Crédit : inconnu. Représentation du concept de Sea basing.
Le
débat sur ce blog est enfin né. Je ne sais pas comment, mais force est
de constater la chose. Les évènements en Libye y sont pour quelque chose
puisque ce sujet va traiter d'une proposition pour la flotte amphibie
de demain, et notre point de départ est le soutien logistique des
porte-avions français. Je vais donc reprendre tout ou partie des
éléments apportés par les lecteurs de ce blog. Toutefois, je crains
d'user de mon pouvoir discrétionnaire d'administrateur en synthétisant à
ma manière l'ensemble de la proposition.
A
l'occasion, je pousse aussi l'idée que, quand il est temps de débattre
du renouvellement, il faut le faire dans un cadre large. On ne peut pas
parler du renouvellement de la flotte amphibie sans parler de toute la
flotte amphibie : de l'EDA-R au BPC en passant par le BATRAL : ces
programmes doivent bénéficier d'une vision d'ensemble et les documents
budgétaires ne semblent pas traduire cette hauteur de vue.
De la
même manière, un des intérêts du comité directeur de la fonction
garde-côtes, c'est de forcer à construire un dispotif cohérent autour de
la protection des zones économiques exclusives (ZEE).
Pourquoi le Sea basing ?
L'ensemble
des propositions que vous allez découvrir m'ont obligé à prendre de la
hauteur. Au fur et à mesure que les lecteurs proposaient leurs idées
pour les capacités amphibie françaises, celles-ci semblaient très bien
s'imbriquer.
Qu'est-ce
donc que le Sea Basing ? Ce concept, c'est pousser la puissance navale à
son paroxysme. La domination de la mer, seule, ne peut emporter la
décision dans une guerre. Soutenir le contraire est parfaitement
illusoire car, et heureusement que les travaux universitaires existent,
il faut et il suffit de se souvenir que le blocus continental de
Napoléon au temps du Ier Empire était une idée fort originale. Elle
était aussi l'aveu qu'il n'était pas possible de dominer les mers. Hors,
il a été constaté que ce blocus continental a considérablement
développé l'industrie et le commerce sur le continent européen. La Royal
Navy dominait les mers, mais cet état de fait ne suffisait pas à faire
plier l'Empire, bien au contraire... L'Angleterre avait encore la
maîtrise des mers au XXe siècle, par deux fois face à l'Allemagne.
Cependant, les allemands ont montré leurs capacités d'adaptation et les
ersatz sont nés. C'est ainsi qu'est apparu le plexiglas. Il ne suffit
pas de couper la terre de la mer pour faire succomber celle-ci car
l'économie se transforme et survit, plutôt bien parfois.
Pour
emporter la décision, il faut donc agir contre la terre avec toute la
souplesse et la flexibilité offerte par la mer. Corbett est très fort
pour schématiser cette nécessité, je vais tenter d'expliquer à ma
manière ce qu'il m'a enseigné. Le blocus naval n'est que l'illustration
de la maîtrise de la mer par une puissance. Pourtant, cet effet ne
suffit pas à emporter la décision et le conflit peut s'éterniser
longtemps. Il faut donc battre la terre dans son élément. Il faut donc
amener une force terrestre par voie de mer et c'est là que tout se
complique. La mer est un milieu difficile d'accès pour l'homme, il faut
une organisation rigoureuse pour durer dans cet élément, que ce soit au
sein même du navire ou entre navires. Il faut bien noter que pour amener
une force terrestre sur un rivage, il faut sécuriser celui-ci et
maintenir un certain nombre de navires au large pendant un temps.
Inutile de nommer "x" ce temps car il est bien complexe :
- il couvre le temps nécessaire à la sécurisation de la zone,
- le temps de débarquement des forces et de leur soutien.
Pour
durer aussi longtemps, il faut donc une flotte logistique. Cette
dernière ne sert pas que la flotte amphibie mais elle est la clef du
succès de ces opérations, elle est le liant de bien des flottes au sein
de la Flotte.
Le
problème du temps est essentiel puisqu'il explique, quelque part, le
concept de Sea basing. Pour soutenir une opération dans une contrée
éloignée, il y a deux solutions :
- ou agir par voie de terre en sollicitant des pays riverains ;
- ou agir uniquement par voie de mer : le Sea basing
Ce
n'est pas un hasard si ce concept est né aux Etats-Unis. Ce n'est pas
parce que les Etats-Unis d'Amérique ont la suprématie militaire qu'ils
peuvent réflechir à de tels concepts. Justement, c'est parce qu'ils ont
ce statut de suprématie qu'ils développent un tel concept. Joseph Joffe
explique bien la chose dans Hyperpuissance : la stratégie étasunienne
est de se débarrasser des servitudes stratégiques. Ces dernières sont
développés par d'autre puissance afin de diminuer la capacité de
décision de la première puissance. Donc, quoi de mieux que d'agir
uniquement par voie de mer afin de ne pas se compromettre ? Pour vaincre
la terre, sans se corrompre avec elle.
DCNS BRAVE.
Comment se structure le Sea basing ?
Le
concept de Sea basing est donc une réponse à une problématique
"lourde", d'une grande puissance, du seul Super-grand. Ce concept doit
permettre d'organiser une base flottante avancée, celle-ci devant
soutenir des troupes à lancer contre la terre. Cette volonté nécessite
un ensemble de capacités : un appui aéronaval pour faire de l'appui-feu,
débarquer des troupes, ainsi qu'un appui logistique. Ce sera bien
entendu un savant mélange de transport par voie de mer ou par voies
aériennes, de la base avancée à la côte.
Le
Sea Basing, c'est donc un concept très logisticien qui doit permettre
d'organiser cette base flottante avancée pour réunir les hommes et les
matériels avant leur dernière projection au combat.
Là où est le
coeur du problème, c'est bien entendu la structuration de cet ensemble
de forces au large. Il est déjà bien complexe de ravitailler une escadre
au large, alors, rassembler des forces terrestres et les "conditionnés"
dans des chalands de débarquements prêt à être envoyés au front, c'est
un peu plus compliqué. On peut bien sûr imaginer que les premières
forces seront prêtent à l'emploi. Certes, mais, les premières vagues
d'assaut devront prendre appui sur la terre. Pour exploiter, il faudra
bien percée et alimenter cette percée. Le problème se posera quand il
faudra conditionner et envoyer les forces d'exploitation au combat car,
si l'on se souvient bien du cadre, il n'y aura ni bases terrestre ou
aérienne à proximité des zones de combat, tout transitera par la mer.
Un Sea basing français ?
Quand
la planche à billet vert tourne, les américains fourmillent d'idées.
C'était le cas en URSS : abreuver des ingénieurs plein d'imagination en
crédit budgétaire, c'est ne plus avoir de limite à cette imagination.
Avec une pléïade de navires spécialisés, d'hovervraft et d'hélicoptères
lourd, voir avec la fameuse M.O.B., alors oui, le Sea basing
fonctionnera peut être un jour aux Etats-Unis.
Cependant, il
n'est peut être pas utile d'en arriver à ces "extrémités" en France pour
inscrire ce concept dans notre doctrine amphibie. Il est peut être
possible avec nos modestes moyens de transcrire le Sea basing dans notre
action.
Test d'embarquement de LCAC à bord du BPC Mistral ou Tonnerre.
Le radier : la liaison inter-navire du futur ?
Le
problème du Sea basing c'est de faire transiter des charges lourdes
entre navires. Les Etats-Unis semblent vouloir régler le problème grâce à
des plateformes navales spécialisées : barges, navires dédiés... etc.
En
France, le problème pourrait être contourné avec la généralisation du
radier. Cet élément de coque est le moyen le plus pratique pour déployer
une embarcation amphibie et faire embarquer à son bord hommes et
matériels. La méthode est plus rapide à mettre en oeuvre que le
déploiement sous bossoir (technique qui n'est pas à exclure).
Le
radier pourraît être ce liant commun entre les navires de la Flotte, il
permet d'échanger rapidement des charges lourdes et encombrantes. A
cette fin, il faudrait que toutes les "unités majeurs" en soit dotées.
Cela suppose de définir ce qu'est une "unité majeur" et un projet de
marine à long terme pour que toutes les unités nécessaires au sea basing
en soit dotées. Cela suppose aussi une grande standardisation puisque
le liant commun, ce n'est pas seulement le radier, c'est aussi un
ensemble de normes qui détermineront la taille possible du ou des
chalands.
Il faut aussi noter
que l'on dévie un peu du concept américain. Cet éventuel Sea basing
français est avant tout logistique, puisqu'il doit permettre à l'escadre
de tenir la mer longtemps. Le concept américain est lui aussi un
concept logistique avant tout, mais il ne vise pas à entretenir les
forces navals en premier lieu. Dans le cas français, l'acheminement de
force est secondaire. Cette différence d'interprétation vient d'une
nécessité stratégique que connaissent les marines de deuxième et
troisième rang (dans la classification de Coutau-Bégarie) : pour tenir
la mer, il faut une flotte logistique. La France n'a pas les moyens
d'avoir la flotte logistique rêvée. Elle peut par contre enchevêtrée les
flottes logistiques et amphibie afin qu'elles soient complémentaires.
Le BRAVE de DCNS relève de cette logique où le navire proposé doit, par
ses importants volumes inhérent à une grande unité logistique, permettre
l'emport éventuel de forces.
Il faut donc concevoir un système
où il faut que l'escadre tiennent la mer face à une position et qu'elle
puisse être ravitaillée à cette fin, et que l'offensive terrestre puisse
être soutenue :
- le groupe
aéronaval doit être ravitaillé. Les offensives en Libye montrent que les
stocks de munitions s'épuisent très vite pour des marines conçues pour
le temps de paix "contraint".
- le groupe amphibie doit devenir
une passerelle de transit : les troupes de marines ne seront plus que
les ouvreurs d'un théâtre, l'Armée de Terre devant fournir les troupes
d'exploitation.
Cela suppose deux types de chalands :
- les légers, c'est-à-dire, les "classiques",
- les lourds, comme les EDA-R.
La composante amphibie secondaire : BATRAL-NG, la nécessité d'un cargo rapide
En
tout premier lieu, il faut donc cette généralisation du radier sur les
"unités majeurs". Il faut entendre par là les BPC et les futurs navires
de la flotte logistique. Mais il faut aussi entendre les futurs BATRAL
Je
ne sais pas encore s'il faudrait, dans l'idéal, doter toutes les
frégates de combat d'un radier afin de les ravitailler très rapidement :
le ravitaillement à couple restera peut être la méthode la plus
économique à ce niveau là du théâtre d'opération.
Le
porte-avions doit pouvoir être ravitaillé à la mer, que ce soit en
liquides ou en vracs pour le navire lui-même ou le groupe aérien. Le
ravitaillement des combustribles par pétrolier-ravitailleur est
certainement la solution la plus adaptée. Par contre, l'affaire se
complique pour soutenir le groupe aérien embarqué en pièces de rechange.
Par voie des airs ? Il faudrait des appareils lourds comme des avions
cargo (C-2 Greyhound) ou des hélicoptères de transport lourd.
Le
commentateur Tomate propose de prendre le problème autrement : et
pourquoi pas ravitailler par la voie des mers également le groupe
aéronaval en matériels ? C'est le moyen le plus économique de le faire,
et cela redonnerait une grande place à la composante secondaire de la
force amphibie. Il propose ainsi un LCAT modifié, plus lourd (3 ou 400
tonnes) pouvant rejoindre rapidement la zone d'opérations, et d'une
construction suffisamment économique pour être que ces unités soient
réparties dans plusieurs points d'appui français (ce qui suppose que ces
points soient ravitaillés ou pourvu de stocks). Ainsi, il vise une
version française du HSV américain.
Crédit : inconnu.
Dans
cette idée, je proposerais que ces navires remplacent les BATRAL avec
un petit radier, et là je rejoins Roland Ulysse qui propose de
s'inspirer de l'Absalon danoise. Je suis séduis par le tonnage de cette
unité, par le grand volume de matériel que cette unité pourrait
emporter. Mais, il faudrait que dans son idée, c'est-à-dire d'utiliser
une coque de FREMM pour réaliser un petit TCD, soit d'une acquisition
suffisamment économique.
On parle d'une divergence de vue entre des LCAT à 400 tonnes et des FREMM Absalon à 5 ou 6000 tonnes !
Ce
navire serait un cargo "rapide" pouvant charger dans un port le
matériel à apporter à l'escadre. Ce BATRAL-NG, si j'ose dire, devra
posséder un radier, car les chalands qu'il embarquera permettront
l'échange du fret entre les navires de l'escadre. Même avec le
porte-avions : pourquoi ne pas faire en sorte que les chalands soient
hissés à bord du navire-amiral par les bossoirs ? Ce BATRAL-NG serait le
lien entre les bases navales et les points d'appui et l'escadre. C'est
lui qui permettrait aux flottes de tenir la mer.
La vitesse étant
plus ou moins nécessaire, selon le rayon d'action de cette unité et la
nécessité de ravitailler vite, ou non, l'escadre (ou de faire plus ou
moins de rotations dans la semaine).
Un
autre avantage à ces BATRAL-NG serait de pouvoir faire des rotations
afin d'apporter hommes et matériels aux BPC. Ces "frégates Absalon
françaises" pourraient tout aussi bien lancer elles-mêmes leurs chalands
à l'assaut des plages, certes. Mais il faut distinguer le soutien
logistique aux BPC eux-mêmes et la manière dont il faudra acheminer
hommes et matériels sur les plages : pourra-t-on les héliportés depuis
ces BATRAL ? Il faudrait alors avoir assez d'hélicoptères, en plus de
ceux sur les BPC. Pourra-t-on utiliser les chalands des BATRAL ? Il
serait peut être plus "sûr" d'utiliser les EDA-R des BPC.
L'imbrication
est complexe puisque ces BATRAL-NG seront à double finalités
stratégiques : servir dans la fonction garde-côtes la plupart du temps
et ravitailler une force navale en temps de crise. Ils seront aussi les
premiers à agir, ou presque, dans les opérations humanitaires.
Une flotte logistique à deux niveaux
Cependant,
ce navire proposé ne saurait suffire à la tâche puisqu'il faudrait que
le lieu de l'action soit dans une "région d'action française". Il n'est
pas question de faire des traversés de l'Atlantique à un BATRAL, même
"NG"1. Les futurs "gros" navires logistiques auront ce rôle
dans le concept de Sea basing français, la distribution du fret est à
conserver entre les deux types d'unité logistiques (et amphibie).
Le
"grand navire logistique" restera nécessaire pour abriter les ateliers
d'entretien, des installations de commandement et transporter les
combustibles. Le pétrolier-ravitailleur devient une base avancée qui
aura moins vocations à quitter l'escadre, sauf pour ravitailler en
liquides.
Serait-il possible que le futur navire logistique soit
la base de répartion avancée des Rafale ? Cela supposerait le grand
exploit de déplacer un Rafale en maintenance lourde du porte-avions vers
le navire-atelier. Face à la difficulté, il ne faut peut être pas
écarter l'idée. En effet, cela reviendrait à alléger encore une fois le
porte-avions : le Charles de Gaulle n'a plus vocation à être un centre
de commandement, c'est le rôle des BPC. Si jamais il n'avait plus à
effectuer la grosse maintenance des Rafale, et que ce soit le rôle du
navire-atelier, ce serait une nouvelle manière de l'alléger. In fine, le
prix des futurs porte-avions seraient moindre, comme le tonnage de ces
navires et les réductions de coûts seraient envisageables (moins de
tonnage, moins de propulsion).
Ce qui revient à dire que les futurs navires logistiques ont bien vocation à prendre une grande valeur stratégique.
Ces
navires ne risqueront pas d'être redondants mais complémentaires car il
n'est pas certain que la Marine reçoive assez de navires logistiques.
Il sera plus aisé qu'elle réussisse à obtenir de nouveaux BATRAL dont la
construction est très économique, tout comme la présence outre-mer est
très appréciée.
Une composante amphibie tertiaire ?
UT527. Notez le radier.
Je
tends à considérer que le futur navire de BATSIMAR, du moins celui qui
répond le mieux aux objectifs de ce programme, c'est l'UT 527 de
Rolls-Royce Marine : lutte anti-pollution, remorquage de navire en
difficulté, armement de souveraineté (pièce d'artillerie, Exocet,
etc...), patrouille hautière, et un petit radier. Le concept français de
Sea basing s'appliquerait bien pour soutenir ce navire, véritable
sentinelle de la Flotte. L'emport, éventuel, d'un chaland, pourrait lui
permettre d'intervenir dans des crises humanitaires ou de déployer
discrètement une force commando sur un littoral peu protégé.
L'installation d'un radier est d'ores et déjà prévu, alors, il vaut
mieux concevoir un rôle à ce navire.
Proposition pour le Sea basing français
- 2 (ou 3) porte-avions ;
- 4 BPC ;
- 4 à 6 unités logitiques ;
- 5 - 10 BATRAL-NG (selon le tonnage désiré : 400 ou 6000 tonnes).
- 20-25 UT527
Notons
que les TCD sortent de la nomenclature de la flotte puisque les
BATRAL-NG, sortent de "petit TCD" sont là pour amener continuellement
les volumes nécessaires aux opérations.
Cette composition devra
faire l'objet d'un savant saupoudrage entre le nombre, nécessaire pour
entretenir une permanence à la mer, et le tonnage individuel des navires
pour être efficace. Dans une telle configuration, il peut être proposé
d'avoir des unités logitiques moins ambitieuses que prévues. La taille
des BATRAL-NG dépendra des besoins nécessaires pour ravitailler les
navires à la mer selon la proximité du point d'appui.
Cette
organisation serait à même de faire tenir la mer au Groupe aéronaval
face à la Libye car le ravitaillement en vracs, liquides, munitons et
pièces de rechanges seraient assuré. Les navires pourraient bénéficier
de réparation sommaires à la mer.
1
Je souhaitais dire qu'il était peut être peu rentable de se servir d'un
navire logistique de 6000 tonnes en inter-théâtre alors qu'on aurait
des unités logitisques de 20 ou 30 000 tonnes. En temps de transit,
c'est bien plus intéressant d'utiliser une grosse unité par rapport à la
charge transportée.
Je ne voulais pas dire que je doute de la faisabilité du transit...