Le
4 février 2020 a été publié un communiqué par le Pentagone
affirmant qu'avait été mené par le SSBN-734 USS Tennessee
(Naval Submarine Base Kings Bay (1979), océan Atlantique) la
première patrouille opérationnelle de la tête nucléaire W76 mod.
2 (W76-2), probablement entre décembre et janvier 2019. Il s'agit de
l'une des recommandations de la Nuclear Posture Review 2018 qui
aboutie assez rapidement. Le choix de l'océan, lieu de la première
patrouille, ne permet pas de douter que la Fédération de Russie est
la principale intéressée par cette évolution même si, de par ses
qualités intrinsèques, notamment l'évolution de la portée
associée, cette évolution matérielle s'adresse à toutes les
puissances visées par la doctrine nucléaire américaine.
La
Nuclear Posture Review 2018 (février
2018), dont les travaux préparatoires débutèrent et
furent menés sous la férule du général James Norman Mattis (20
juin 2017 - 1er janvier 2019) avant l'élection de Donald J. Trump (8
novembre 2016), proposait, notamment, comme recommandations le
développement d'un missile de croisière à changement de milieu
(Sea-Launched Cruise Missile (SLCM) porteur d'une charge
nucléaire et d'une nouvelle tête nucléaire à faible rendement au
profit des Sous-marins Nucléaires Lanceurs d'Engins (SNLE ou Ship
Submersible Ballistic Nuclear (SSBN). Deux recommandations
pouvant aider à soutenir une posture opérationnelle contre forces
que le Pentagone souhaitait depuis, au moins, la Nuclear
Posture Review 2010.
L'arsenal
nucléaire américain possède à l'inventaire environ 448 missiles
Mer-Sol Balistique Stratégique (MSBS ou Submarine Launched
Ballistic Missile (SLBM) UGM-133A Trident II ou plus communément
appelé Trident 2D5. Sur ces 448 MSBS, 240 sont déployés
effectivement sur les SNLE. Les autres, soit plus ou moins 208,
servent de volant de pièces de rechanges mais aussi aux de missiles
consommables pour soutenir le programme d'essais en vol d'un missile
possédant des perspectives d'évolution par le truchement du Trident
2D5 Life Extension Program devant étendre leur service
opérationnel de 2028 à 2042.
18
SNLE de classe Ohio de l'US Navy furent mis sur cale et admis au
service actif (1976 – 1997). En raison des traités précédemment
ratifiées, la Nuclear Posture Review 1994 recommanda
de réduire le nombre de SNLE de 18 à 14. Les autres premiers –
les SSGN-726 USS Ohio (1981), SSGN-727 USS Michigan
(1982), SSGN-728 USS Florida (1983) et SSGN-729 USS
Georgia (1984) – furent refondus comme croiseur
sous-marin lance-missiles (ou Ship Submersible Guided missile
Nuclear (SSGN) entre 2002 et 2006.
Ce
qui revient à souligner que le nombre de MSBS Trident 2D5 injectés
dans le cycle opérationnel permet de remplir les tubes
lance-missiles d'un maximum théorique de douze des quatorze bateaux
car chacun d'eux est percé de vingt-quatre tubes mis qui ne
reçoivent plus qu'un lot de vingt missiles en raison des choix
découlant des traités signés avec l'URSS puis la Fédération de
Russie.
Ces
240 MSBS Trident 2D5 peuvent être armés par :
- 1486 têtes nucléaires W76 mod. 1 (W76-1) d'une puissance nominale de 90 Kt, à raison de 1 à 8 têtes « mirvées » par missile dit « Mk 4A » (2008), de quoi armer un maximun théorique de 185 missiles ;
- 384 têtes nucléaires W88 d'une puissance nominale de 455 Kt, à raison de 1 à 8 têtes « mirvées » par missile dit « Mk 5 » (1990), de quoi armer un maximun théorique de 48 missiles ;
- 50 têtes nucléaires W76 mod. 2 (W76-2).
Entre
parenthèses, il est à noter que les têtes nucléaires britanniques
(~ 160) fabriquées à l'Atomic Weapons Establishment d'Aldermaston
équipant et équipant les SNLE de la V-class ou classe Vanguard sont
très proches de par leur conception des têtes nucléaires W76 en
raison des accords (1958 – 1964) liant les deux pays à ce sujet.
Aussi, les MSBS Trident 2D5 employés par les Britanniques (maximum
de 65) sont soutenus à la Naval Submarine Base Kings Bay (1979) dont
ils semblent orner l'insigne.
La
Nuclear Posture
Review 2018 postulait
le besoin avéré d'une arme nucléaire de faiblesse puissance («
low-yield
nuclear weapon
») dont la finalité opérationnelle serait des frappes anti-forces
et anti-structures durcies ou enterrées dans la perspective d'une
guerre dite « régionale ». Plus précisémment, il s'agirait d'une
réponse à l'évolution de la doctrine nucléaire russe suspectée
ou clairement accusée selon les protagonistes d'avoir abaissé le
seuil d'utilisation de l'arme nucléaire par la « doctrine
d'escalade et de désescalade » dont l'existence même fait l'objet
d'âpres débats.
En
tous les cas, la « low-yield
nuclear weapon
» doit permettre de rétablir la valeur dissuasive des forces
militaires américaines déployées dans les différentes « régions
» par une réponse de la même nature et donc rétablir la
dissuasion. Son utilité opérationnelle est à contre-balancer avec
celle des armes nucléaires tactiques ou « sub strategic » dans le
vocable otanien B61 en ses différents « mod.
» : les B61 ne sont déployées qu'en Europe et non pas, par
exemple, en Asie (Japon, Corée du Sud). Un Trident 2D5 porteur de
W76-2 peut combler cette lacune. Aussi, le même missile équipé des
mêmes têtes peut être lancé sur ordre du président américain et
atteindre sa cible au cours d'une crise en moins d'une heure car le
SNLE en alerte est constamment prêt à exécuter cet ordre. Le même
tir par B61 suppose un délai plus long en raison de la mise en
alerte des forces de l'OTAN aptes à délivrer ces armes.
Cette
évolution de la doctrine nucléaire américaine est à rapprocher de
celle opérée par la France et révlée lors du discours dit de l' «
Ile Longue » (19 janvier 2006) prononcé par le président Jacques
Chirac. Il y signifiait que l'ultime avertissement adressé à
l'adversaire pouvait viser les « centres de pouvoir, sur sa capacité
à agir » et que dans cette perspective « toutes nos forces
nucléaires ont été configurées dans cet esprit. C'est dans ce
but, par exemple, que le nombre des têtes nucléaires a été réduit
sur certains des missiles de nos sous-marins. »
De
retour aux États-Unis d'Amérique, la recommandation sur les armes
nucléaires de faiblesse puissance fut suivie d'effet puisque fut mis
à l'étude dès 2018 la tête nucléaire W76 mod.
2 (W76-2) grâce à l'allocation de 65 millions de dollars via un
amendement du 13 avril 2018. Dans la littérature ouverte, il est dit
que sa puissance nominale serait comprise entre 5 et 7 Kt, contre 90
Kt pour la W76-1. Puissance réduite et non pas réglable. L'année
2019 aurait vu la mise en production par Pantex Ordnance Plant de la
W76-2 à raison de 50 exemplaires. La première - First
Production Unit
(FPU) - serait sortie de la chaîne dès février 2019 et les
dernières auraient été livrées en septembre 2019. La nouvelle
venue aurait été déclarée opérationnelle la même année.
Toujours
dans la littérature ouverte, deux configurations possibles de MSBS
Trident 2D5 ou « Mk 4A » sont évoquées :
- L'une croit savoir que deux missiles par SNLE de classe Ohio en patrouille recevrait deux MSBS Trident 2D5 chargés chacun à raison de deux W76-2, de quoi armer vingt-cinq missiles, soit douze SNLE de classe Ohio ;
- l'autre configuration évoquée est beaucoup plus flexible car elle n'évoque la présence que d'un ou deux MSBS Trident 2D5 chargés chacun d'une à huit W76-2.
Le
nombre de configurations ne peut être trop grand puisqu'il n'y a «
que » dix SNLE sur quatorze pouvant recevoir leur dotation complète
en missiles. Et donc cela suppose une « masse critique » à
affecter à chaque scénario sur lequel est bâtie la posture
opérationnelle.
Il
convient de souligner que restreindre le nombre de têtes nucléaires
emportées de huit à seulement deux implique un allongement de la
portée qui à l'origine de 12 000 km avec toutes ses charges.
Il
y aurait donc un balancement entre nombre de cibles pouvant être
traitées et portée, entre les océans Atlantique et Pacifique où
naviguent les SNLE américains, voire entre zones de patrouille. En
effet, plus le SNLE est proche des cibles potentielles, plus le temps
de vol de ses missiles est court et plus l'adversaire dispose de
moins de temps pour réagir.
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