargé des opérations à l'état-major de la
marine. Elle n'a pas fondamentalement changé en cinquante ans. On
retrouve, en lisant cet ouvrage, les mêmes préoccupations, les mêmes
incertitudes, les mêmes réalités et les mêmes tendances qu'aujourd'hui.
On y découvre aussi certains signes annonciateurs des
crises actuelles." (p. 5)
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